La section constitutionnelle et électorale de la Cour Suprême des Comores a publié le 5 décembre 2024 deux décisions importantes sur la conception juridique des candidatures pour les élections législatives et communales prévues en janvier et février 2025. Ces décisions, respectivement enregistrées sous les numéros 24-006/CS et 24-007/CS du 5 décembre 2024, ont, en partie, dit le droit, car elles ont aussi dit la politique.
Par Mounawar Ibrahim
La décision 24-006/CS portait sur 23 recours déposés devant la Cour Suprême. Ces recours émanaient principalement de candidats et, dans un cas spécifique, d’un électeur, contestant les décisions de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) concernant l’acceptation d’une candidature.
Recours contre le rejet des candidatures
Plusieurs candidats dont les dossiers avaient été initialement rejetés par la CENI ont vu leurs candidatures validées par la Cour Suprême. Ces rejets étaient souvent fondés sur des incomplétudes dans les dossiers administratifs, mais la Cour a jugé que les erreurs de l’administration ne pouvaient pas être utilisées pour invalider des candidatures lorsque les bordereaux de réception montraient que les documents requis avaient bien été soumis. Cette position est louable, car confirme un principe fondamental selon lequel, les citoyens ne doivent pas être pénalisés pour des fautes commises par l’administration publique. Cette décision invite la CENI à davantage de rigueur dans ses procédures pour éviter pareils cas dans l’avenir.
Recours contre les Candidatures d’Adversaires
Le cas du maire en exercice de la capitale, Abdoulfatah Said Mohamed qui demandait l’invalidation de la candidature d’un adversaire Said Mohamed Said, en invoquant un conflit d’intérêts. Selon lui, cet adversaire, présent sur la liste d’Ali Hassane El Barwane, employé par la mairie, ne pouvait légalement être candidat. Cependant, la Cour a établi, preuve à l’appui, que ce dernier était un agent de la fonction publique et non un salarié directement lié à la mairie. Par conséquent, sa candidature a été confirmée.
Cette décision met en lumière la nécessité pour les candidats de s’appuyer sur des bases juridiques solides lorsqu’ils formulent des contestations. Elle rappelle également que la fonction publique, en tant qu’institution neutre, ne peut être invoquée à tort pour disqualifier un adversaire.
Recours d’un électeur
Un cas singulier concernait un électeur qui demandait l’invalidation d’une candidature dans sa circonscription. Aboubacar Djamadar, électeur à Foumbouni (Badjini-Est) a demandé à la Cour d’annuler la candidature de « M. Boinaheri Ali sur la liste des candidats aux élections communales dans la même circonscription au motif que la situation fiscale du candidat soulève de sérieuses préoccupations ».
Sans entrer dans le fond, la Cour a rappelé que seuls les candidats sont habilités à demander le rejet de la candidature d’un adversaire. Que le recours est simplement irrecevable. Le juge constitutionnel rappelle ici la limite des droits d’intervention des électeurs dans le processus de candidature.
Dans l’ensemble, la Cour Suprême a rejeté les demandes visant à invalider les candidatures validées par la CENI, tout en donnant raison à plusieurs candidats initialement rejetés par celle-ci.
La décision n°24-007/CS : Le cas Aboubacar Said Anli
Une autre affaire notable portait sur la situation du ministre Aboubacar Said Anli, actuellement chargé de la suppléance présidentielle en raison du voyage du président de la République. Selon l’article 199 de la loi n°22-017/AU relative au code électoral, les membres du gouvernement qui se portent candidats doivent obligatoirement prendre congé de leurs fonctions.
En sa qualité de ministre candidat, Aboubacar Said Anli était soumis à cette obligation légale. Cependant, le Secrétaire général du gouvernement (SGG), Nour el Fath Azali, a saisi la Cour Suprême pour demander une exemption, invoquant un vide institutionnel potentiel en cas de congé, étant donné que le ministre exerce actuellement les pouvoirs présidentiels par intérim.
Dans sa décision 24-007/CS, la Cour a accédé à la demande du SGG en exemptant le ministre de l’obligation de prendre congé. Elle a estimé qu’un tel congé, dans les circonstances actuelles, mettrait en péril la continuité de l’État. Ce raisonnement reposerait sur le principe de primauté de l’intérêt général sur les exigences légales strictes. Toutefois, elle soulève des interrogations sur la séparation des pouvoirs et les implications potentielles pour l’équité des élections, car cette exception pourrait être perçue comme un avantage indu pour le ministre-candidat. Mais elle soulève encore une question essentielle sur la manière dont les affaires publiques sont conduites. L’exécutif aurait pu anticiper cette situation. Le ministre suppléant n’est pas un élu, mais une personne que le président choisit. D’ailleurs et ça a le mérite d’être clair, celui-ci n’est pas investi des mêmes pouvoirs que le président de la République. Il a juste à expédier les affaires courantes contrairement à ce que dit la Cour dans ses motivations. Ici, la Cour n’a pas dit le Droit.
Pour finir, il convient de préciser que dans la première décision, la juridiction suprême de l’État a montré une certaine rigueur. Mais dans la même journée, sur la requête du SGG, elle est retombée sur ses travers. À se demander s’il y a eu seulement un manque d’intérêt pour les cas de la première décision ou un excès de zèle dans la deuxième. En tout cas, on a senti que la Cour outrepasse souvent ses pouvoirs d’interprétation de la loi. Certes, le juge a le pouvoir de faire parler une loi lorsqu’elle est silencieuse, l’éclairer si elle est obscure ou la compléter si elle est insuffisante, mais toujours dans la limite du raisonnable. Un principe général de Droit dispose que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. L’impréparation du gouvernement n’est pas imputable à la loi ni au peuple.