L’avocat Me Gérard, en exil depuis sa dénonciation des fraudes commises entre autres par la CENI dont il était membre réagit ici à l’exécution d’Ahmed Abdou dit Fanou.
Propos recueillis par Hachim Mohamed
Masiwa – En tant que juriste, comment qualifiez-vous ce qui est arrivé au Chef de l’État, Azali Assoumani ?
Me Gérard Youssouf – Je pense qu’il n’existe aucun élément nous permettant de parler de tentative d’assassinat du Président Azali Assoumani. À la limite, on peut parler d’une dispute ou bagarre entre Azali et Fanou. En droit chaque infraction ou crime repose sur des éléments constitutifs. Ces derniers sont définis par la loi et constatés suivant une procédure judiciaire par un juge indépendant et impartial dans un délai raisonnable. Ce n’est qu’après une enquête ou instruction d’audience que le juge peut déclarer qu’il y a suffisamment de preuves pour qualifier ou requalifier avant d’entrer en voie de condamnation. Cela n’a pas été observé par la justice du régime. Donc, jusqu’à preuve du contraire et sur la base de l’article 15 de la Constitution des Comores Fanou est un innocent qui a fait l’objet de sévices, de traitements cruels et d’assassinat. Malheureusement, dans notre pays, la Justice est dans la rue. Cela veut dire que n’importe qui peut être enquêteur, juge et Procureur.
Dans cette affaire, on ne peut pas parler de requalification ou de qualification des faits dans la mesure où il n’y a jamais eu d’enquête. Or, les articles 31, 36, 39, 41, 42, 44, 46, 68, 69 et suivant du Code de Procédure pénale confèrent l’autorité au Procureur de la République de mettre en mouvement l’action publique que ce soit en matière délictuelle ou criminelle et de se rendre sur les lieux pour constater et diriger l’enquête et le clôturer s’il n’existe pas de charges suffisantes. En outre, il est stipulé qu’en matière criminelle l’information judiciaire est obligatoire. Malheureusement aucune de ces procédures n’a été respectée.
À ce jour, nul ne peut évoquer la qualification ni la nature des faits en l’absence d’une enquête judiciaire. Rien ne prouve que Fanou a tenté de tuer le Président Azali. C’est de la pure propagande médiatique parce qu’ils veulent cacher aux Comoriens la réalité du complot. Les seuls faits palpables sont les blessures d’Azali et un jeune assassiné, découpé en morceaux comme une chèvre par la Garde Présidentielle pendant que le Procureur banalise les faits au profit du régime et de son enrichissement illicite.
Sur la clôture de l’enquête, il s’agit d’une forfaiture, un déni de justice, un faux et usage de faux documents de la part du fameux Procureur de la République de Moroni. C’est une injustice de sa part de clôturer une enquête qui n’a jamais eu lieu sur la base d’un faux certificat de mort établi par un médecin 12 jours après l’assassinat et l’enterrement d’un présumé auteur d’une tentative d’agression. D’abord, ce « médecin magicien » n’est pas légiste et n’était pas sur les lieux le jour de la découverte du corps sans vie. Il n’a même pas vu le corps et n’a pu l’examiner. Le médecin ayant constaté le décès en temps réel fut empêché par le capitaine Takfine d’établir le certificat de genre de mort afin de faire diversion sur les causes du décès.
Il n’existe que deux procédures conduisant au classement sans suite d’une enquête ou d’une procédure judiciaire. La première se fait par réquisitoire définitif de non-lieu par le Procureur et le deuxième se fait par ordonnance de non-lieu du Juge d’Instruction. Que ce soit pour l’une ou pour l’autre, la décision doit être écrite, motivée et notifiée aux parties. Nulle part dans le Code de procédure, il n’est évoqué la possibilité d’un communiqué. Le communiqué du Parquet de Moroni n’a donc aucune valeur et ne repose sur aucune base légale. Il est le symbole de la faillite du système judiciaire comorien et la mainmise de la famille présidentielle sur la Justice comorienne. Le Parquet a certainement été contraint de diffuser ce communiqué, sans entête ni tampon, rédigé ailleurs.
Le ministère public a failli à ses missions dans la mesure où ce jeune fut arrêté par des services qui n’avaient pas de compétences pour cela et conduit à la présidence de la République pour exécution sommaire sans intervention des autorités judiciaires. Le parquet n’est intervenu qu’après son assassinat macabre. C’est une parodie de justice.
