Le malaise qui règne au sein du journal de l’État, Alwatwan, s’est traduit la semaine dernière par la production de deux communiqués issus de la rédaction, mais qui défendent des positions diamétralement opposées, après les paroles du Secrétaire général du parti au pouvoir (CRC) sur ce que devrait faire un journaliste d’Alwatwan. Le problème est plus profond que les journalistes ne veulent le laisser entendre et surtout la crise dure depuis très longtemps, à cause des différents groupes d’influences gouvernementaux au sein de la rédaction.
Par MiB
C’est une histoire qui nous vient d’un temps ancien. On l’a entendu sous le gouvernement Taki, mais elle a été théorisée sous Azali 1 : un journaliste d’un média public ne peut pas présenter les arguments de l’opposition, sinon, il doit aller dans les médias privés. Les arguments contre cette théorie sont aussi éculés, nous les avons employés durant des années : un journal de l’État n’est pas le journal d’un gouvernement et il n’est pas financé par un parti politique.
Une lettre sans destinateur
Après le chef de l’État, les réseaux sociaux se sont enflammés à propos des accusations d’agressions sexuelles à l’ORTC. En effet, lors des vœux de la presse au chef de l’État, la représentante du Syndicat national des Journalistes des Comores (SNJC) avait lu un discours en l’absence de la présidente et ce discours accusait d’une manière vague et sans saisine préalable de la justice, des hommes qui se livraient à des agressions sexuelles contre des jeunes femmes à l’ORTC. Le Directeur de l’ORTC se sentait visé et menaçait de porter plainte. C’est dans ce contexte qu’une « Lettre ouverte » signée de « La Rédaction » vient apprendre à tous ceux qui n’étaient pas au courant que le 19 janvier le Secrétaire général du parti présidentiel (CRC), Youssoufa Mohamed dit Belou a affirmé que « les journalistes d’Alwatwan, parce que payés par l’État, devaient assurer la propagande du gouvernement ». En réalité le SNJC ouvrait un feu pour éteindre un autre.
Il s’agit d’une lettre ouverte très offensive et les rédacteurs rappellent même à celui qui est aussi chargé de la Défense et qui a pris de plus en plus de place dans un régime de plus en plus autocratique que certains d’entre eux ont permis au candidat Azali d’arriver au pouvoir alors que c’était l’UPDC qui le détenait en 2016. Ils rappellent ainsi qu’alors que le Directeur de la publication, Ahmed Ali Amir participait discrètement à la campagne du candidat Azali, il avait envoyé un « commando » composé de journalistes d’Alwatwan pour empêcher le camp de Mamadou de frauder pendant le fameux 3e tour, et ainsi assurer la victoire du candidat dont le journal faisait ouvertement la campagne. Pourtant, cet événement aujourd’hui soulevé comme un trophée par les rédacteurs de cette lettre ouverte était le couronnement de la prise de position du journal pour un des candidats aux présidentielles. Il était évident, pour tout observateur extérieur, que le journal gouvernemental s’était rangé du côté d’Azali Assoumani, d’abord parce que le Directeur conseillait ce candidat, mais aussi parce que certains des journalistes envoyés à Anjouan étaient liés plus ou moins directement à la CRC. Cet exemple avancé par « La Rédaction » d’Alwatwan tend donc à montrer que les propos du patron de la CRC viennent d’un homme qui connait bien le fonctionnement de ce journal et de ses journalistes. L’histoire du journal est là pour montrer que les journalistes ont toujours suivi les consignes de ceux qui ont le pouvoir, soit par des journalistes qui signaient des articles qu’ils n’avaient pas rédigés soit en recevant des interviews toutes faites de clef USB venant des ministères.
