Dans cette tribune, le jeune Mirsoid Ibrahim dit ce qu’il doit à deux écrivains comoriens : Dini Nassur et Abdou Djohar, tous deux originaires de la ville de Simbusa à Ngazidja, comme lui.
Dans chaque génération surgissent des plumes dont la trace dépasse les pages qu’elles noircissent. Des plumes qui éveillent les consciences, inspirent les jeunes âmes et rappellent à un peuple la noblesse de sa parole.
Aux Comores, ces plumes existent bel et bien. Dini Nassur et Djohar Abdou en font partie, ces deux figures majeures de la littérature comorienne contemporaine, deux sentinelles de la mémoire et du verbe.

Leur œuvre, riche et engagée, ne se contente pas d’écrire : elle instruit, élève et réveille. Et c’est en les lisant que j’ai moi-même appris à aimer les mots, à les apprivoiser, à les faire miens.
Jeune, je lisais ces écrivains et poètes natifs de Simbusa Pimba, ville dont je suis fier d’être originaire. Avant même que mes mots ne prennent forme sur le papier, je m’abreuvais des leurs. Leurs poèmes et articles, souvent publiés sur les réseaux sociaux, étaient pour moi de véritables mets littéraires, raffinés et nourrissants, que je ne manquais jamais, et sans lesquels mes pensées seraient restées stériles, comme des champs non entretenus.
Ce sont d’abord deux poètes engagés. Le jour où j’ai terminé ma lecture du recueil de Dini Nassur, « Mots et maux d’ailleurs », que l’on m’avait offert comme « mbabu » pour la réussite de l’un de mes examens nationaux, et de celui de Djohar Abdou, « Douleur et nostalgie », que l’on m’avait donné lors d’un atelier de lecture et d’écriture initié au pays par ce dernier, j’ai compris que mes convictions de jeune lecteur n’étaient pas vaines : leurs plumes sont à la fois acérées, lyriques et instructives. Elles refusent de laisser sécher l’encre, dénoncent l’injustice, célèbrent la beauté de notre univers et, cerise sur le gâteau, œuvrent inlassablement à la formation des plus jeunes.
Former ? Oui, ils l’ont fait. Le chef-d’œuvre de Djohar Abdou m’a ouvert les yeux et délié la langue ; celui de Dini Nassur a forgé mes pensées, m’a tendu un bout de papier et invité à y déverser mes propres mots.
Djohar Abdou, à travers son recueil de lettres intitulé « Quand j’étais écrivain public », m’a appris à mieux rédiger et à donner forme à mes pensées. Cet ouvrage, plein de richesses, montre combien l’écriture peut être aussi un service rendu au peuple.
Son premier roman, « D’une terre à l’autre », m’a, quant à lui, enseigné la force des souvenirs et l’importance du passage d’un monde à l’autre, entre exil et appartenance. Docteur en linguistique et grand défenseur de la langue locale, Abdou Djohar est également un pédagogue infatigable. À travers « Je lis et j’écris la langue comorienne » et sa thèse « Approche contrastive franco-comorienne », il a offert à notre peuple des outils pour aimer, lire, écrire et préserver le shikomori, pierre angulaire de notre identité.
Ceux qui l’ont lu témoignent de son talent. « Djohar Abdou est un homme à la mémoire vive, à la sagesse imputrescible, à l’humanisme d’Antoine de Saint-Exupéry, au verbe de Rousseau, à la pensée de Morin, à la poésie et à l’engagement de Mahmoud Darwich, à l’écriture de Naguib Mahfouz », déclare Houssam Hassane, préfacier de « D’une terre à l’autre ».
Quant à Dini Nassur, son premier roman, « Kosa, la faute », consacré à la révolution d’Ali Soilihi, m’a plongé dans une mémoire collective souvent tue.
Son talent littéraire s’exprime également dans « Mna Madi, le burlesque », un conte où l’humour masque des vérités profondes, dans « Autrefois dans notre enveloppe sociale », un ouvrage qui témoigne des mutations de notre société et dans « Le Grand-mariage », roman paru en septembre 2025, où il démontre sa maîtrise du langage, discernant la réalité et la fiction.
C’est un roman où les phrases et expressions poétiquement tarabiscotées et ciselées captivent le lecteur. « J’espère que tous les Comoriens et ceux curieux des traditions comoriennes liront ce roman », déclare Dr Zile Soilihi, lecteur de ce chef-d’œuvre.
« La plume de Dini se distingue des autres. Avec Le Grand-mariage », on découvre un poète aux mille talents. Des phrases courtes, poétiques, qui touchent profondément », témoigne Abdou Fidèle, lecteur incapable de retenir sa jubilation et son admiration devant cette œuvre.
Oui, les pages de Nassur et de Djohar m’ont tant nourri que je sens en moi circuler leur sève, comme si chacune de leurs œuvres avait ajouté une pierre à ma propre construction littéraire. Ainsi, la sève de leurs œuvres donnera bientôt naissance à mes « Matins insurgés », comme des branches généreuses offrant leurs fruits mûrs aux paysans du monde entier, à la saison juste.
Mirsoid Ibrahim















