Qui, parmi les jeunes d’aujourd’hui, connait Abdurahman Mohamed Ahmed dit Mkufundi ? Quand on parle du MOLINACO, le Mouvement de Libération nationale des Comores, qui apparait sur la scène politique africaine dès février 1963, c’est le nom d’Abdou Bakari Boina qui ressort. Ce dernier a porté, à partir de 1965, à l’extérieur et sur les tribunes internationales la lutte pour l’indépendance des Comores et personne ne peut nier son apport essentiel. Pourtant, contrairement à Abdou Bakari Boina, Abdurahman Mkufundi est membre fondateur du MOLINACO. Il possédait la carte de membre n°5 et était membre du Bureau politique. Par Mahmoud Ibrahime
Un Ingénieur en mécanique
Abdurahmane Mkufundi est un de ces Comoriens de Zanzibar qui s’engagent dès le début des indépendances africaines pour que leur pays d’origine acquière l’indépendance, à l’instar des autres pays en Afrique. Il est né à Mitsamihuli en 1921, d’un père issu de cette ville où il a installé sa femme de Moroni. Il est encore un enfant quand il quitte la Grande-Comore pour Zanzibar rejoindre sa mère Hissani Saleh qui y vit depuis le divorce d’avec son mari Mohamed Ahmed Mkufundi. Le jeune Abdurahmane Mohamed Ahmed y fit des études et devint, selon son fils, ingénieur en mécanique. Il exerça ce métier pendant un temps à Dar es Salam, capitale de Tanganyka.
Implanter la lutte anticolonialiste
En 1965, il revient dans son pays de naissance en mission pour le MOLINACO, avec comme objectif de former des militants pour l’indépendance sur place. C’est une période où le gouvernement d’autonomie interne se méfie des Comoriens qui reviennent de Tanzanie, et reproche à la diplomatie française d’en laisser trop arriver. Il est arrêté. Mais, le président Saïd Mohamed Cheikh, qui est du même village que lui, le rencontre et il croit l’avoir convaincu de quitter le MOLINACO. Il obtient le droit de repartir en Tanzanie. Sitôt arrivé qu’il reprend de plus belle ses activités de militant en attaquant le gouvernement de Saïd Mohamed Cheikh. Mais, les dirigeants du MOLINACO n’ont plus le choix s’ils veulent continuer à recevoir les financements de certains pays et organisations amies, ils doivent implanter la lutte indépendantiste sur place.
Abdurahman Mkufundi revient donc aux Comores le 19 janvier 1967. Il a démissionné de son travail et entreprend de conscientiser les paysans. Le MOLINACO commence à diffuser une émission de 45 minutes sur Radio Dar es Salam, émission entendue à la Grande-Comore et destinée à réveiller les consciences pour combattre la colonisation et pour préparer les esprits à adopter le système socialiste, à la chinoise. Il ne tarde pas à être arrêté avec d’autres militants pour l’indépendance et devient ainsi l’un des premiers prisonniers politiques des Comores, après ceux qui ont été arrêtés par l’État colonial pendant la révolte qui embrasa une grande partie de la Grande-Comore en juillet et août 1915. En prison, les militants du MOLINACO reçoivent la visite d’un jeune avocat stagiaire de passage dans le pays, Abdou El Aniou. Ils ne s’entendent pas et ce dernier repart pour la France. Ils doivent organiser autrement leur défense. Ce sont des avocats venus de France, payés par le MOLINACO et l’Organisation de l’Unité africaine qui vont les défendre.
Un personnage de légende, un patriote
L’ancien président de l’Assemblée fédérale, actuel Directeur de Hayba FM, Mohamed Saïd Abdallah Mchangama enfermé en mars 1968, suite à la grève des lycéens qui refusaient les humiliations coloniales et réclamaient de meilleures conditions d’étude au lycée de Moroni le fréquente pendant six mois. « Je l’ai trouvé en prison, mais je sais qu’il a été torturé, maltraité (…) Il ne parlait pas de ses souffrances, il était là à encourager les gens » rapporte-t-il à Masiwa, avant d’ajouter : « Il était extrêmement humain. Il avait la foi en son combat ».
Mchangama ressort de la prison enrichi intellectuellement et politiquement par les discussions qu’il a eues avec ce cadre charismatique du MOLINACO. Il en parle avec une certaine nostalgie et surtout beaucoup d’admiration « Quand on me parle de combattants et de personnes qui se sont battus pour l’indépendance, moi je mets toujours Abdurahman Mkufundi. C’est un personnage de légende… C’était vraiment le patriote, il était possédé par cette idée d’indépendance et il avait tout abandonné ». Il ne sera libéré qu’à la fin des années 1968.
Après l’indépendance, Abdurahman Mkufundi a vécu parmi les gens sans distinction particulière. D’ailleurs, après son retour au pays dans les années 1990, Mchangama le retrouve vivant simplement. Il a conscience que l’homme est « rejeté, car mdjeni alors qu’il était né aux Comores ». De toute façon, ajoute Mchangama, « il n’a jamais pensé qu’il se battait pour devenir un jour ministre ». L’homme n’était animé que par le souci que son pays recouvre son indépendance et ne soit pas sous le joug d’un autre pays.
Le 22 novembre 1968, Abdurahman Mkufundi est condamné par la Justice coloniale en première instance à quatre ans d’emprisonnement et dix ans d’interdiction de séjour pour avoir « assumé l’administration d’une association étrangère non autorisée et du Chef d’atteinte à la Sûreté extérieure de l’État ». Comment le gouvernement de l’autonomie interne pouvait-il justifier l’interdiction de séjour d’un Comorien aux Comores ? D’autres membres du MOLINACO à l’intérieur des Comores reçoivent des condamnations similaires.
Abdurahmane Mkufundi a eu huit enfants avec deux femmes, cinq nés à Zanzibar et trois autres à Mitsamihuli.
Il est mort dans sa ville de naissance en juillet 2002. Jusqu’a aujourd’hui, aucun président comorien n’a eu l’idée d’honorer ce combattant de la cause comorienne, alors qu’ils font tous semblant de chérir l’indépendance des Comores. Pour Saïd Mohamed Abdallah Mchangama, « il aurait fallu créer une statue et en parler aux enfants ». On en parle déjà si peu aux adultes…