Après des hésitations, à moins d’un mois de l’investiture d’Azali Assoumani, le gouvernement a décidé d’envoyer en prison Mohamed Daoud Kiki, ancien ministre de l’Intérieur, ancien maire de la capitale et l’un des cinq candidats qui contestent la validation des élections du 14 janvier dont les preuves de fraudes n’ont cessé de s’accumuler.
Par MiB
Les circonstances qui entourent l’arrestation de l’ancien ministre de l’Intérieur, Mohamed Daoud Kiki, restent encore sujettes à caution, mystérieuses et cocasses. Selon certains témoignages, qui nous viennent essentiellement de ses partisans, le leader du parti Orange aurait remarqué lui-même (ou ses partisans dans le quartier Toping où il habite à Moroni) que ces derniers temps il était constamment suivi par trois agents des services de Renseignements, deux dans une voiture garée depuis plusieurs jours devant son domicile et l’autre sur une moto identifiée comme appartenant aux Renseignements.
Une histoire rocambolesque
Deux de ces agents auraient pénétré dans sa propriété, selon son avocat, Me Saïd Larifou. L’un aurait réussi à fuir et l’autre a été saisi. Les gens du quartier et les militants du parti Orange se sont regroupés devant le domicile de l’ancien ministre. Mohamed Daoud aurait mis en sécurité l’individu pour lui éviter un lynchage. Il lui aurait confisqué son appareil photo. Puis, il aurait pris la décision de l’amener à la gendarmerie pour porter plainte contre lui pour harcèlement, mais aussi pour violation de domicile. Mais, arrivé à la gendarmerie, c’est bien Mohamed Daoud qui a été arrêté et mis en cellule le soir même, mardi 30 avril, pour séquestration d’un agent de police et confiscation de son matériel. Son avocat affirme que le leader du parti Orange a remis à la gendarmerie l’appareil photo en question.
Mohamed Daoud a été gardé en cellule durant deux nuits avant d’être entendu par le juge Abdoulbar Mmadi, jeudi 2 mai. Son ordonnance de mise en détention provisoire a été sciemment rendue publique, révélant ainsi à tous certains éléments de sa vie privée et notamment son numéro de téléphone. Une fuite parfaitement contrôlée.
À l’issue de sa comparution au Palais de Justice de Moroni, à huis clos (même les journalistes ont été maintenus en dehors du Palais), l’ex-ministre de l’Intérieur d’Azali Assoumani a été mis en détention provisoire à la prison de Moroni, une prison surpeuplée et aux conditions de vie inhumaines, comme l’ont rapporté plusieurs témoins.
Une accusation légère et arbitraire
L’objectif du gouvernement, dont on a signalé à plusieurs reprises qu’il contrôle les juges et leurs décisions, est de briser l’homme autrefois si puissant et dont l’expression préférée était : « La situation est sous contrôle ». Il est aujourd’hui lui-même mis sous contrôle, après ce qui ressemble fortement à un guet-apens tendu par ses anciens collègues du gouvernement et du ministère de l’Intérieur.
Il est poursuivi pour cinq chefs d’accusation : « violence et séquestration » d’un agent de police, « contestation des résultats officiels des élections du 14 janvier », « appel à la désobéissance des lois du pays et le discrédit sur les institutions » (sic), « incitation à la violence », « Apologie à des faits de crime et délits » (sic).
L’expérience du système dictatorial en vigueur aux Comores nous a appris que quand une ordonnance de mise en détention provisoire est autant chargée, c’est qu’il est probable que le dossier est vide et qu’il y a peu d’éléments de preuves, ce qui n’empêche pas l’accusé d’être condamné par la suite et même à de lourdes peines, quitte à lui de demander le pardon du chef de l’État et d’obtenir sa grâce.
