Lors du Salon de la Littérature et de la Culture qui s’est tenu le 9 novembre dernier, le public comorien a pu découvrir le comédien et dramaturge Kamar-eddine Ben Abdallah. À cette occasion, il a présenté « Moi, sans papiers dans le canapé » dont il est l’auteur et l’unique acteur.
Par MiB
Avant le Salon de la Littérature et de la Culture, Kamar-eddine Ben Abdallah a présenté sa pièce de théâtre, « Moi, sans-papiers dans le canapé », à trois reprises, dont deux fois dans sa ville d’adoption, Marseille et une fois à Avignon. Pourtant, il dit toujours qu’il continue à la travailler. Kamar-eddine Ben Abdallah reste un homme discret et modeste.
Dans cette pièce, dont il n’a joué que 40 minutes cette fois, l’auteur devient acteur et met en scène le monologue d’un homme qui est hébergé dans une famille comorienne et qui a le droit au canapé du salon, son seul lieu de vie. Sa situation de clandestin le contraint à l’oisiveté et l’astreint à un statut qu’il refuse à haute voix : « Je n’en peux plus de rester sans travailler, je n’en peux plus d’être au chômage forcé, je n’en peux plus de la pauvreté à vie ».
La nostalgie du pays d’origine
L’homme connaît des moments d’apaisement quand il repense avec nostalgie à sa vie d’autrefois dans son pays. « Mettez-vous à ma place, moi insulaire qui ai grandi sur une île des Comores, dans une famille modeste, pas riche, mais pas si pauvre que ça. Je veux dire qui n’a jamais passé toute une journée sans manger au moins une fois. Et ce n’est pas rien et ce n’est pas donné à n’importe qui. »
L’acteur semble jouer son propre personnage, celui de l’auteur Kamar-eddine Ben Abdallah. Il parle de sa vie avant d’arriver en France. Il évoque les problèmes du pays qui broient les rêves des plus intrépides. « Quand les années passent et continuent à passer, vous ne pouvez pas imaginer combien de montagnes nous avons franchies. Combien d’épreuves nous avons surmontées. À combien de rêves, nous avons renoncé. À qui ce n’est pas arrivé ? On est tous passés par là. Mais ceux qui ont dû renoncer à tous les rêves, ça les rend fous. » C’est une des explications qui poussent certains à quitter le pays, pour ne pas finir par se donner la mort. C’est ce qui a poussé le personnage à traverser illégalement la frontière pour entrer en France. Et il ne réalise toujours pas : « je n’aurais jamais cru qu’on pouvait entrer en France, juste en rampant sur des montagnes, en faisant des petites acrobaties et ensuite soulever un barbelé pour passer la frontière… »
Comme un Comorien à Marseille
Contrairement à d’autres migrants, quand il débarque à Marseille, il sait qu’il est un peu aux Comores. Les Comoriens y sont concentrés, avec leurs habitudes et leurs coutumes, pour la plupart : « Et je suis arrivé à Marseille, sur la cinquième île des Comores. À Marseille, à chaque pas à gauche ou à droite, soit tu tombes sur un Comorien avec bonnet aux broderies en or ou sur une femme voilée ».
Le personnage solitaire égrène sa vie dans la cité phocéenne ou plutôt sur son fauteuil, inactif. « Le premier jour, j’ai été accueilli ici dans le canapé. Le premier jour, ç’a été la joie et la fête, j’ai été accueilli très chaleureusement. Puis un par un, ils m’ont souhaité bonne nuit et ont quitté le salon, je me suis retrouvé avec le dernier, c’est lui qui m’a dit : voilà, ton drap et bonne nuit en me tournant le dos… Dernier à dormir et le premier réveillé. » L’hébergé ne peut jouir du canapé que la nuit ou pendant les heures de travail, symbole de son oisiveté imposée.
Les règles du canapé
L’auteur évoque même les maltraitances (« Tu subis l’esclavagisme… ») de la part de la famille qui héberge. Il imagine même les articles d’une sorte de loi de l’hébergé qui dépasse l’entendement.
« Article numéro 1, le nouveau venu sans papiers et hébergé n’a pas le droit de dormir avant tout le monde. Numéro 2, (…) n’a pas droit de toucher à la télécommande quand les enfants de la maison sont là. Numéro 3, (…) doit accompagner tous les jours les enfants à l’école et ne doit jamais oublier de sortir la poubelle. Numéro 4, (…) doit obligatoirement penser à faire la vaisselle et le ménage et avant l’arrivée de la famille hébergeuse trouver et préparer à manger (…) Numéro 5, (…) ne peut pas prendre des douches, ni repasser son linge, ni ouvrir le frigo, ils abusent de nous. »
Le spectateur est forcément amené à s’interroger sur la part de véracité dans les propos et même à penser que l’auteur exagère. Mais, quand on l’interroge, il affirme qu’il a « ajouté un peu de peinture, mais tout cela vient de la réalité. Je n’ai pas vécu tout ce que je dis dans cette pièce, mais je me base sur des faits qui sont arrivés à des gens hébergés, à 97% ». Pour lui, l’imagination et l’humour ne rendent pas moins réalistes des faits « vécus par de nombreux Africains et particulièrement des Comoriens ».
Un militant contre l’injustice
C’est sur les bancs de l’Université à Conakry que Mohamed Issihaka a rencontré l’auteur, il connait son œuvre et il ne manque pas d’éloges pour l’un et l’autre : « Au-delà de ses qualités humaines, son goût de l’équité, son respect pour tout ce qui est profondément humain, c’est un homme qui a l’amour des mots et du théâtre en particulier. » Il rappelle que Kamar-Eddine Ben Abdallah est un militant et un syndicaliste. « Il a été pendant longtemps délégué syndical et il fut le premier président du comité des jeunes auprès de la Confédération des Travailleuses et Travailleurs des Comores (CTTC) ». Il a continué à militer en France, particulièrement dans les associations qui luttent contre l’injustice sociale.
Après des études de Lettres et d’animation culturelle, Kamar-Eddine Ben Abdallah est rentré au pays, mais la situation politique, et particulièrement la quasi inexistence d’une politique culturelle, ne lui a pas permis d’exercer sa profession et sa passion. Il a donc choisi l’exil et la clandestinité en France. C’est dans le cadre d’ateliers de théâtre qu’il a, peu à peu, créé sa pièce avec des témoignages et des dénonciations. Il a retravaillé l’écriture à l’aide d’un professionnel et de nombreux enregistrements.
Le sujet qu’il aborde dans cette pièce est un sujet très sensible pour l’auteur. Il a été très touché d’entendre les témoignages de tous ceux qui ont subi les exactions de ceux qui étaient censés leur rendre service en les hébergeant. « Déjà, de nature, je suis quelqu’un de très sensible et je suis très touché quand je vois une injustice. Je ne peux pas me retenir. »
Sa pièce de théâtre est donc d’abord un appel à la révolte face au mépris et à l’injustice et l’appel est d’abord lancé en direction de ceux qui sont les porte-voix de nos sociétés : « Où sont nos plumes pour écrire et dénoncer ? Où sont nos rues pour manifester pacifiquement ? Où sont nos micros pour crier notre indignation ?»