Masiwa – Votre collègue, Me Saïd Larifou, envisage de porter plainte contre le Procureur de la République. Comment est-ce possible ?
Me Gérard Youssouf – Le Procureur de la République peut être poursuivi devant le Conseil Supérieur de la Magistrature pour faux et usage de faux, forfaiture, déni de justice et enrichissement illicite. Ce dernier a commis tant d’infractions et crimes… C’est un manquement grave à ses obligations de magistrat. Il n’est pas au-dessus de la loi et par conséquent doit impérativement répondre de ses actes.
Masiwa – Y a-t-il une possibilité de saisir les juridictions internationales ?
Gérard Youssouf – Il y a lieu de reconnaitre que notre pays traverse la période et les moments les plus honteux, dangereux et obscurs de son histoire à travers les atteintes aux libertés publiques et les violations flagrantes des droits humains universels tant par le pouvoir illégitime que par des officiers de notre armée en complicité avec certains magistrats carriéristes au premier rang desquels se trouve le fameux Procureur, Mohamed Djounaid. Entre janvier 2020 et août 2024, le régime d’Azali Assoumani a commis huit crimes contre l’humanité et 39 assassinats sans qu’une enquête soit diligentée.
Le procureur a insulté la conscience des Comoriens dans son classement sans suite de cette procédure et surtout en invoquant l’absence de blessures ou signes de mauvais traitements dans la mesure où il existe des preuves irréfutables justifiant qu’il y a eu des tortures contre le jeune Ahmed Abdou dit Fanou. Cela constitue un crime contre l’humanité en application de l’article 28 de la loi numéro 20-038/Au du 29 décembre 2020 relative au Code pénal des Comores et promulguée par le décret numéro 21-018/PR du 16 février 2021. Dans ce cas d’espèce, c’est la Cour pénale internationale qui a compétence. Notre pays a ratifié le traité de Rome, et de ce fait les autorités comoriennes doivent répondre de leurs actes devant cette juridiction.
Masiwa – Quelle est votre position en tant que praticien du droit, sur ce qui est arrivé à ce jeune gendarme ?
Me Gérard Youssouf – C’est à la fois regrettable et insupportable qu’un petit pays comme le nôtre soit pris en otage par un régime qui tue, pille, appauvrit sa population, ruine son économie, détourne les deniers publics sous le regard et silence complice de la communauté internationale. Notre pays vie des moments cruciaux où les droits et libertés sont bafoués sans mesure. Ce comportement compromet la sécurité, la paix et l’unité du pays. Cet acte horrible illustre la dangerosité du régime et l’impact des violations des droits. Cet assassinat est le résultat de l’injustice et de l’impunité qui règnent aux Comores.
Masiwa – Et si, comme à l’accoutumée, le gouvernement n’apporte aucune réponse aux interrogations des Comoriens sur les causes du décès d’Ahmed Abdou Fanou, quelle est la conséquence en matière de droit ?
Me Gérard Youssouf – Nous avons un gouvernement qui ne respecte aucune loi. Il cherche à nous imposer une monarchie, ce qu’on n’acceptera jamais. Le peuple comorien est en droit de se libérer. Il s’agit de la légitime défense. Notre justice est aux mains de la famille Azali qui dicte ses règles et ses directives. Par conséquent, l’injustice bat son plein. Je pense que le moment est venu pour unir toutes les forces afin de mettre les tenants de ce régime inique hors d’état de nuire, puis les traduire en justice devant la Cour Pénale internationale pour répondre de leurs crimes, à défaut d’une juridiction spéciale dans le pays.
Masiwa – Me Larifou est le seul avocat qui se bat pour que justice soit rendue aussi bien à l’endroit du regretté Fanou qu’à d’autres compatriotes qui ont connu le même sort. Comment expliquez-vous le silence des autres avocats ou de l’opposition dans cette affaire gravissime ?
Me Gérard Youssouf – Je salue le courage et le travail accompli par mon confère, maitre Said Elarif au profit de la justice dans notre pays. Toutefois, je peux vous assurer qu’il n’est pas le seul à œuvrer dans ce sens. D’autres et moi-même travaillons en collaboration avec des organismes internationaux et des avocats défenseurs des Droits de l’Homme pour traduire le colonel Azali Assoumani et ses complices devant la Cour pénale internationale afin de répondre de leurs crimes et agissements inhumains. Je profite de cette occasion pour lancer un appel aux avocats comoriens et aux personnes-ressources de bonne volonté pour rejoindre cette dynamique au bénéfice de notre pays.