Deux semaines après son lancement, l’opération Wuambushu à Mayotte n’a pas connu le début espéré par les autorités françaises. Les juges l’ont freiné en incitant le gouvernement à respecter scrupuleusement les droits de chaque personne. Les expulsions vers Anjouan (10.000 prévues) sont pour le moment mises en échec par le refus de Moroni de les accueillir.
Par MiB
L’annonce a été faite par le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, le 3 mai dernier au Sénat, au détour d’une question au gouvernement sur l’enlisement de l’opération Wuambushu et le refus des Comores d’accueillir des gens expulsés de Mayotte. Il venait d’affirmer que la coopération avec les Comores était « efficace » en rappelant que c’est le pays qui accepte chaque année le plus grand nombre de reconduites à la frontière (environ 25.000). Et il apprend aux sénateurs qu’il attendait le ministre de l’Intérieur comorien bientôt place Beauveau dans des termes qui ne laissaient pas de doute quant à la nature de l’« invitation » d’autant qu’il lui a déjà fixé l’objectif : « je le recevrai pour reprendre la coopération avec les Comores ». Cela prenait les allures d’une convocation.
Nouvelle stratégie ?
Depuis, il semble que du côté comorien, le gouvernement a hésité à envoyer Fakri Mradabi, qui a très peu d’expérience ministérielle face à une « bête » politique comme Gérald Darmanin. Dimanche, aux micros de France24 et RFI, deux médias français très suivis à l’international, Azali Assoumani a montré que le gouvernement comorien a déjoué le piège d’un face-à-face déséquilibré entre les deux ministres de l’Intérieur. D’autant que cela réduisait « la crise » entre les deux pays à une affaire de police. À son tour, Azali annonce une rencontre entre les ministres concernés : Intérieur, Affaires étrangères et Défense. La subtilité a été de remplacer le Chargé de la Défense, Mohamed Youssoufa dit Belou dont les sorties sont toujours imprévisibles et désastreuses par le Porte-Parole, Houmed Msaidié dont l’expérience politique est indéniable, mais qui semble aussi avoir une position ferme sur la question de l’opération Wuambushu. Cela démontre sans doute que le gouvernement d’Azali veut sortir des réponses timides et marquer à son partenaire diplomatique que l’organisation d’une opération d’envergure à Mayotte et ayant des conséquences sur les trois autres îles, sans même avoir la délicatesse de le prévenir, est inacceptable.
Un refus encore timide
Face à la condescendance du gouvernement français, mais aussi d’une certaine élite qui pense que de petits pays africains, on peut les « acheter » ou les « menacer » de leur priver de certaines aides, les Comores refusent jusqu’à maintenant d’accueillir des gens qui n’ont aucun papier d’identité, ni français ni comorien. Ce refus est encore timide, il sent les manœuvres dilatoires. Il eut d’abord l’évocation de problèmes techniques au port de Mutsamudu. Maintenant, c’est le Gouverneur d’Anjouan Anissi Chamsidine qui demande, par arrêté, que toute personne renvoyée à Anjouan ait des papiers en règle et puisse justifier d’un lieu de résidence. Ce sont des exigences internationales sur lesquelles les deux pays ont jusqu’ici fermé les yeux. Toute personne qui emprunte un moyen de transport international (bateau, avion, chemin de fer…) doit fournir une pièce permettant de l’identifier. Or à Mayotte, parmi ceux qui sont visés par les expulsions, beaucoup, enfants et adultes, sont nés à Mayotte et n’ont jamais reçu une pièce d’identité de la part de l’administration française. Et cela en contradiction flagrante avec les nombreuses conventions signées par la France au niveau international, à commencer par la Convention internationale sur les Droits des Enfants qui dit que tout enfant a le droit à une nationalité.
En réalité, la décision prise par arrêté par le Gouverneur d’Anjouan ne relève pas de ses compétences, mais de celle du Gouvernement central qui continue à résister timidement à une opération que la France a mis en œuvre sans le prévenir.
