Inti-slam, de son vrai nom Intissam Dahilou est une de ces femmes dont la présence sur l’espace culturel comorien dure et persiste. Dans ce pays où une femme n’a rien à faire sur la place publique, où la tradition ne lui permet pas de prendre la parole en public, où certains trouvent encore incongru qu’une élue soit présente dans un mawulida, c’est un exploit. Cela fait maintenant plus de 8 ans qu’Inti-Slam déclame ses textes sur les scènes comoriennes avec son collectif de slameurs, « Art 2 la plume ». Mais le slam n’est pas la seule corde à sa guitare. Elle est aussi musicienne, écrivaine et actrice. Elle touche au théâtre et au cinéma. « L’une des meilleurs ici » affirme avec certitude Mounawar. Par MiB
Être née aux Comores, un pays qui ne soutient pas la culture
Éclectique, elle est aussi une boulimique des actions culturelles. C’est la première chose qu’évoque le rappeur et slameur Soly quand on lui parle d’Inti-slam : « la multiplicité des talents… c’est rare de trouver chez une personne de telles qualités réunies ». Il ne trouve aucun défaut à l’artiste si ce n’est celui « d’être née aux Comores, un pays qui ne soutient pas la culture ».
Lundi 15 février, Inti-slam sort son premier album composé de de cinq titres de slam intitulé Tabiri. En solo, sans ses complices du groupe Art 2 la plume. En 2019, son premier clip était aussi en solo. Tabiri, c’est à la fois du slam et de la chanson, avec des rythmes variés et en fond le son de sa guitare, qui sait se faire discrète pour laisser la voix de l’artiste nous emporter. Cette voix formate les mots, les décontextualise pour mieux nous inculquer les messages qu’ils portent.
Un rêve destructeur
L’art est pour Inti-slam clairement engagé. Elle écrit, elle slame pour passer un message à ses compatriotes, première cible. Tabiri, n’est donc pas là pour chanter la beauté de ses îles ou les amours éphémères, mais le désespoir d’une jeunesse laissée pour compte, au bord de la route.
« Tabiri » en comorien, c’est le rêve. Et c’est le thème qui parcourt les cinq titres déclamés par Inti-Slam sur fond de guitare acoustique, qu’elle joue elle-même. Le texte éponyme est un slam écrit en shikomori, en réalité un mélange de shindzuani (ce qui nous rappelle qu’elle est née à Tsembehou, Anjouan) et de shingazidja (elle vit dans l’île de Ngazidja depuis plusieurs années). Ce slam, le seul qui est à la troisième personne, décrit un personnage accablé par une situation difficile et qui se met à rêver de grandeur et de richesse. Il prie Dieu, mais comme il n’a pas satisfaction, il se détruit par l’alcool et s’en prend à Dieu. Un rêve destructeur.
Une génération sacrifiée
Un autre slam décortique cette forme désastreuse du rêve. Il porte bien son nom puisqu’il s’agit d’« Utopie ». Bien que la slameuse avance le « Je » et donne l’impression de parler d’elle, en réalité, elle décrit la condition des jeunes comoriens, désœuvrés et au chômage malgré les diplômes qu’ils possèdent. Lorsqu’elle se décrit « assise sur une vague d’utopie… A m’inventer des possibles, des rêves et des vertus », c’est bien du sort de toute une génération sacrifiée dont elle parle. D’ailleurs, plus loin dans le même slam, il est clair qu’elle parle de toute la jeunesse des Comores quand elle dit : « Des rêves impossibles que la plupart mettent à la poubelle / Des postes à mendier si on veut signer avec le diable. » Avec ou sans diplôme, les jeunes Comoriens mendient des postes aux hommes politiques et se mettent à leur merci. Elle désigne clairement la classe dirigeante comme étant responsable de la situation désastreuse des jeunes (« D’ailleurs nos dirigeants ne se gênent pas de remplir les poches ») dont les rêves se transforment en cauchemars qui ont pour noms : alcool, drogue, prostitution…
Des images choquantes et édifiantes
La critique sociale qui apparait clairement dans les deux slams qui évoquent les rêves d’une jeunesse abandonnée est encore plus développée dans deux autres slams : « Paranoïa » et « D’où je viens ». Dans ces deux textes, lnti-slam fait un portrait sombre de la société comorienne, perçue comme hypocrite. C’est un portrait sans concession d’une société violente ou l’on « cuisine » la haine et le malheur. Il n’y a pas de place pour la carte postale avec soleil levant ou couchant. Inti-slam juxtapose les contradictions dans des images à la fois choquantes et édifiantes : certains prennent des gorgées de bières avant de se rendre à la prière, « le peuple élit des corrupteurs » et elle ajoute : « Nos disputes et nos querelles sont nos prières ».
Le « on » remplace le « Je » pour affiner le portrait de cette société décrite comme méfiante, « égocentrique », « parano » et lâche.
Sur ces 5 morceaux de slams, un seul apporte un rayon de lumière dans cet univers sombre. « Juste un instant » décrit un moment où tout le monde autour s’est figé, une parenthèse, un instant de repos pendant lequel le corps du personnage mis en avant s’offre et même se soumet, sans réflexion aucune. « Je m’offrirai à ce délice ». Pour l’auditeur également, ce sont quatre minutes durant lesquels il oublie les rêves inachevés, la pression d’une société ou d’une « prison ». Mais, il s’agit bien d’une illusion, d’un rêve qui ne dure que quelques minutes, avant le retour à la dure réalité.
On ressort de cet album amer vis-à-vis d’une société en perte de valeurs et notamment des valeurs religieuses. Derrière les apparences apparait un monde qui peu à peu perd foi en Dieu et en elle-même. Du haut de ses trente ans, Intissam Dahilou nous laisse entrevoir les transformations d’un pays qui s’enorgueillit de ses traditions et de la pratique de l’islam alors qu’elle élit ses bourreaux et laisse ses enfants dans la désolation totale.
Pour ceux qui seraient tentés de croire que cette femme a perdu tout espoir, il faut écouter son amie, la slameuse, Zam-Zam qui nous dit avec assurance à propos d’Inti-slam : « Elle croit toujours en ses rêves et fait tout pour les réaliser ». Et apparemment, elle s’est donné comme ambition de changer les hommes de son pays en leur offrant un miroir dans lequel ils peuvent voir ce qu’ils sont devenus.