Le 13 mars dernier, la lettre de félicitations du président français est enfin parvenue à Azali Assoumani, deux mois après les élections du 14 janvier marquées par de nombreuses fraudes étalées dans les réseaux sociaux. La mise en scène de Beit-Salam et de l’Ambassadeur de France n’arrive pas complètement à cacher le malaise dans les deux camps. Il vaut mieux en rire.
Par MiB
« J’ai été honoré de remettre au @PR_Azali la lettre de félicitations du président @EmmanuelMacron », c’est par ces quelques mots que l’Ambassadeur de France à Moroni, Sylvain Riquier annonce sur le réseau X (anciennement twitter) le 13 mars dernier l’arrivée de la lettre de félicitations du président français à Azali Assoumani pour les élections qui se sont déroulées deux mois auparavant, le 14 janvier et dont une première version des résultats a été proclamée par la CENI le 16 janvier et une autre version par la Cour Suprême le 24 janvier. Sylvain Riquier accompagne son post d’une image de la fameuse lettre et d’une photo sur laquelle il pose à Beit-Salam avec le chef de l’État comorien, tenant entre leurs mains le courrier, comme s’il s’agissait de lettres de créance.
Une lettre antidatée
La lettre est tout de même antidatée au 5 février, histoire d’atténuer cette longue hésitation de l’Élysée à valider des élections définitivement marquées du sceau de la fraude, qui cette fois a été étalée dans les réseaux sociaux par des audios et des vidéos de personnalités proches du gouvernement, comme l’audio du conseiller privé et non moins fils du chef de l’État, Nour el Fath, demandant à ses partisans de commencer à bourrer les urnes dès que c’est possible et de ne pas attendre midi comme convenu entre eux.
On peut aussi émettre l’hypothèse que la lettre était en attente à l’Ambassade de France que certaines garanties diplomatiques sur les intérêts français dans l’océan indien soient données, y compris sur Mayotte où la France entend mener d’ici peu une opération Wuambushu 2. On se rappelle que Wuambushu 1 avait été entravé quelque peu en son début par le gouvernement comorien qui refusait de prendre des Comoriens expulsés de l’île, objet d’un contentieux entre les deux pays à l’ONU.
Le chef de l’État comorien semblait si désespéré ces derniers temps qu’on peut supposer que l’arrivée de cette lettre le soulage grandement. On se rappelle que le 10 février, un communiqué de Beit-Salam présentait un Azali Assoumani hautement « ému » par un appel d’Emmanuel Macron pour lui présenter ses félicitations. On se dit aujourd’hui que son émotion aurait été au plus haut si l’Ambassadeur Ricquier avait été plus magnanime et lui avait annoncé qu’il y avait depuis le 5 février une lettre officielle de félicitations qui attendait à l’Ambassade.
Une situation qui était intenable
Les relations diplomatiques entre la France et les Comores sous la présidence Macron ressemblent parfois à une histoire d’amour dont l’un des amants aurait honte de se présenter au grand jour avec l’autre. Comment pourrait-il en être autrement quand la France, très informée sur la répression qui s’abat sur l’opposition, sur les arrestations intempestives et sur les tortures (parfois jusqu’à la mort) s’oblige à s’accommoder avec la dictature du colonel Azali, et à reconnaître des élections dont même ses plus proches partenaires dont l’Union européenne, les États-Unis et la Grande-Bretagne refusent toujours de reconnaître le caractère démocratique ?
La France a donc officiellement reconnu les élections fraudées malgré les nombreuses preuves qui s’accumulent et qui montrent clairement que les élections du 14 janvier dernier, comme celles de 2019 n’ont été qu’une vaste fumisterie destinée à maintenir un dictateur, qui a peur de son devenir, en place.
En réalité, la position qui était celle de la France, adossée à celle de l’Union européenne et à celle des États-Unis demandant des explications quant aux chiffres incohérents de la Commission électorale, ne pouvait pas tenir longtemps dès lors qu’Azali Assoumani avait décidé de ne donner aucune explication et de faire croire qu’il a gagné les quatre scrutins du 14 janvier dès le premier tour. Au-delà d’une certaine période, si le principal partenaire des Comores ne reconnaissait pas le président issu des fraudes, il aurait fallu qu’il commence à envisager la rupture des relations diplomatiques. Autrement, comment l’Ambassadeur français pouvait continuer à solliciter des entrevues pour l’avancement de projets communs sans reconnaître son interlocuteur comme étant le chef de l’État ?
