Un érudit au carrefour de l’océan Indien, de l’Afrique et de l’Arabie
Al Habib Ahmad Bin Sumayt, le père de celui qui est le plus connu aux Comores (Al Habib Omar Bin Sumayt) est un savant arabo-musulman dont la renommée dépassait les frontières des Comores et même de Zanzibar.
Par Fahmy Nassor
La vie d’Al Habib Ahmad Bin Abu Bakr Bin Sumayt incarne l’héritage spirituel, intellectuel et juridique des Bani Alawiyya, un réseau soufi ayant marqué l’histoire religieuse et culturelle de l’océan Indien. Né en 1853 à Itsandra Mdjini, aux Comores, cet érudit est devenu une figure clé dans la propagation de l’islam et le développement des institutions juridiques dans la région de l’océan Indien et de l’Afrique de l’est.
Origines et Formation
Issu de la lignée noble des Bani Alawiyya, descendants du Prophète Muhammad par son petit-fils Hussein, Al Habib Ahmad a reçu une éducation approfondie dans les sciences islamiques. Dès son plus jeune âge, il a été formé par son père, Abu Bakr Bin Sumayt, puis après le décès de celui-ci, il a poursuivi son apprentissage auprès de Mwinyi Bahassan (Said Abal Hassan Djamalilayl).
Son éducation s’est enrichie dans la région du Hadramaout, au Yémen, auprès de figures savantes comme Al Habib Idarouss Al Habchi dans un centre intellectuel majeur des Bani Alawiyya. Ces apprentissages l’ont préparé à devenir un leader religieux et un érudit respecté dans la région.
Un voyageur érudit
Al Habib Ahmad a voyagé jusqu’à Istanbul, alors capitale de l’Empire ottoman et du califat musulman, sous le règne du Sultan Abdulhamid II. Ce voyage a renforcé sa réputation et lui a valu des distinctions honorifiques pour son érudition. Istanbul, centre de l’islam sunnite, a marqué son parcours intellectuel et spirituel.
Il est d’ailleurs à noter que ce titre de « Al Habib » est une distinction donnée à certains érudits musulmans dans le Hadramout (la région d’origine des Bin Sumayt). La famille Bin Sumayt est originaire de la ville de Chibam.
Al Habib Ahmad suivra une formation en théologie après son séjour à Istanbul dans l’établissement d’enseignement du Caire Al Azhar Al Sharif. Il suivra les cours du Cheikh Al Inbabi.
Grand Cadi de Zanzibar
En 1883, le sultan de Zanzibar, Barghash bin Saïd, nomma Al Habib Ahmad premier cadi de l’île. Ce poste marquait l’instauration de la justice cadiale dans cette partie du sultanat d’Oman. Cependant, des divergences avec le sultan l’ont conduit à quitter cette fonction après trois ans. Il fut réintégré après la mort de Barghash en 1888 et devint officiellement Grand Cadi de Zanzibar en 1907, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort en 1925.
Sous sa direction, la jurisprudence islamique a été codifiée et appliquée à Zanzibar, influençant même les “Zanzibar Law Reports” sous l’administration coloniale britannique. Son approche mêlait rigueur juridique et compréhension spirituelle, laissant une empreinte durable sur le système judiciaire de la région.
Un héritage intellectuel incontestable
Al Habib Ahmad a laissé neuf ouvrages majeurs, publiés au Caire, à Beyrouth et à la Mecque abordant des thèmes variés des sciences islamiques. Parmi ces ouvrages on trouve le « Lamiyyat Al Habib », un commentaire sur un poème de l’imam Al Haddad, ou un commentaire du célèbre « Minhaj at-talibin » de l’imam Al Nawawi ou encore des traités sur les fondements du droit musulman.
Ces œuvres témoignent de son expertise et de sa contribution à la transmission du savoir islamique.
Une influence durable
Al Habib Ahmad a formé de nombreux juristes et érudits qui ont perpétué son héritage. À sa mort le 7 mai 1925, son fils, Al Habib Omar, lui succéda comme Grand Cadi de Zanzibar, poursuivant l’œuvre de son père.
Son rôle dans la diffusion de l’islam et le renforcement des réseaux intellectuels et commerciaux de l’océan Indien a été exploré dans un ouvrage paru en 2004, « Sufis and Scholars of the Sea » de l’historienne norvégienne Anna Katharina Bang. Cette étude souligne l’importance des réseaux soufis dans la formation des identités religieuses et le développement des échanges maritimes.
Al Habib Ahmad Bin Sumayt incarne une figure charnière dans l’histoire religieuse et juridique de l’océan Indien. Son héritage, marqué par son érudition, ses écrits et son influence juridique, demeure une source d’inspiration pour les communautés musulmanes de la région et au-delà.