Vous connaissez les taxis traditionnels, les minibus surchargés qui desservent les régions. Mais avez-vous déjà entendu parler des motos transporteuses de l’eau à Ngazidja ?
Par Hachim Mohamed
À la Grande-Comore comme à Anjouan ou sous d’autres cieux en Afrique, des personnes vendent de l’eau en la transportant sur leur moto. C’est un tricycle ou une moto-citerne, puissante, équipée de la technologie moderne. Aux Comores, avec la crise de l’eau qui se prolonge, certains génies des affaires utilisent ces motos pour transporter l’eau et la vendre dans les boulangeries, les chantiers, les maisons… À Moroni pour livrer l’eau à leurs clients, ils sont partout ces jeunes pilotes de tricycle, casques colorés, souvent sans véritables protections. Ils circulent environ 10 à 15 heures à zigzaguer entre voitures, piétons et autres motos.

Cette activité participe au bien-être de la population dans la mesure où il y a toujours des secteurs qui n’ont pas encore de branchement à l’eau et que la Société nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux (SONEDE) justifie, depuis plusieurs mois, les coupures d’eau pour ses abonnés, par des travaux.
Véritable phénomène à Moroni, ce mode de transport de l’eau explose depuis plusieurs années. Rapide, économique, accessible partout, la moto transporteuse d’eau change profondément la vie quotidienne de milliers d’habitants.
Mais attention, tout n’est pas rose pour autant… Pourquoi ce boom des motos transporteurs de l’eau à Moroni ?
Si vous êtes coincé dans les quartiers comme Combodje, Amani ou Madjadjou dans un contexte de pénurie d’eau, avec leurs ruelles interminables, vous comprenez vite l’intérêt de ces motos pour les habitants qui souffrent du manque cruel d’eau.
À l’instar du Cameroun, Bénin, Rwanda, Ouganda qui pour divers usages commerciaux utilisent cet engin, les WaNgazidja et les WaNdzuani ont adopté ce mode de transport très pratique pour la vente de l’eau. Faciles à manier, notamment chez les jeunes conducteurs, les tricycles transporteurs d’eau envahissent les rues, transportant des centaines de litres d’eau chaque jour avec cette particularité de passer partout, même sur des routes défoncées ou inaccessibles aux voitures. Aujourd’hui, c’est même le moyen de transport informel qui progresse le plus vite. Évidemment, ce succès s’explique aussi par l’inégalité chronique d’accès à l’eau courante dans la capitale, Moroni, mais aussi dans les grandes villes du pays. Les milliers d’habitants, délaissés par l’« Émergence » ou le « Renouveau », se tournent naturellement vers ce mode de distribution du liquide précieux.
Une réalité complexe
Il faut aussi savoir que la majorité des pilotes de ces motos transporteurs d’eau ne sont pas propriétaires de leurs véhicules. Les conducteurs des tricycles sont des jeunes dont l’âge est compris entre 18 ans et 35 ans. Les plus jeunes sont déscolarisés.
Les propriétaires de tricycles sont généralement des commerçants, souvent des Anjouanais, à l’image d’Hermann qui vit au quartier Oasis (Moroni) et possède plusieurs motos à trois roues.
Les conducteurs de ces engins sont soumis à deux types de contrats. D’une manière générale, le travail nécessite la collaboration de deux personnes : un chauffeur et un apprenti par jour, car l’activité est épuisante. L’apprenti est là pour aider à charger l’engin de bidons d’eau et à pousser le tricycle en cas d’embourbement dû au mauvais état des pistes.
Souvent, le chauffeur doit reverser une partie des gains aux investisseurs ou propriétaires. À en croire un jeune conducteur surnommé « Bénin », le propriétaire ne fixe pas de montant à verser à son chauffeur. Le contrat est basé sur la bonne foi du conducteur qui fait un versement à son patron chaque jour en fonction de ce qu’il gagne après avoir pris sa part. Le gain mensuel ou quotidien par livraison des chauffeurs est fonction du montant total généré par le tricycle à la fin de la journée. Une fois remise la part du propriétaire et de l’apprenti, le chauffeur prend son dû sur le reste de la recette journalière. À raison de six jours de travail par semaine, le propriétaire perçoit 75000KMF par semaine.