Un enjeu de politique intérieure française
Ce n’est pas pour rien que Gérald Darmanin a tenté de prendre les répercussions de l’opération Wuambushu sur les relations franco-comoriennes à son compte. Au-delà de la lutte contre la délinquance à Mayotte, Wuambushu est une affaire de politique intérieure. Plus que le président Macron lui-même, l’affaire concerne Darmanin. Le ministre français joue gros. Comme on l’a vu la semaine dernière, il n’a pas hésité à mettre en cause la politique migratoire du gouvernement italien, l’assimilant à la politique que veut mettre en place Marine Lepen, pour se poser comme étant la seule alternative crédible aux propositions faites par celle-ci. De plus, la loi sur l’immigration a été mise en attente par la bérézina de la réforme sur la retraite, mais le ministre de l’Intérieur devrait la présenter au Parlement d’ici peu. Or, il ne sera pas pris au sérieux si l’opération Wuambushu ne se termine pas par le renvoi à Anjouan d’un nombre conséquent de Comoriens et assimilés.
On comprend dès lors que la pression sera grande sur les ministres comoriens, si toutefois la diplomatie française accepte au final le format des discussions. En France, de nombreuses personnalités politiques et des médias menacent régulièrement les Comores : et si la France retirait son aide au développement ? Et si elle bloquait les avoirs en France des autorités comoriennes ? Et si elle empêchait la diaspora d’envoyer de l’argent ? Et si elle décidait de ne plus délivrer de visas ? Des mesures aussi farfelues les unes que les autres dans un contexte où la position de la France en Afrique est remise en cause. Des menaces qui ne semblent pas, pour le moment, avoir un effet, ni sur la population ni sur le gouvernement comorien.
Comment accueillir 10.000 personnes à Anjouan ?
Azali peut-il encore résister ? peut-il encore sauver les ambitions présidentielles de Gérald Darmanin ?
Le gouvernement français, certain de la soumission habituelle de ses partenaires dans le gouvernement comorien, soumission rappelée à plusieurs reprises ces derniers jours, à l’Assemblée et au Sénat, n’a même pas daigné prévenir le gouvernement comorien qu’il allait lui envoyer entre 10.000 et 30.000 personnes en deux mois (chiffres prévus au départ). Prévenu par les médias, et notamment par Le « Canard enchainé », le gouvernement comorien continuait, par l’intermédiaire de son porte-parole à affirmer que ce n’étaient que des spéculations de journalistes et que le gouvernement ne réagirait que lorsque la France lui apprendrait officiellement en quoi consistait l’opération Wuambushu. L’audace de la France à organiser une telle opération sans prévenir le gouvernement comorien a, en quelque sorte, surpris, à tel point que le chef de l’État Azali Assoumani s’est trouvé décontenancé la première fois qu’on lui a posé la question sur une éventuelle réaction de son gouvernement, répondant qu’il ne pouvait rien faire face à la puissance française, mais qu’il entendait garder les bonnes relations existantes.
Azali Assoumani a donc surpris ses opposants lors de son entretien sur France 24 et RFI en annonçant un nouveau format de rencontre entre les deux pays sur cette « crise », en réaffirmant la position des Comores sur la question de Mayotte et en rejetant la responsabilité de ce qui se passe à Mayotte, notamment la délinquance, à la France. « La France gère Mayotte depuis 47 ans, donc elle est responsable pour ne pas dire coupable ».
Même si le gouvernement comorien finissait par accorder au gouvernement français le droit d’expulser 10.000 personnes à Anjouan en un mois, une telle opération est-elle possible ? L’île, déjà en situation de surpopulation, avec des problèmes socio-économiques, politiques et même un manque chronique d’aliments, a-t-elle les capacités d’accueillir tout ce monde ? Si une telle chose se fait, il faudrait conclure que les deux gouvernements ont décidé de détruire l’île.