Dans le cadre de ses missions, le Centre National de Documentation et de Recherche scientifique (CNDRS) a organisé le 10 août de cette année une Table ronde ayant pour thème « Enjeux et défis de la diaspora dans ses différentes mutations sur le grand-mariage ».
Par Hachim Mohamed
Cette rencontre largement couverte par la presse a réuni le professeur Moussa Saïd, l’intellectuel Salim Maabadi, l’anthropologue Dr Abderemane Wadjih et le linguiste Dr Kassim Mohamed Soyir Bajrafil qui ont décortiqué sans complaisance les mécanismes du « Anda » (grand-mariage) et du « Mila » (Traditions) avec un mélange d’humour, de précision et de générosité qui a imprimé un changement de regard sur le phénomène.
Ces joutes intellectuelles ont disséqué sous tous les angles, culturel, social, économique, linguistique ou encore historique la question du « anda » sous le contrôle de l’écrivain Aboubacar Said Salim.
Genèse de « Anda »
Le Dr Moussa Saïd s’est démarqué de ses collègues par un panorama sur la question. Pour lui, le « Anda » a commencé avec la bataille de « Hirim » (Lutte pour la recherche de la place, de considération en société) dans le Badjini.
À l’époque ancienne, n’est pas un « Mdru mdzima » (une personne qui a accompli le grand-mariage) qui veut. C’était un tour de force inouï. Concrètement, pour être un « Mdru mdzima », il y avait des qualités requises qu’il fallait nécessairement posséder. Il fallait notamment être fort et glouton.
Sur la place publique, le candidat aux « Anda » devait pouvoir manger à lui tout seul toute la viande préparée et cuite d’un bélier sur le gril en plus d’autres grillades de poulets, de bœuf et de noix de coco !
La deuxième étape de l’« épreuve » consistait à se battre contre quelqu’un. Si le « candidat du « Anda » gagne le combat, il est admis dans la catégorie des « wandru wa mdzima ». Et sur le champ, la population se mettait à entonner à tue-tête un cantique de louanges et de remerciements à son endroit.
Trois « mutations » à Moroni
Selon Dr Moussa Saïd, contrairement à la perception des autres régions de Ngazidja, à Moroni, le grand-mariage n’est pas un art de se marier figé dans le temps et dans l’espace, mais une culture qui s’est adaptée aux idées nouvelles, aux nouveaux modes de fonctionnement de la société comorienne. Dans la capitale, le grand-mariage a connu trois mutations majeures.
La premièrement est arrivée quand Cheikh El Maarouf était en dissension avec le sultan Saïd Ali à propos des valeurs traditionnelles établies. En homme pieux, il estimait que le « Anda » générait beaucoup de dépenses, de gaspillages qui sont interdits par l’islam. Cela lui a valu une salve de critiques de la part des conservateurs, viscéralement attachés à leurs coutumes et à leurs manières de faire.
La deuxième mutation est celle de Saïd Tourqui qui, par mansuétude, a voulu enlever une épine du pied de personnes âgées qui voulaient accomplir le « Anda ». Les mauvaises langues disent que si Saïd Tourqui a voulu changer la manière d’accomplir le « Anda », c’est parce qu’il était en train de négocier subrepticement les mariages de ses nièces !
La troisième mutation a été opérée par Nourdine Charif Abdallah, le frère de Saïd Tourqui. Les changements sont donc l’apanage de la bourgeoisie. À l’époque, il y avait à Moroni un « Anda » qu’on appelait « Zikombé za café ». Un mariage dispendieux avec un respect de « cahier de charges » où les dettes sont marquées et payées. Ce nanti de Moroni qui avait mis fin au « Zikombé za café » s’était attaqué farouchement aux « Anda » quand il s’est rendu compte combien lui avait couté le mariage de son fils Ahmed.
D’ailleurs, c’est dans ce contexte aussi que le « twarab princier » a été supprimé à Moroni. Plus précisément, les partisans du changement se sont rendu compte qu’en lieu et place de lancer par poignées une pluie de « confettis de billet» sur la tête de chanteurs, musiciens qui se produisent sur scène, un quidam s’est une fois payé le luxe d’acheter en pleine soirée pêchue, une chanson avec un ligot d’or !
Le « Anda » fait passer dans un « long tunnel de dépenses »
Salim Maabadi a pointé du doigt le besoin pressant d’une espèce de loi somptuaire régissant les dépenses, notamment les dépenses ruineuses du Grand-mariage. Pour cet auteur force est de reconnaitre que le Grand-mariage est un montage financier de cotisation où les gens se prêtent de l’argent pour l’accomplir. C’est aussi un méga-prêt auprès de banques.
Les gens qui sont venus de France pour le Grand-mariage, dépensent au bas mot 10000 €. Une fortune. Par ces sacrifices, les candidats au « Anda » le font soit pour se marier en personne, soit pour donner en mariage leur fille ou pour d’autres raisons.
Conformément au calendrier de festivités, le grand-mariage fait passer les candidats dans un « long tunnel de dépenses ».
Cette série de grands repas réunissant plusieurs convives et célébrant par anticipation cet événement important très attendu, commence d’abord dans la maison familiale. Avant de s’étendre ensuite dans le quartier, le village et de finir par un « Amani » pour toute la région.
Cependant, un système peu dispendieux d’accomplissement du « Anda » existe selon Dr Moussa Saïd qui a recentré le débat. Une personne riche peut consacrer une bonne partie de sa fortune au « Anda », le problème, c’est quand un « pauvre » qui n’a pas les moyens d’accomplir son « Anda » essaie de l’imiter. Pourtant, la sagesse populaire rappelle, à travers la chanson culte de twarab de Maabadi.
« Ye anda yinu tsi faruzi, tsi siname, tsi charuti, zinu bangazo mazwewa wazewahatru yeya lila ha tsehé ! »
Pour finir, au-delà du goût d’être « Mdru Mdzima », soutient le professeur, premièrement on se fait un devoir d’accomplir le grand-mariage dans la société comorienne pour plaire à sa maman. En deuxième lieu, c’est pour contenter sa sœur, et enfin c’est pour satisfaire sa femme.