À propos de l’intervention des médecins tanzaniens à Anjouan la semaine dernière et de l’article de notre collaborateur, Anoir Ahamadi, nous avons reçu deux courriers : l’un de Mohamed Saïd Abdallah Mchangama, ancien Président de l’Assemblée fédérale, ancien ministre des Finances et fondateur de Hayba FM, entre autres médias. L’autre est de Djambaé Shohezi, un Comorien vivant en Tanzanie. Nous les publions ici pour nourrir le débat sur ce genre d’interventions dont le pays s’habitue beaucoup trop, cinquante ans après l’indépendance.
Lettre de M.S.A. Mchangama
À l’attention du Directeur de Publication du Journal MASIWA

Objet : Incompréhension suite à l’article « MISSION MÉDICALE TANZANIENNE À ANJOUAN. LA DÉCEPTION DERRIÈRE L’ESPOIR » (Masiwa N°553)
Monsieur le Directeur,

J’ai pris connaissance avec beaucoup de tristesse de l’article publié dans votre édition n°553 du lundi 13 octobre 2025, intitulé « MISSION MÉDICALE TANZANIENNE À ANJOUAN. LA DÉCEPTION DERRIÈRE L’ESPOIR ».
Certes le journal Masiwa a pour rôle légitime de signaler les maux structurels du système de santé comorien et de dénoncer la désorganisation ou le favoritisme local qui a pu perturber les consultations, je m’interroge sur le choix de cibler une initiative humanitaire et solidaire sans précédent, comme prétexte à une critique politique des autorités comoriennes régionales et/ou nationales.
Cet article donne l’impression que la mission tanzanienne aurait failli à une promesse de prise en charge totale des besoins sanitaires d’Anjouan, voire qu’elle n’aurait été qu’une « consultation déguisée » visant la promotion du tourisme médical tanzanien. Cette lecture est d’autant plus déroutante que les faits et les objectifs de la mission témoignent d’une action solidaire exemplaire et d’une ampleur exceptionnelle sur le continent.
Une Opération de Solidarité fraternelle d’une portée inégalée
L’initiative tanzanienne, qui s’inscrivait dans la réalisation d’une promesse faite par la Présidente Samia Suluhu Hassan, est la première initiative d’une telle envergure entre nos deux pays dépassant de loin le camp médical de l’année dernière à l’Hôpital El Maarouf. Le prochain aura lieu à Mwali.
Contrairement à l’image d’un échec, les données issues,, de cette mission d’une semaine, en attendant un rapport exhaustif, démontrent son succès et sa portée :
Nombre de Spécialistes : L’équipe était composée d’une cinquantaine de médecins et professionnels médicaux.
Domaines d’Expertise : Ils provenaient d’institutions majeures du système de santé tanzanien :
JKCI: Jakaya Kikwete Cardiac Institute
MOI: Muhimbili Orthopaedic Institute
Ocean Road: Ocean Road Cancer Institute
Benjamin Mkapa: Benjamin Mkapa Hospital à Dodoma,
Muhimbili: Muhimbili National Hospital
et représentaient 17 spécialités. Les services incluaient, entre autres, la cardiologie, l’oncologie, les maladies oculaires, dentaires, rénales et les troubles de la reproduction.
Patients Pris en Charge : Au total, 3 653 patients ont bénéficié de soins médicaux.
Opérations et Soins : La mission a permis de réaliser 20 opérations chirurgicales majeures. Les services étaient fournis gratuitement, y compris les médicaments et les traitements. De plus, le Médical Stores Department de Tanzanie a fait don de médicaments d’une valeur de 20 000 euros.
Qualifier cette initiative de « déception » parce qu’elle n’a pas pu opérer immédiatement, tous les cas complexes sur place, tels que les cataractes nécessitant un transfert, revient à ignorer la nature même d’un camp médical spécialisé, de courte durée. Les médecins tanzaniens sont venus avec du matériel moderne pour le diagnostic et ont fourni des consultations et des diagnostics, incluant des références (20 patients pour JKCI seulement). Le renvoi de patients nécessitant des opérations chirurgicales complexes en Tanzanie est une étape logique pour garantir des soins spécialisés. Quel autre pays devrait recommander les médecins tanzaniens, pour le suivi d’un traitement, demandant des équipements et/ou une expertise non disponibles dans l’Union ?
Les médecins tanzaniens sont les premiers à signaler à leurs interlocuteurs comoriens, le pourcentage de patients comoriens qui se rendent en Tanzanie, alors que leur état de santé ne justifie pas un déplacement si coûteux.
Mettre en Lumière la Coopération Sud-Sud
Cette coopération n’est pas seulement un acte humanitaire ponctuel, mais elle s’inscrit dans une perspective de long terme. La Tanzanie a assuré qu’elle poursuivrait la coopération, notamment à travers la formation des professionnels de santé comoriens et l’établissement d’un meilleur mécanisme pour les cas de référence médicale.
