La fuite vers Mayotte d’Aboukaria Ahamada Abdillah, la mère d’Ahmed Abdou dit Fanou, relance l’affaire de l’assassinat de son fils, puisqu’aussitôt arrivée avec ses enfants, elle a porté plainte, aussi bien pour l’assassinat du jeune gendarme de 24 ans que pour la persécution dont elle est victime, elle et sa famille de la part de la gendarmerie des Comores.
Par MiB
Aboukaria Ahamada Abdillah, mère du jeune gendarme Ahmed Abdou dit Fanou, est arrivée à Mayotte ce jeudi 31 octobre avec son mari, ses enfants et son frère. Ce groupe a pu se jouer de la vigilance de la gendarmerie et des services de Renseignement comoriens pour échapper aux fortes pressions dont ils sont victimes depuis plusieurs semaines. Et cela malgré le fait que leurs papiers sont retenus à la gendarmerie de Moroni, afin de les décourager de quitter le pays.
Exfiltrés par Me Saïd Larifou ?
La famille de Fanou a quitté l’île de Ngazidja dans la nuit de mercredi à bord d’une vedette à destination d’Anjouan. Ils sont une dizaine, dont les six enfants avec lesquels celle qu’on appelle affectueusement « maman Fanou » vivait. D’Anjouan, ils sont arrivés dans l’île de Mayotte où les attendait Me Saïd Larifou, avocat et opposant au régime en place à Moroni.
Aussitôt arrivés à Mayotte, ils ont été conduits par Me Saïd Larifou au tribunal de Mamoudzou pour porter plainte. Aboukaria Ahamada et son frère ne manquent pas d’éloges à l’égard de l’avocat franco-comorien qui aurait tout fait pour les sortir de Ngazidja. Le rôle de Me Larifou dans l’exfiltration de cette famille reste encore à préciser, mais dans les réseaux sociaux, les Comoriens ne manquent pas d’éloge à son égard.
Joint au téléphone, Me Saïd Larifou ne dément pas avoir joué un rôle dans la sortie de Maman Fanou et de ses enfants de Ngazidja. Il a expliqué à Masiwa qu’une fois la famille arrivée à Mayotte, il l’a assistée dans le dépôt de plainte d’une part pour l’exécution d’Ahmed Abdou dit Fanou et d’autre part pour la persécution que subit la famille et notamment un enfant de dix ans depuis plusieurs semaines de la part de la gendarmerie comorienne, dans un contexte où le Procureur de la République, Ali Mohamed Djounaid, a affirmé que le dossier de « la mort » de Fanou était clos. L’avocat confirme aussi que des éléments de preuves (photos et sans doute vidéos) ont été remis à la Justice française à Mayotte. Il entend assister la famille avec un autre confrère parisien, Me Jonas. On sait aussi que derrière Me Larifou se trouve un collectif d’avocats internationalistes et panafricanistes depuis la défense qu’ils ont assurée à l’actuel Premier ministre du Sénégal, Ousmane Sonko.
L’avocat franco-comorien a également déposé un dossier de demande d’asile auprès de l’Office français de Protection des Réfugiés et Apatrides afin d’obtenir une protection internationale pour « persécution, menaces et tortures » en faveur de la famille de Fanou.
Fuir la persécution
La persécution est avérée et nous en avons déjà parlé dans les colonnes de Masiwa (Lire « Affaire Ahmed Abdou Fanou. Le calvaire d’une mère » dans Masiwa n°500). Il faut imaginer l’état psychologique d’une mère à qui on amène le corps de son ainé, et qui à travers les stigmates imagine les tortures qu’il a subies durant plusieurs heures. Elle a à peine le temps d’enterrer ce corps que le lendemain, avant même les prières du troisième jour, elle assiste, impuissante, à l’arrestation de son mari et de son autre fils de dix ans, soupçonnés d’avoir diffusé les informations sur l’état du corps du supplicié. Elle doit délaisser ses autres enfants pour assister les deux prisonniers, en leur apportant régulièrement la nourriture nécessaire en prison.