Cette position de la France devenait intenable d’autant plus que la Chine et la Russie, qui sont devenues de vrais concurrents à la présence française, avaient reconnu assez rapidement l’élection d’Azali Assoumani après la déclaration de la Cour Suprême. Quant à l’Italie, elle n’avait pas attendu les résultats définitifs : dès le 23 janvier, le président Sergio Mattarella avait adressé une lettre de félicitations au président de l’Union dont il avait besoin de la présence dans le sommet Italie-Afrique organisée probablement pour la première fois, ce qui indique aussi une ambition de disputer à la France ses positions sur le continent africain.
Exiger la démocratie d’un dictateur
La lettre adressée à Azali Assoumani est inhabituellement longue pour une lettre de félicitations. Le président français aurait pu, comme la plupart des autres chefs d’État s’arrêter au premier paragraphe qui énonce ses félicitations en direction du chef de l’État comorien.
Mais, sans donner d’explications sur l’arrivée tardive de cette lettre, Emmanuel Macron a pris soin d’ajouter trois paragraphes supplémentaires qui donnent à la missive l’allure d’une lettre de mission. En effet, tout en gardant une certaine réserve et en évitant le ton paternaliste trop direct, le président français dit à son interlocuteur en substance ce qu’il attend de lui, après les contorsions aboutissant à la reconnaissance de cette victoire obtenue par la fraude.
Dans le premier paragraphe après celui des félicitations, le président français met sur la table ses exigences en matière de démocratie (« la consolidation de l’espace démocratique », comme s’il ne sait pas qu’il n’y a plus de vie démocratique aux Comores depuis 2018), de « lutte contre la corruption » (les Comores sont placées parmi les pays parmi les pays où la corruption est au plus haut en Afrique) et « de nouvelles perspectives pour la jeunesse ». Emmanuel Macron évite de dire les choses directement au risque de paraître comme voulant tracer le chemin pour le nouveau mandat d’Azali Assoumani, aussi cache-t-il cette volonté par une tournure littéraire : « les objectifs que vous avez fixés ». Si Azali s’est fixé ces objectifs-là, pourquoi les lui dire ? Et en effet dès 2016, Azali s’était comme objectif de donner à chaque jeune un emploi et pourtant, la jeunesse n’a jamais été autant désemparée, jusqu’à accepter des 10.000FC (20 euros) pour participer aux meetings du camp gouvernemental. Depuis 2016, Azali Assoumani parle de démocratie, pourtant un bon nombre d’hommes politiques, à l’instar de son principal opposant, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, ont été jugés dans des conditions indignes de la Justice, envoyés en prison sans possibilité de faire appel et ils ne sont libérés que quand ils se soumettent en demandant la grâce présidentielle.
Au nom des liens historiques et du voisinage
Dans les deux derniers paragraphes, le président français assure son soutien au gouvernement comorien, au nom des liens historiques et du « voisinage », terme que de nombreux Comoriens ont interprété comme étant dû à la présence française dans l’île de Mayotte. C’est en tout cas, pour le gouvernement français, la prise de conscience que tout ce qui se passe dans les trois îles a des conséquences directes sur Mayotte, ne serait-ce que par les mouvements de kwasa-kwasa.
Enfin, le président français évoque la coopération dans les eaux de l’archipel en rappelant qu’il demande la collaboration du gouvernement comorien pour la « sécurité maritime et la sauvegarde des vies humaines en mer », ce qui est une litote pour parler de la collaboration entre les deux gouvernements pour arraisonner des kwasa-kwasa et autres bateaux venant d’Anjouan ou même de l’Afrique.
Il est à remarquer que le président français a ajouté à la main tout en haut « Cher ami » et tout en bas « Félicitations ! Amitiés » et que le chef de l’État comorien ne le désigne que par « Cher frère », mais il est vrai qu’Azali Assoumani dit « frère » à tous les chefs d’État qu’il rencontre.
La lettre du président français revêt un caractère capital, d’abord parce qu’elle était très attendue par le gouvernement comorien et qu’il semble qu’il a fait plusieurs gestes envers l’Élysée pour hâter son arrivée. Elle confirme un soutien du gouvernement français à la dictature qui sévit aux Comores, et cela malgré les nombreuses fraudes et les témoignages arrivant même de la Commission électorale. Par cette lettre, la France met fin à l’espoir d’un changement de vision politique sur les Comores que certains leaders de l’opposition avaient entrevu.