Il est difficile de trouver, sur le continent, un exemple récent d’une telle opération d’assistance gratuite, mobilisant autant de spécialistes (52), d’un pays du Sud à un autre, en dehors, peut-être, d’un contexte de catastrophe naturelle majeure.
Monsieur le Directeur, en dépit des critiques légitimes concernant la gestion locale ou les faiblesses du système comorien, je crois qu’il est impératif de saluer et d’encourager ce genre d’actes de solidarité fraternelle. Réduire cet exploit d’entraide à une simple opération de communication ou à une occasion manquée, c’est manquer de respect aux 52 spécialistes qui se sont déplacés, et surtout aux 3 653 patients qui ont bénéficié de soins essentiels. C’est oublier que la Tanzanie est le pays frère qui a toujours été à nos côtés, depuis la période de l’éveil à l’indépendance. Il était le seul.
J’espère que vos prochaines éditions sauront rendre compte de la véritable portée de cette coopération.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de ma haute considération.
Said Mchangama. twitter : @mchangama. Instagram : saidmchangama
Réponse à M. S. A. Mchangama
Monsieur le Président,
Tout d’abord, au nom de la rédaction de Masiwa, je vous remercie de nous faire part de vos remarques sur l’article écrit par l’un de nos correspondants à Anjouan à l’occasion du passage d’une mission médicale dans cette île.
Je peux vous assure qu’il n’a jamais été dans l’objectif de notre journaliste de cibler cette « mission humanitaire », et encore moins de s’en servir pour une critique qui serait injustifiée des autorités locales, les raisons ne manquent pas pour cela.
Je vous prie de croire que la déception vis-à-vis de cette mission humanitaire a été grande, elle n’est pas celle du journaliste de Masiwa, mais de la population qui pensait bénéficier de soins totalement gratuits, et particulièrement d’opérations chirurgicales.
Notre journaliste ne s’est pas contenté de relever des informations sur internet et de rapporter des rumeurs. Il a passé toute la matinée à l’hôpital de Bambao Mtsanga à observer ce qui se passait, et il a parfaitement rendu compte de la grande déception de ceux qui espéraient être soignés et qui ne l’ont pas été. Vous évoquez 20 opérations (sur 3653 patients), rien que ces chiffres devrez vous permettre de comprendre une partie de la déception des Comoriens. Cette déception est d’autant plus compréhensible que les Anjouanais ont reçu ces dernières années plusieurs missions du même genre que celle des médecins tanzaniens (qui n’avait rien d’exceptionnel) : missions indienne, arabe et chinoise. Au cours de ces missions, nombre de nos compatriotes ont pu bénéficier de nombreuses opérations chirurgicales (cataracte, fibrome, hernies, maladies cardiovasculaires). Tout cela gratuitement.
Parmi les personnes déçues par la mission tanzanienne et rencontrées par d’autres journalistes collaborateurs de Masiwa, il y a cette dame qui nous confirme avoir payé 30.000FC des analyses, d’autres ne pouvant sortir les sommes demandées sont partis sans avoir été consultés. D’autres ont raconté à nos journalistes que les médecins leur ont remis des cartes de visite, ont pris les numéros des patients en leur disant qu’ils allaient les appeler pour voir s’ils peuvent se rendre en Tanzanie et leur ont dit que de toute façon les cliniques privées dans lesquelles les Comoriens se rendent les appellent pour effectuer les actes. Tout cela a donné l’impression a beaucoup de patients que ces médecins étaient aussi là pour faire de la publicité afin d’inciter les Comoriens à se rendre dans leurs hôpitaux pour se faire soigner.
Monsieur le Président, je ne vous suis plus quand vous affirmez : « il est impératif de saluer et d’encourager ce genre d’actes de solidarité fraternelle » ou encore « c’est manquer de respect »… Vous avez fondé plusieurs organes de presse et ce n’est pas moi qui vais vous faire la leçon sur le fait que les journalistes ne sont pas là pour applaudir ou donner des médailles, et il ne s’agit nullement de respect. Notre journaliste est quelqu’un de très respectueux, mais ce n’est pas pour cela qu’il ne va pas rendre compte de ce qu’il a pu observer pendant une demi-journée. Notre journaliste a fait son métier comme il fallait et suite à votre courrier, j’ai pris le temps d’interroger d’autres journalistes de deux médias nationaux, ils confirment tous les informations rapportées par le journaliste de Masiwa et vont même au-delà.
La Tanzanie, comme d’autres pays (France, Maroc, Qatari, Turquie…) a suffisamment de soutiens au sein de la classe politique et des intellectuels et cadres comoriens. Dans la situation actuelle de monétisation de la presse comorienne, il m’importe que les journalistes se soucient de la parole de la population et de son ressenti, surtout après une telle opération, que de la défense d’une opération dont les tenants et les aboutissants ne sont pas encore clairs.
Recevez, Monsieur le Président, mes respectueuses salutations.
Pour la Rédaction, M. Ibrahime, Directeur de la publication