Cela ne suffit pas, puisqu’elle doit supporter ce que Me Saïd Larifou, sur le plateau de Mayotte la 1ère a appelé « un chantage odieux ». Le commandant de la gendarmerie de Ngazidja, Loukman Azali, fils du chef de l’État, lui demande de témoigner qu’il n’y avait aucune trace de tortures sur le corps de son fils, si elle veut la libération de son mari, de son fils de 10 ans et de sa sœur. Alors elle a accepté l’interview avec le fameux Nono qui a affirmé qu’il avait gagné le pactole en référence à l’argent qu’il escomptait gagner grâce à ce « travail ». La fuite de la famille de Fanou a permis de confirmer que pendant cette interview réalisée dans une voiture, le commandant Loukman Azali était présent et qu’Aboukaria Ahamada Abdillah ne pouvait pas dire ce qu’elle voulait. Elle a donc menti en affirmant que le corps de son fils ne portait aucune trace de tortures, afin d’obtenir la libération de ses proches.
C’est ce que résume le frère d’Aboukaria Ahamada quand il affirme de Mayotte : « On est tous persécutés, c’est pour cela qu’on a tous fui »
La persécution, comme la torture est un crime au niveau international, ceux qui se sont livrés à ces crimes pourraient avoir du mal à sortir du pays, si les juges français estiment qu’il y a suffisamment de preuves. Mais, l’instruction peut aussi durer pendant des années jusqu’à ce que tout le monde oublie. Et même après la fin de l’instruction, il se pourrait que les présumés coupables ne soient pas poursuivis, comme c’est le cas pour l’ancien ministre des Affaires étrangères, Dhoihir Dhoulkamal, qui a arnaqué la Caisse d’Allocations familiales et la Sécurité sociale françaises et pour qui le juge de la Réunion dit que l’instruction est terminée, mais qui n’est toujours pas encore recherché. En tout cas, la justice comorienne pourrait connaître une certaine humiliation pour avoir trop rapidement clos le dossier de l’assassinat du jeune Ahmed Abdou dit Fanou, en voyant que la Justice française décide d’enquêter à sa place.
En attendant que les juges français se prononcent sur l’assassinat d’Ahmed Abdou dit Fanou ou sur la persécution de sa famille, la maman et ses six enfants ont plusieurs rendez-vous avec des spécialistes, notamment pour évaluer l’impact de ces persécutions sur leur santé physique et mentale.
Les enfants vont pouvoir voir un pédopsychiatre et la mère tenter de retrouver une tension normale. Son avocat nous apprend qu’elle a recommencé à se nourrir, alors qu’elle ne mangeait presque plus depuis l’exécution de son fils.
Sur l’affaire FANOU, à lire dans Masiwa :
- MiB, « Ahmed Abdou Fanou. Exécuté”, Masiwa n° 497 du 16/09/2024 https://masiwa-comores.com/politique/ahmed-abdou-fano-execute/
- MIB, « Agressions d’Azali Assoumani. Les réactions », Masiwa n° 497 du 16/09/2024 https://masiwa-comores.com/politique/agression-dazali-assoumani-les-reactions/
- Lune, « L’État n’a pas vocation à défendre un citoyen au détriment d’un autre », Masiwa n° 498 du 23/09/2024 https://masiwa-comores.com/?s=%C2%A0L%E2%80%99%C3%89tat+n%E2%80%99a+pas+vocation+%C3%A0+d%C3%A9fendre+un+citoyen+au+d%C3%A9triment+d%E2%80%99un+autre
- Omar Mirali, « Beit-Salam, transformé en cellule de tortures », Masiwa n° 498 du 23/09/2024 https://masiwa-comores.com/opinion/affaire-fanou-beit-salam-transforme-en-cellule-de-tortures/
- Me Saïd Larifou, interview : « Azali Assoumani est bien seul et unique responsable de ce qui lui est arrivé », Masiwa n° 498 du 23/09/2024 https://masiwa-comores.com/politique/me-said-larifou-president-du-pactef-ridja-azali-assoumani-est-bien-seul-et-unique-responsable-de-ce-qui-lui-est-arrive/
- MiB, « Exécution d’Ahmed Abdou Fanou. La sale communication du gouvernement », Masiwa n° 498 du 23/09/2024 https://masiwa-comores.com/politique/editorial-execution-dahmed-abdou-fanou-la-sale-communication-du-gouvernement/