Trois mois après le siège de Mbeni et les violences contre la population, l’un des avocats chargés de mener les enquêtes en vue de lancer des procédures judiciaires, Me Gerard Youssouf confirme que des éléments de l’AND se sont livrés à des viols, et qu’en plus parmi les victimes, il y a deux enfants violées devant leurs parents. Le chargé de la Défense a déjà fourni une réponse en conférence de presse : il n’y a aucune vidéo qui prouve ces viols.
Par Propos recueillis par MiB
Masiwa – Me Gérard, après les événements survenus à Mbeni en octobre dernier, vous faites partie des avocats vers lesquels les familles se sont tournées. Est-ce qu’une plainte a été déposée ?
Me Gérard Youssouf – Les événements survenus dans la ville de Mbeni du 12 au 16 octobre 2022 ont été suivis de poursuites judiciaires arbitraires à l’endroit de dizaines de personnes dont des mineurs innocents. À cet effet, il a fallu engager des avocats pour les assister et les défendre. C’est dans ce contexte que plusieurs conseils ont été constitués pour tenter d’obtenir un procès équitable dans un délai raisonnable tel qu’il résulte de l’article 15 de la Constitution.
Personnellement, j’ai été constitué avec une équipe d’experts judiciaires pour mener une enquête objective afin de connaitre l’étendue, la portée et l’ampleur des dégâts causés par l’intervention de l’armée comorienne durant leur siège de quatre jours à Mbeni.
La question de la saisine ou pas de la justice comorienne relève d’une procédure planifiée avec les parties civiles conformément à notre convention. Je peux vous affirmer que des plaintes seront prochainement initiées tant au plan national qu’international. Avec les représentants de la diaspora de Mbeni en France, nous nous sommes mis d’accord sur un planning qui consiste à saisir d’abord les différents Comités d’experts des Nations Unies pour chaque cas et les organisations internationales de défense des droits de l’homme pour solliciter l’ouverture d’une enquête internationale sur les massacres, tortures et sévices subis injustement par la population de Mbeni.
Masiwa – Quels sont les autres avocats ? Qui, précisément, vous a mandatés ?
Me Gérard Youssouf – Il y a eu plusieurs avocats dans cette procédure et il n’est nul besoin de les citer. Je voudrais plutôt les féliciter pour le travail remarquable qu’ils ont accompli pour le triomphe de notre justice et la sauvegarde des droits de la défense dans un pays où la présomption de culpabilité prime au détriment de la présomption d’innocence.
Masiwa – Quels sont les principaux éléments qui justifient cette plainte ?
Me Gérard Youssouf – Nous avons établi un tableau qui illustre bien l’ampleur du forfait de nature criminel commis dans la ville de Mbeni. À ce tableau noir, s’ajoutent les 86 personnes victimes des sévices, tortures, traitements cruels et inhumains, coups et blessures volontaires.
Au-delà des constats sur les destructions volontaires de biens, nous sommes en possession de preuves suffisantes et témoignages des victimes des exactions et actes horribles commis par les militaires dans la ville de Mbeni. Les images des blessures et les dossiers médicaux des uns et des autres constituent des preuves solides dans le cas d’une plainte pour crimes contre l’humanité tels que définis par le Code Pénal des Comores.
Il y a 86 personnes victimes de sévices et de traitements cruels et 126 personnes victimes de destructions de biens, meubles et immeubles. Certains ont été battus avec matraques, coups de pied et trainés par terre sur une distance allant jusqu’à 10 mètres. D’autres ont subi des corvées dans les casernes militaires pendant des heures sous un soleil ardent. Dans les casernes, certains étaient privés de nourriture et souffraient énormément des conditions de détentions. Bon nombre de ceux ou celles qui avaient des blessures n’ont reçu aucune assistance médicale. Des femmes ont raconté l’immoralité et le comportement inhumain des militaires qui les ont battues, insultées et maltraitées dans leurs maisons sans aucun état d’âme.
Masiwa – Avez-vous estimé la valeur des dégâts commis par les militaires à Mbeni ? Y a-t-il eu des vols commis par les militaires ?
Me Gérard Youssouf – À titre principal, les dégâts commis dans la ville de Mbeni sont estimés à 245 550 000 FC. On peut y ajouter 49 véhicules détruits dont 32 faisaient du transport en commun pour subvenir aux besoins de leurs familles. Le manque à gagner représente pour les deux mois d’immobilisation la somme 102 900 000 FC à raison de 35 000 FC par jour et par voiture. En définitive, l’intervention militaire de l’armée comorienne à Mbeni a causé des pertes et préjudices évalués à 348 450 000 FC au détriment de 126 foyers.
