De longs mois déjà, même des années, que les Comoriens assistent, impuissants à une chute vertigineuse de leur pouvoir d’achat. De l’épicerie du coin au bureau de l’état civil ou dans tout service de l’État, la situation est la même : tout a augmenté. La population suffoque. Le niveau de vie a spectaculairement baissé.
Par Mounawar Ibrahim
Pour les autorités, cette situation est une conséquence directe de la crise sanitaire due au covid-19 et maintenant de la guerre en Ukraine. Une théorie qui peine à convaincre. Les Comoriens ne comprennent pas. A Madagascar, pays voisin aux conditions de vie relativement comparables à celles des Comores, le gouvernement agit. Pour accompagner la population à faire face à la crise, il a annoncé l’augmentation des salaires dans le privé comme dans le public. Le salaire minimum qui était de 47 euros est passé à 59,50 euros. Un geste, certes insuffisant, mais bien accueilli par l’opinion qui a vu de la compassion de la part des gouvernants.
Une décision unilatérale d’augmenter les prix des hydrocarbures
Aux Comores rien de tel n’est préconisé. Le 31 mai, les Comoriens se sont réveillés avec un arrêté qui fixait les nouveaux tarifs des hydrocarbures avec une hausse de presque 40% sans qu’aucune concertation n’ait été préalablement réalisée. Encore moins, une explication sur la logique de ces prix nouveaux aux conséquences désastreuses. Ce jour-là, les chauffeurs de taxi ont profité de l’absence d’une réglementation sur les nouveaux frais de transport, conséquence de la hausse du prix de l’essence pour accroître leurs profits. L’anarchie au niveau des tarifs a duré environ vingt-quatre heures. Le lendemain, une harmonisation tirée des cheveux selon plusieurs chauffeurs de taxi a été annoncée. Les ministères de l’Économie et des Transports et le bureau national du syndicat Wusukani wa Masiwa ont fixé les tarifs des transports par zone.
Pour Moroni-ville, le prix n’est plus 200 FC mais 300. Moroni-Dimani est maintenant à 900FC. Les taximen de la ligne Moroni-Mistamiouli ont rejeté les tarifs qu’on leur avait fixés. Ils se sont mis en grève pour manifester leur désapprobation. Ceux de la région de Hambou pensent pareil. « Et nous, qui a pensé à nous ? », avance une femme interrogée dans les rues de la capitale. Elle croit savoir que « les taxis seront les premiers à perdre gros dans cette histoire, car personne n’en prendra un sauf par grande nécessité. Comme lorsqu’on a beaucoup de colis à transporter. Vous ne voyez pas que beaucoup de taxis roulent vides à Moroni ? » ajouta-t-elle.
Des conséquences dans la vie quotidienne
Beaucoup de personnes préfèrent marcher au lieu de se payer les services d’un taxi. Des gens qui prenaient un taxi pour une courte distance se trouvent dans l’obligation de parcourir la ville à pied. Un choix réaliste et non de contestation. Une femme de ménage qui travaillait dans la région de Bambao a informé son employeur qu’elle ne pourra pas continuer si ses conditions salariales ne sont pas améliorées. Elle voulait tout simplement faire face à la hausse des frais de transport. Une demande évidemment refusée, car son « patron » est aussi dans le rouge.
La Fédération comorienne des Consommateurs, qui est toujours présente malgré ses moyens limités et ses marges de manœuvre réduites, a interpellé les gouvernants. Elle leur a demandé de « revoir à la baisse ces augmentations qui s’avèrent « brutales et vertigineuses ». Elle a proposé aux autorités de « recadrer les tarifs sauvages appliqués à tous les niveaux » et de « mener des réflexions à court terme pour une gestion plus saine du pays », « le consommateur comorien n’a pas à subir ces coups de massue à répétition », ajoute l’organisation. La FCC appelle également « toutes les organisations de la société civile et les citoyens à se mobiliser pour lutter contre les menaces perpétuelles sur leur pouvoir d’achat ». Des vœux qui risquent de ne rencontrer aucun écho dans les deux camps. Les autorités comme la population.
Des revendications contre la vie chère
La Confédération des Travailleurs comoriens (CTC), elle aussi n’y va pas de main morte : elle « appelle toute la population à rejeter cette décision et à observer une désobéissance civile et demander le retrait de cette décision sachant qu’aucune mesure ne sera prise pour atténuer les conséquences économiques et financières ». Elle appelle en outre à une mobilisation générale de toutes les classes de la population (travailleurs et travailleuses, politiques, démocrates, jeunes, étudiants, retraités, chômeurs…) pour manifester contre cette décision cynique, éhontée et irresponsable des autorités comoriennes ».
Des artistes se sont aussi joints à la démarche pour demander surtout une mobilisation générale contre la vie chère.
Le vendredi 3 juin, le gouvernement en manque d’idées, et en l’absence du président qui sillonne la planète pour assister à des conférences, a invité certaines organisations de la société civile à la présidence de la République pour discuter autour de cette crise qui pourrait s’enliser. La carte jouée par Beit-Salam reste la survie de la Société nationale des hydrocarbures qui ferait faillite selon elle, si rien n’est fait. Mais, là encore, la pilule est passée de travers. Les visiteurs n’ont rien compris sur les calculs faits pour aboutir à de tels prix. Ils se demandent surtout pourquoi c’est à la population de supporter tout le coût de la crise actuelle.
La FCC demande, par exemple, aux autorités « d’investir sur des citernes de stockage pour pouvoir réduire le rythme insoutenable des approvisionnements et les frais qui en résultent à chaque cargaison ».
La principale question qui occupe les débats publics est : qu’est-ce qui finira par indigner le Comorien ? Si une situation qui n’a rien à voir avec les manipulations politiciennes, mais qui affecte directement son quotidien, ne le pousse pas à réclamer son dû, qu’est ce qui le fera sortir un jour de sa réserve ?