Hausse du prix du riz. Pénurie d’essence. En ce début du mois de juillet, avec le cortège des Comoriens venus de la diaspora pour les célébrations des mariages, la population a l’impression de payer cher la guerre en Ukraine, plus que n’importe quel autre pays dans le monde. Plus que les Russes qui subissent des sanctions économiques de toutes parts.
Par Mounawar Ibrahim
Les autorités comoriennes, en manque d’inspiration, mettent toute cette crise sur le dos de la Russie qui a eu la fâcheuse idée d’envahir l’Ukraine. Mais qu’a fait le pauvre comorien pour qu’on lui inflige une multitude de crises qui impactent toujours sur ses besoins primaires, les besoins de son quotidien ? Si ce n’est pas le poulet, c’est l’huile, le riz ou les hydrocarbures. Tout ce qui est essentiel à la vie de tous les jours. Il ne se passe deux mois pour qu’un produit de première nécessité ne manque dans les commerces.
Le riz ordinaire est devenu un riz de luxe
Après de longues semaines de pénurie, l’Onicor (Office national pour l’importation et la commercialisation du riz) a annoncé ce qui devait être une bonne nouvelle : le riz ordinaire n’est plus un problème. Une annonce faite avant même que sa commercialisation soit effective. Mais à quel prix ? Comme toujours, c’est le citoyen de base qui va devoir supporter tout le coût, et ce malgré un tour très classique qu’a joué le gouvernement.
Tout d’abord une rumeur circulait. Le prix du kilo serait fixé à 400 fc et non 300 fc, comme on avait l’habitude de l’acheter jusque là. Un sac de 25 kg serait donc vendu à 9000 fc. Déjà avec cette supposée hausse de 30% sur le kilo du riz ordinaire, les Comoriens exprimaient un certain désarroi. Tout d’un coup, l’Onicor fait une annonce officielle. On pouvait lire : « Depuis plus de deux ans l’ONICOR subit des pertes considérables causées par la conjoncture internationale liée à la covid 19 (2020-2021) et la guerre en Ukraine (2022) (…) La situation nous oblige donc à revoir notre structure de prix à la hausse pour faire face à nos obligations et pouvoir continuer à fournir du riz ordinaire de très bonne qualité à la population. C’est dans ce sens que l’ONICOR a proposé aux autorités compétentes une nouvelle structure de prix ainsi constituée : 1 Sac de 25 kg = 13500 fc ; 1 kilo = 600 fc ; 1 tonne = 520.000 fc ».
Cette nouvelle structure a été naturellement très mal accueillie. Elle a eu l’effet d’un mini séisme. Le riz étant l’aliment le plus consommé des Comoriens. Celui de l’Onicor, le plus accessible. Le lendemain, le gouvernement, à travers une conférence de presse, a annoncé une subvention consistant à supporter 200fc dans cette hausse. Celui que les Comoriens qualifient désormais d’héritier, le conseiller privé de son père, Fatihou Azali, entouré des ministres de l’Économie et des Finances a annoncé que le prix sera finalement de 400 fc. C’est-à-dire, le prix de la rumeur. En résumé, une rumeur fortement relayée fixe un prix, quelques heures plus tard, l’Onicor propose un autre largement supérieur que le gouvernement rejette pour confirmer le prix annoncé par la rumeur. Ainsi, on fait croire à la population que l’Etat supporte les 200 fc et laisse les 100 fc à la population. « Après avoir étudié ces structures des prix qui ont été proposées par l’Onicor, le gouvernement a décidé sur instruction du président de la République de fixer le prix à 400 francs », a déclaré le ministre de l’Économie, porte-parole du gouvernement. Quelle magnanimité ! Sauf que l’Onicor, géré comme une épicerie, à l’image d’ailleurs de tous les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) du pays, voulait réellement vendre le kilo à 400 fc. Donc le gouvernement n’a finalement rien fait si ce n’est prendre les Comoriens pour des enfants.
Ces nouveaux prix ont-ils un rapport avec les grands mariages ?
Tout laisse croire que l’Onicor veut maximiser ses profits dans une période où les grands mariages sont célébrés à outrance à Ngazidja. Deux années de privation à rattraper en un seul « été ». Les familles achèteraient à toux prix le riz ordinaire très présent dans presque toutes les activités du mariage traditionnel. « J’ai commandé 400 sacs de riz ordinaire pour la célébration du grand-mariage de ma fille et je ne sais pas comment je vais faire avec cette pénurie. En tout cas, je suis prêt à mettre le prix sur les quelques sacs que je trouverais », avance un grand notable. L’injustice dans cette situation se manifeste davantage sur les familles modestes qui en ont besoin juste pour se nourrir sans aucune ostentation. À Ngazidja, mais dans les autres îles également.
Une nouvelle pénurie des hydrocarbures
Comme un malheur ne vient jamais seul, une pénurie des hydrocarbures est venue s’ajouter à celle du riz. Le gasoil en premier lieu, puis l’essence manquent. La circulation des voitures dans Moroni est très fluide, mais les Comoriens se déplacent difficilement faute de taxis. Des queues interminables bloquent tous les accès qui mènent aux stations d’essence. L’arrivée massive des « Jeviens » en cette période a encore compliqué les choses. Depuis vendredi le pétrolier est arrivé au port de Moroni, mais la situation reste encore préoccupante, car la Société Comorienne des Hydrocarbures (SCH) n’est pas capable de garantir une distribution rapide du produit dans les points de vente. Sa logistique n’étant pas des plus efficaces.
Au même moment, des délestages sont fortement ressentis dans tout le pays. Il serait difficile de ne pas faire le lien entre la pénurie des hydrocarbures et cette crise énergétique même si la Sonelec ne communique pas sur ce point précisément. « La Sonelec porte à la connaissance de son aimable clientèle que pour des raisons indépendantes de notre volonté, nous comptons établir un programme de délestage à partir de ce mardi 12 juillet 2022 jusqu’au vendredi 15 (…) », peut-on lire dans son communiqué. Étrangement, c’est dans la période allant du déclenchement de la pénurie des hydrocarbures à l’arrivée du pétrolier. Au final, les Comoriens doivent bien intégrer dans leur conscience collective que la solution à toutes ces crises ne se profile pas encore. On leur proposera peut-être ces jours-ci des mesures palliatives sans jamais guérir les maux qui les frappent depuis des années. Après tout, Dieu n’impose jamais à un peuple, une charge qu’il ne peut supporter. Il faut supporter alors !