Masiwa – On a parlé aussi de viols ou d’agressions sexuelles de la part des soldats ? Une telle chose est-elle imaginable aux Comores ?
Me Gérard Youssouf – Effectivement, il y a eu 17 cas de tentatives de viols et plusieurs cas de viols. Les personnes concernées sont encore sous le choc. Compte tenu de leur situation sanitaire et psychologique, ils n’étaient pas en mesure de signer leurs déclarations. Nous sommes tenus de garder l’anonymat de ces victimes qui ont déclaré avoir été violées brutalement par des militaires. Certaines ont fait l’objet d’un viol collectif et d’autres dans leurs maisons en présence de leurs parents. Il y a lieu de préciser que deux enfants mineurs âgés de 12 et 14 ans ont été violés dans leur maison familiale en présence de leur père et mère. À un moment, ces militaires ont voulu aussi violer la mère, mais l’un d’eux s’est interposé.
Masiwa – Quel bilan fait-on sur les blessés ?
Me Gérard Youssouf – Le bilan des blessés est très lourd, car on compte plus d’une dizaine de blessés dont 7 ont fait l’objet d’évacuations sanitaires en Tanzanie, à Madagascar, au Sénégal et en Égypte. La prise en charge des personnes blessées par balles réelles évacuées à l’hôpital de Mbeni jusqu’à leur transfert à Moroni a coûté à la ville la somme de 850 000 FC. Leurs évacuations à l’extérieur ont coûté à la diaspora de Mbeni en France 13 306 100 FC, soit la somme de 27 100 euros.
Masiwa – Est-ce qu’un soldat qui a obéi aux ordres pour commettre des exactions dans une opération de maintien de l’ordre peut être poursuivi à titre individuel ?
Me Gérard Youssouf – L’histoire ne ment pas, il est le seul juge. Sous aucun prétexte les militaires et leurs complices qui ont commis les massacres de Mbeni n’y échapperont. Ils répondront tous de leurs actes, car les crimes commis sont imprescriptibles. Il y a 12 ans, les mêmes décisions ont été prises en Guinée Conakry et il y a deux mois ils étaient à la barre. Tous les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et autres commis ces deux dernières années par ce régime seront jugés. Il faut noter qu’entre 2020 et 2023, il y a eu cinq crimes contre l’humanité commis aux Comores.
Masiwa – À titre personnel, que pensez-vous de la manière dont les militaires interviennent dans les villages et même au cours des manifestations ?
Me Gérard Youssouf – À chaque fois que les militaires interviennent, sous prétexte de maintien de l’ordre, ils commettent autant de crimes sexuels et des crimes contre l’humanité, lesquelles s’ajoutent aux pillages et soustractions frauduleux des objets de valeur comme des bijoux et de l’argent. C’est ce qui s’est passé à Mbeni comme à Ntsoudjini et à Ndzaouze. À Mbeni, plus de VINGT foyers ont fait l’objet de vols de leurs bijoux durant cette intervention militaire.
Il faut bien reconnaitre que notre armée a commis le pire de son histoire. Je le dis sous la foi de mon serment : il y a eu des viols, des agressions sexuelles à Mbeni. Dans ce genre de situation, il y a toujours des responsables comme le prévoit l’article 14 de la Constitution. L’État comorien est responsables des massacres et des crimes de tous genres orchestrés par son armée sur la ville de Mbeni. Parmi les responsables figurent le chef de l’État, chef suprême des Armées, le chef d’État-major et le chargé de la Défense. Si de tels Crimes ont été perpétrés contre une population civile c’est tout simplement parce que le locataire de Beit-Salam a pris cette décision et a transmis des instructions fermes par voie hiérarchique.
Je pense que le comportement des militaires dans les villes est à la fois irrespectueux et immoral. Il faudrait en urgence inclure des cours d’éducation civique dans les casernes afin de leur inculquer les valeurs républicaines. Ils doivent tous maitriser les devoirs humains, la valeur de libertés publiques ainsi que la portée de leur mission en tant que gardiens de la nation. Sans cela, nous continuerons à vivre comme dans la jungle et à être traités comme des bêtes sauvages. Que Dieu sauve le peuple comorien.
Propos recueillis par MiB