La politique répressive qui a été menée depuis 2018 a mis à mort la vie politique aux Comores, mais cela a également paralysé l’exécutif dans un contexte de crise générale où il serait nécessaire de mener le combat avec le soutien d’une grande partie de la population.
Par Mib
Il y a 10 ans, le 28 juin 2012 exactement, le parti du président Azali, la Convention pour le Renouveau des Comores (CRC) organisait avec ses alliés, dans la capitale, une réunion publique contre la vie chère, le chômage et le manque de justice. Le Foyer des Femmes était plein et il y avait encore du monde à l’extérieur. La CRC était alors le principal parti d’opposition. C’est l’ancien temps, celui où les partis de l’opposition pouvaient organiser des réunions et se plaindre de la politique menée par la majorité. Le Secrétaire général de l’époque, Houmed Msaïdié, l’actuel ministre de l’Agriculture et Porte-parole du Gouvernement s’écriait alors : « L’État ne peut se glorifier alors que le peuple souffre. Les engagements électoraux sont bafoués par les gouvernants ».
L’opposition éliminée de l’échiquier politique
Aujourd’hui, plus qu’en 2012, la situation est explosive. Les prix ont augmenté dans tous les secteurs, les taxes continuent de grimper, le chômage est au plus haut, et la Justice n’a jamais été aussi arbitraire. Peut-on encore imaginer un meeting de l’opposition à Moroni ? Le gouvernement fait tout pour que cela ne soit plus jamais possible.
Après quatre années de répressions qui ont fait fuir les principaux opposants du pays et on fait passer l’autre partie par la case prison, il ne se trouve aucun opposant pour organiser une réunion. D’ailleurs, toutes les tentatives pour organiser ce qui ressemblerait à une manifestation politique, un meeting, ou une réunion, même dans un lieu privé, ont été interdites. Parfois un simple texte du préfet a suffi, parfois il a fallu convaincre avec la brutalité, comme cela a été fait contre les jeunes Mabedja en août-septembre 2021. L’ancien président Sambi a été mis en résidence surveillée, avant de connaître la prison sans jugement depuis quatre ans, d’abord parce qu’il s’était fait applaudir par ses partisans devant la mosquée du vendredi de Moroni. Plusieurs opposants, dont le fameux Abdallah Agwa, ont été arrêtés, jugés et emprisonnés parce qu’ils ont osé émettre l’idée d’organiser une manifestation dans la capitale.
Depuis 2018, le gouvernement Azali s’est employé à détruire petit à petit toute l’opposition nationale. Pourtant, la nouvelle constitution affirme que l’opposition doit avoir un statut et une loi devait préciser ce statut. Elle n’a jamais été pensée et encore moins élaborée par les députés tous acquis à l’Exécutif. Sur l’échiquier politique aujourd’hui, il n’y a que les membres de la CRC et leurs alliés. Un discours qui va dans un seul sens. Cela n’est pas sans conséquences sur la vie politique, puisque celle-ci est tout simplement inexistente.
La paralysie politique
Tout semble aller de soi. On s’habitue au manque de débats à l’Assemblée et par conséquent aux nombreuses erreurs dans les lois votées à chaque fois à la quasi-unanimité, si ce n’est à l’unanimité. Pourtant, on voit bien que l’absence de vie politique a aussi des conséquences sur l’Exécutif, sur l’inaction des ministres, sur l’immobilisme du gouvernement et qu’elle entraine actuellement une certaine paralysie. Cette impression que ceux qui dirigent le pays ne savent pas quoi faire et attendent un miracle.
Le président et ses hommes ont pensé qu’il suffisait d’éliminer l’opposition, y compris par la brutalité pour pouvoir être tranquilles et atteindre l’émergence avant 2030. Ils se rendent comptent, à présent, que même avec l’Assemblée de l’Union, la Justice, la Cour Suprême, l’Armée, les gouvernorats d’Anjouan, de Mohéli et de Ngazidja soumis aux volontés de l’exécutif, on ne peut pas faire avancer un pays, sans la stabilité qui est une assurance donnée aux investisseurs, à commencer par les Comoriens de la diaspora. C’est la leçon qui se joue aux Comores depuis 2018 et la modification de la Constitution. C’est la leçon qui apparait de plus en plus évidente dans certains cercles du pouvoir, mais que les dirigeants refusent d’accepter.
Le temps qui fuit
On se rappelle qu’après deux ans de pouvoir (2016-2018), le président Azali a pris conscience que pendant les trois ans qu’il lui restait, il n’aurait pas le temps de mettre en place sa politique et qu’il ne serait probablement pas réélu, surtout s’il a l’ancien président Sambi contre lui. La solution a été d’intégrer dans son gouvernement des personnalités importantes de l’opposition et de suspendre la Cour constitutionnelle, puis de manipuler la Constitution ainsi devenue sans défense, pour s’accorder cinq nouvelles années. Mais, après trois ans de ce nouveau mandat (2019-2022), et au total six ans de pouvoir, il se rend compte aussi qu’il n’a rien fait de significatif, et que son régime est à présent associé à la dictature et aux tortures. Que faire ? Aucune solution ne s’offre à lui, d’autant plus que la crise économique est venue sérieusement compliquer la situation. Face à la hausse des prix, aucune autre réplique n’a été trouvée jusqu’à maintenant que la hausse des taxes et la répression contre les commerçants qui ont répercuté cette hausse sur les produits de première nécessité.
Une nouvelle politique est-elle possible ?
Le président Azali Assoumani pourrait relancer une nouvelle politique avec un nouveau gouvernement, mais on s’aperçoit qu’il ne sait plus sur quels hommes politiques compétents faire reposer ce nouvel élan. Même l’appel à des compétences du monde économique comme l’ancien Directeur de la Banque centrale, Mzé Aboudou Mohamed Chanfiou, nommé dans un premier temps ministre de l’Économie, puis récemment ministre des Finances à l’occasion d’un remaniement, n’apporte pas le dynamisme et la volonté nécessaire pour une relance de l’activité économique. Il en est de même pour l’ancien président de la Chambre de commerce, Ahmed Ali Bazi, qui est passé du ministère des Transports à celui de l’Économie sans qu’on ne s’en rende compte.
Le président Azali voudrait réellement changer de gouvernement, mais il craint de se mettre à dos des barons qui sont fatigués et qui n’ont plus d’idées nouvelles. Des jeunes aux dents longues sont prêts à prendre la place, mais il se méfie de ces intellectuels qui sont prêts à tout pour obtenir des titres ronflants. Il aurait souhaité refaire la belle équipe du début des années 2000, mais les plus avisés comme Souef Mohamed El-Amine ou Hamada Madi Boléro ont préféré fuir discrètement un régime qui a perdu l’essentiel des repères démocratiques.
L’État comorien est donc aujourd’hui un bateau qui navigue à vue en ziguezaguant. Le gouvernement n’espère plus que dans la Communication : il faut transformer des échecs en victoires, inverser le sens de lecture des chiffres, voir des félicitations des organisations internationales là où il y a des mises en garde, montrer des lanternes là où il n’y a que des vessies. Mais, il faut reconnaître que la tâche n’est pas aisée, loin de là.