Fahari, fier conducteur de tricycle
Il existe un second type de contrat qui, visiblement, est le plus répandu. Le propriétaire fixe un montant que le conducteur est chargé de lui verser chaque soir. Le gain mensuel des chauffeurs, qui n’est pas fixe, est inférieur à celui du propriétaire.
Dans tous les cas, il faut plusieurs mois d’activité sans panne pour amortir le tricycle dont le prix d’achat varie entre 500 000 et 800 000 KMF. Ainsi, derrière cette activité en apparence simple se cache une réalité plus complexe.
Interrogé dans une boulangerie où il faisait des achats, Fahari, un conducteur de tricycle, qui est fier de son travail, a raconté comment il travaille avec son patron.
Tôt le matin, Fahari part à Vouvouni pour le remplissage de sa citerne d’un mètre cube (1000 litres). Il achète un ticket pour cela. Si les affaires marchent bien, il peut faire la navette entre Vouvouni et Moroni trois fois par voyage. Cela lui permet d’empocher 35000 KMF à raison de 12.500 KMF par voyage.
Pour chaque déplacement, il paie 4000 pour le carburant et dépense 2000 KMF pour sa nourriture. S’il y a un apprenti, il lui donne 1500 KMF. Le reste du gain quotidien est versé à son patron. Sur les trois voyages quotidiens, il verse au bas mot 20.000 KMF par jour à son boss.
« Si le business ne marche pas trop, le versement est inférieur à la somme habituelle », ajoute-t-il. De son poignant témoignage, il ajoute que faire le plein de bidons et de la cuve de mille litres à Vouvouni ne passe pas en un claquement de doigts. Les tricycles font la queue comme les bidons alignés à la fontaine Omar Kassim à Moroni, après avoir évidemment auparavant payé le ticket de 1500 KMF. Et remplir les bidons (une cinquantaine) prend plus de temps que remplir la cuve, une opération qui ne dure que quelques minutes en introduisant un gros tuyau dans la cuve.
Une activité informelle bénéfique
Face à une urbanisation galopante, la forte densité de la population, les tricycles apparaissent aujourd’hui comme une solution incontournable pour se fournir de l’eau aux habitants vivant dans des quartiers inaccessibles aux gros camions.
Dans la capitale, les difficultés inhérentes à la distribution d’eau subsistent encore, la présence des tricycles contribue à les amoindrir. « C’est un luxe pour beaucoup de nos compatriotes, mais ça fait presque deux ans que j’achète les bidons d’eau. Je prends 20 de ces récipients tous les trois jours pour 5000 KMF », affirme un jeune père de famille, Habib qui regrette l’époque où l’eau arrivait dans ses robinets pour une facture de 10.000 KMF de la SONEDE.
La moto transporteur d’eau permet ainsi à des habitants isolés des quartiers populaires d’accéder à l’eau courante, mais aussi à de jeunes chômeurs d’avoir un emploi. Les gains sont repartis entre les différents acteurs de l’activité. Les motos procurent de l’argent aux propriétaires, aux conducteurs, aux apprentis, aux mécaniciens ou encore au vendeur de carburant.
L’activité du tricycle à Moroni et au-delà, à Ngazidja et à Ndzuani, est une source de revenus pour les divers acteurs qui interviennent dans le secteur. Bien plus qu’un simple mode de transport, les tricycles recouvrent un véritable système économique informel, un exemple de débrouillardise issue de l’abandon de l’État, et qui rapporte.
Entre les gros camions, les minibus et les tricycles, la SONEDE tire largement son épingle du jeu et on peut se demander si elle ne se satisfait pas de ce marché parallèle, tellement la crise de l’eau dure.