L’alliance franco-comorienne a organisé le 17 mars 2023 un « Café littéraire » au cours duquel le poète et photographe Mab Elhad, le chorégraphe Seush, la slameuse Bacar Nawiya, et le banquier-poète Mohamed Badroudine Badoro étaient les invités.
Par Hachim Mohamed
Cet évènement était l’occasion de découvrir une autre facette du chorégraphe Seush, qui a publié en 2021 un ouvrage intitulé Les danses traditionnelles des Comores.
Mab Elhad, qui était sollicité en tant qu’expert pour disséquer, lire pour le public le livre du chorégraphe Seush, en a livré une longue recension en y étayant suffisamment ses critiques.
À en croire Mab Elhad, le recueil de Seush est un travail exemplaire, qui a apporté incontestablement une réelle plus-value aux danses traditionnelles comoriennes, une production intellectuelle qui n’a jamais existé auparavant : « Seush est un danseur qui savait ce qu’il voulait et qui est allé jusqu’au bout de ses rêves. J’avoue que c’est un jeune auteur qui m’a agréablement surpris, il a fait un travail exemplaire. Le livre de Seush a résumé plusieurs livres que j’ai lus sur la littérature portant sur les danses traditionnelles », s’est-il exclamé, la tête tournée vers le chorégraphe.
Mab Elhad a passé ensuite en revue les livres sur les chants et danses traditionnels aux Comores que le public se doit de connaître, avant de porter l’attention sur le recueil de Seush.
Les enjeux de la gestuelle
Les premières flèches décochées de la recension faite par Mab Alhad sur Les danses traditionnelles des Comores de Seush ont commencé sur l’introduction du recueil, où dans les premières phrases on n’a compris pourquoi Seush n’a pas mis l’accent sur la gestuelle, qui est le pivot essentiel dans l’appréhension de la culture de chants et danses traditionnels.
Pour le poète et photographe, autant il y a de la poésie en regardant une carte postale, un paysage, autant avec plus de force, on le ressent à la vue d’un corps qui s’exprime, explose par la danse. C’est la raison pour laquelle, estime Mab Elhad, il fallait dès le départ, mettre l’accent sur ce volet on ne peut plus important dans ce qui peut toucher la sensibilité ou susciter une émotion esthétique.
Seush s’est fait aussi reprendre sur les chansonniers légendaires, car il n’a pas décliné dans le recueil leurs noms, qui ont le mérite d’avoir ouvert la voie en la matière. C’est le cas quand Seush a fait état de l’association Sambeko, qui a repris dans la compilation de chansons sur le Sambé des extraits de textes écrits par les anciens chansonniers.
C’est d’autant plus important de mettre l’accent sur cet aspect que selon Mab Elhad, les chansons et les poèmes traditionnels plongent leurs racines dans les événements du passé qui ont marqué l’Histoire de Comores. Par exemple, le fait que Mbae Trambwé a produit ses poèmes dans un contexte de paix. Un contexte qui forcément influe sur la production des textes.
Il est fait un autre reproche à la recension du recueil : l’absence de chants et danses des boutriers. Pour le poète et photographe, en plus d’avoir mentionné la danse des pêcheurs, il aurait fallu aussi mettre les chants et les danses des boutriers magnifiés dans un festival qui a été organisé récemment à l’étranger par Abderemane Saïd Mohamed. Par la danse extraordinaire des boutriers, au-delà de l’art, on montrait la souffrance et la douleur dans le travail des spécialistes des boutres.
Batteurs et percussionnistes
Ce recueil présente de nombreuses qualités. Mab Elhad trouve que c’est un excellent livre qui, en filigrane, traite autant du parcours professionnel du chorégraphe, des méandres de sa vie personnelle de danseur jusqu’au personnage atypique que l’on connaît aujourd’hui.
Toutefois, au fil de pages, Seush s’est toujours montré modeste devant ses aînés que sont les précurseurs, nonobstant le fait qu’il soit allé plus loin dans les recherches, en complétant les travaux de ces écrivains, notamment en présentant les pays originaires de ces chants et danses traditionnels des Comores.
Ce qui est encore extraordinaire dans le travail de Seush, c’est la manière dont il fait accent sur ce que représente dans la culture comorienne l’habillement par rapport à la danse, la dextérité et la technicité dans la pratique de la danse ou encore comment s’arrime le mouvement, le rythme qui fonctionne en parfaite symbiose avec cet art.
Une discussion a porté aussi sur la place des batteurs dans la composition des chants et danses traditionnels. En expliquant les liens qu’il y a entre la danse et le mouvement, comment l’exercice s’articule par rapport aux chants, Mab Elhad ne comprend pas pourquoi Seush s’intéresse plus aux batteurs qu’aux percussionnistes, qui sont une composante essentielle dans les chants et danses traditionnels.
Il faudra noter également que dans le personnage de Seush, on voit comment, en ambassadeur de la culture comorienne en matière de danse et de chant, par ses prestations internationales, est parvenu à « vendre » l’image des Comores à des institutions intergouvernementales comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), l’Institut du Monde arabe (IMA) et tant d’autres encore…
La prise en compte de la rigueur scientifique du travail
Interrogé par nos soins sur la quintessence de son ouvrage, Seush a indiqué qu’il a compilé dans le livre les différentes danses de l’île de Ngazidja, en expliquant l’origine et la manière dont elles se pratiquent par les habits et les chants qui les accompagnent, ainsi que les circonstances.
Dire que le travail de Seush est exemplaire, c’est pour la simple et bonne raison que le jeune chorégraphe l’a fait selon le poète et photographe avec une analyse de tous ces chants et mouvements de danse, une analyse de la chorégraphie et des percussions en relation avec les instruments de musique comme le tambour. Justement, s’il faut citer quelque chose de ce livre qui regorge de couleurs, de sons et de saveurs, ce serait un poème produit par le mythique Ahmada Mboreha. C’est un texte au titre célèbre : « Chaya na Mbere ». Il est d’un ressortissant comorien, oncle, cousin de la mère de Mab Elhad provenant à l’époque de Zanzibar dans les années 1960.
La gymnastique d’analyse, compte rendu critique du recueil de Seush, a porté également sur l’utilisation de deux formes d’orthographe de la langue comorienne. Mab Elhad estime qu’écrire dans le livre les poèmes de chansonniers comme le fait Moinaecha Cheikh, qui transcrit le la langue comorienne (le shikomori) avec les lettres latines, et par-là, à la manière d’un Mohamed Ahmed Chamanga, qui consigne les mots sur la base de règles et d’usages régissant l’orthographe chez les Bantous dans toute l’Afrique de l’Est, est incohérent dans la présentation.
Dans la mesure où les Comores ont consacré officiellement l’utilisation de l’orthographe bantu, Mab Elhad estime qu’il y a une nécessité d’éviter l’amalgame. Comme un ouvrage requiert de la production scientifique et doit être rangé au répertoire de la recherche, il fallait de la cohérence en s’en tenant à une seule forme d’orthographe admise.