Et effectivement, si l’on prend une à une ces accusations, on se rend compte qu’elle ne mène à rien. A-t-il violenté et séquestré un agent des Renseignements ? Il semble plutôt qu’il l’a protégé de la foule et même on peut se demander ce que cet agent faisait chez un ancien ministre, même s’il est à présent dans l’opposition ? Il a contesté les résultats frauduleux des élections du 14 janvier ? Qui, à part les membres de la CRC, ne l’a pas fait ? Azali Assoumani a-t-il l’intention d’arrêter les quatre autres candidats à la présidentielle et les 30 candidats aux postes de gouverneurs qui tous contestent les élections ? compte-t-il arrêter les membres de l’Ambassade des États-Unis, de l’Afrique du Sud, les représentants de l’Union européenne qui tous mettent en cause les élections et n’ont pas reconnu les résultats ?
Mohamed Daoud aurait fait appel à la désobéissance des lois, à la violence, aux crimes et délits ? Il vaut mieux en rire. Mais, on constate que plus que tout autre le régime mis en place par Azali Assoumani n’en finit pas de ridiculiser la justice et les magistrats.
En effet, tout magistrat qui se respecte viendrait devant la presse ou les citoyens qu’il est censé servir expliquer quelle enquête il a ordonnée et qui justifie qu’un opposant politique soit en permanence suivi jusqu’à la violation de son domicile (si l’on en croit son avocat). En réalité, comme d’habitude, les agents des Renseignements agissent sous les ordres du ministre de l’Intérieur ou du gouvernement sans aucun mandat de la Justice, comme les militaires se livrent à des actes de tortures hors de toute action judiciaire. C’est une fois qu’ils ont fait avouer n’importe quoi aux accusés qu’ils remettent le dossier à un juge et que celui-ci assume toutes les entorses aux lois commises par le pouvoir exécutif, fait semblant d’instruire une affaire déjà instruite par les Renseignements ou les militaires. Et un autre juge n’a plus qu’à condamner l’opposant selon les instructions du pouvoir.
Des partisans qui restent calmes
Le parti Orange a plutôt accueilli avec calme l’arrestation de son chef, comme pour contredire cette accusation d’appel à la violence ou à la désobéissance des lois. Quelques militants étaient aux abords du Palais de Justice lorsqu’il était interrogé par le juge. Ils se sont dispersés après son départ vers la prison.
Lors d’une conférence de presse tenue à Moroni, Kaambi Mohamed, un des cadres du parti, a rappelé plusieurs fois que le parti Orange est un parti qui cherche la paix et le calme. Il a affirmé que Mohamed Daoud n’a rien à se reprocher et qu’il s’agit bien d’un complot monté de toutes pièces. Un autre cadre a affirmé sans ambiguïté que des responsables politiques ont appelé des journalistes de la place, avant même l’arrestation, pour leur donner une version qu’ils devaient propager.
Le gouvernement Azali semble se retenir pour ne pas remettre en prison un grand nombre d’opposants ou les pousser de nouveau à l’exil., comme il l’a fait après les présidentielles de 2019. Bien que le remuant ministre de la Justice, Djaé Ahamada, ait tout de même invité les opposants à s’exiler dans l’île de Mwali, considérée comme l’étranger.
Mais, on peut observer que cette volonté de ne pas recourir à la prison pour éliminer les opposants n’a pas tenu longtemps. Les arrestations liées aux élections de 2024 ont commencé. Quelques jours avant l’élection, Achmet Saïd Mohamed à qui le gouvernement avait assuré qu’il pouvait revenir de son exil et participer aux élections a été piégé et arrêté par les Renseignements. Après les élections, un des cadres importants du parti Orange, surnommé Obama, a déjà été arrêté et emprisonné pour contestation des résultats. Le porte-parole de l’opposition, Ibrahim Abdourazak dit Razida, a quant à lui été arrêté, il y a moins d’un mois, le 8 avril, quelques jours avant l’aïd el-fitr, après avoir rompu le jeûne avec les candidats aux présidentielles.
Dans une conférence de presse organisée à Paris, l’un de ses avocats, Me Saïd Larifou, a annoncé que d’autres avocats sont prêts à défendre Mohamed Daoudou. Une délégation d’avocats de diverses nationalités devrait se rendre aux Comores pour cela.