Contre la pensée unique
Cette lettre ouverte, en date du 24 janvier, présentée comme étant le reflet de la pensée de toute « La Rédaction », comme si elle avait été approuvée par tous alors qu’en fait, les initiateurs ne l’ont fait signer par personne, a été contrée par un communiqué signé par six journalistes dont le Secrétaire de Rédaction, Abdillah Saandi Kemba, mais aussi d’anciens de la maison comme Ibrahim Youssouf ou Chaarhane Mohamed, tous deux reporters d’images. Ce texte est très violent contre le groupe qui a rédigé la lettre ouverte. Ils condamnent « avec la plus grande fermeté, le communiqué anonyme » (parce que non signé) et affirment qu’elle n’engage pas la Rédaction d’Alwatwan. La lettre ouverte est désignée comme « un communiqué malveillant, rédigé avec la main d’un diable ». Interrogé par Masiwa, Abdillah Saandi Kemba n’en démord pas et justifie auprès de Masiwa la publication du deuxième texte : « La rédaction d’Alwatwan n’est pas une chasse gardée pour une poignée de personnes. Quand on est ensemble, on agit ensemble. Le contenu du communiqué n’a fait l’objet d’aucune consultation. Nous sommes dans une entreprise, il y a d’autres personnes qui ont leurs idées, il faut les respecter et les associer dans les décisions. La pensée unique ou la dictature de la pensée n’a pas sa place dans notre entreprise. »
Les six signataires critiquent le manque de concertation, de débat et de vote sur le premier texte dont les promoteurs veulent rester dans l’anonymat. Et effectivement, cette recherche de l’anonymat est étonnante : trois des journalistes qui sont censés avoir approuvé la lettre ouverte, contactés par nos soins pour en parler n’ont pas souhaité défendre le texte d’une manière officielle, chacun a souligné qu’il ne voulait pas que son nom apparaisse.
Un Directeur qui se veut consensuel
Quant au nouveau Directeur général, qui est clairement soutenu par les signataires du deuxième texte, mais aussi par une grande partie de ceux qui sont favorables à la lettre ouverte, il se montre très consensuel, tout en rejetant les deux démarches : « Je condamne fermement les deux sorties. Je ne pense pas qu’il faut régler nos différends en dehors de la maison.», dit-il à Masiwa. Il se veut l’héritier d’une méthode au sein de la maison, la culture du secret pour se protéger : « on lave le linge sale en famille ». Et il explique : « Concernant la première sortie, j’ai conseillé aux journalistes (…) de ne pas répondre avec des communiqués, mais avec leur façon d’écrire les articles, en impliquant tout le monde, ceux du pouvoir comme ceux de l’opposition. Mais ils n’ont pas voulu m’écouter. D’ailleurs, ils étaient malhonnêtes de dire que je leur ai suggéré de publier dans d’autres canaux de la presse. Non c’est faux. J’ai refusé qu’ils publient cela dans le journal, c’est tout (…) Pour l’autre communiqué, les auteurs ne m’ont pas consulté. Mais selon des sources de la boîte, ils ont insisté pour répondre à leurs collègues qui les ont écartés selon eux ». Il se montre confiant pour rétablir la paix entre les diverses oppositions dans le journal : « j’interviendrai bien sûr pour recadrer mes journalistes. C’est cela, le rôle d’un chef. C’est de faire en sorte que la boîte fonctionne bien et si quelque chose ne va pas, on doit trouver les solutions appropriées. »
En réalité, on peut comprendre la réaction des journalistes d’Alwatwan contre les propos du Secrétaire général de la CRC. Nous sommes nombreux à avoir agi dans le passé contre ce genre de propos, tenus notamment par d’anciens Directeurs d’Alwatwan. Mais, les oppositions qui existent dans Alwatwan depuis de nombreuses années reflètent aujourd’hui les dissensions entre certaines personnalités et presque tues au sein du pouvoir azaliste. Il serait faux de croire qu’il y a dans le journal de l’État les journalistes qui soutiennent le pouvoir et ceux qui seraient les champions de la liberté de la presse. Il n’y a pas un seul des journalistes qui compte dans Alwatwan qui ne soit affilié directement ou indirectement à un homme politique au pouvoir, ou proche du pouvoir. Une autre manière de se protéger, qui induit une certaine complaisance que l’on observe tous les jours dans le traitement des informations venant du pouvoir en place.