À l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse qui a eu pour thème cette année « Le journalisme sous l’emprise du numérique », un petit nombre de journalistes comoriens s’est rassemblé à Moroni au niveau de l’ancienne Chambre des Députés pour écouter le discours de la nouvelle présidente du syndicat national des journalistes des Comores (Snjc), Faïza Soulé Youssouf.
Par Hachim Mohamed
Ce 4 mai était férié et de nombreux journalistes sont rentrés dans leurs villages, mais l’ancienne rédactrice en chef du quotidien national Al-Watwan était entourée pour rappeler le climat incertain et délétère qui règne dans le milieu. Elle a également mis l’accent sur l’importance de la prise en compte des risques du métier.
« Rien n’est plus facile que de menacer, que de suspendre, que de licencier, que d’arrêter un journaliste. Il y a beaucoup de censure, pire il y a beaucoup d’autocensure. Et les licenciements perpétrés sur des journalistes ne respectent aucune procédure », affirme la nouvelle présidente du syndicat national des journalistes des Comores (SNJC), Faïza Soulé Youssouf qui, portable à la main, lisait son discours.
Des journalistes toujours menacés
La plupart des journalistes travaillent dans des conditions extrêmement précaires. Les emplois disponibles payent peu et ne sont ni valorisants ni valorisés. Les journalistes comoriens n’ont de cesse de déplorer le total abandon des pouvoirs publics qui n’offrent pas de garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité, d’objectivité et de sécurité dans l’exercice du métier.
« Vous savez quoi, le ministre de la Justice, M. Djae Ahmada Chanfi n’a même pas pris la peine de rédiger un communiqué de deux lignes pour condamner l’agression malgré une demande formulée dans ce sens par le SNJC. », s’est exclamée Faïza Soulé Youssouf, en évoquant ce qui est arrivé récemment à son confrère Oubeidillah Mchangama, agressé, en sa présence, dans la prison de Moroni alors qu’ils étaient venus rendre visite à leur ami, Abdallaha Agwa.
Faïza Soulé Youssouf a également regretté la manière dont l’État a géré la mort suspecte de feu Ali Abdou, premier président, élu en décembre 2020. Aucune enquête sérieuse et transparente n’a été entreprise et jusqu’à présent la lumière n’a pas été faite sur les circonstances de cette disparition.
À écouter la présidente, sur la mort du journaliste, il y a des vérités à dire et des éclairages à effectuer dans la mesure où le procureur de la République de l’époque avait clairement fait comprendre que sa mort était naturelle alors qu’un faisceau d’indices indiquait le contraire.
Sous l’angle des menaces qui pèsent sur le métier, le discours de la présidente s’est aussi arrêté sur le cas de l’actuel ministre des Finances, Kamalidine Souef qui a menacé d’avoir recours à ses hommes de main pour mettre en pièces les journalistes qui parleraient en mal de lui.
Avantages et inconvénients de l’internet
Le domaine des médias est un endroit où la « météo de la diffusion l’information » est très imprévisible. Ces dernières années le domaine ne se développe que dans les réseaux sociaux. C’est pour la présidente un moyen de contourner la censure d’État, et cela sans que ces « journalistes » aient conscience des conséquences, positives ou négatives, des informations qu’ils diffusent sur internet. C’est pour elle une manière de plaider pour un mécanisme d’« autorégulation » afin de bloquer tous les contenus offensants et compromettants.
« Par exemple Saïd a un compte Facebook. Quand il poste une vidéo, il a quelque 500 vues. Saïd tient des propos séparatistes, mais il ne touche que 500 personnes. Maintenant, un autre média plus suivi avec beaucoup plus d’abonnés, bien référencé, reprend la même vidéo et la diffuse telle quelle. », a expliqué Faïza Soulé Youssouf pour commencer à évoquer la série des urgences de la feuille de route que propose la présidente pendant son mandat.
Ces dernières années naissent de nombreux médias en ligne, qui ne diffusent généralement que des Live Facebook et des vidéos reprises sur d’autres supports. Des médias qui n’existent que sur les réseaux sociaux, essentiellement sur Facebook et Youtube.
Il est donc légitime d’être inquiet et même alarmiste de l’usage fait par des acteurs étatiques et non étatiques des outils technologiques pour surveiller, pour contrôler, pour censurer le journaliste et pour atteindre sa vie privée.
Travailler dans un environnement sûr et respectueux des droits
À l’approche des échéances électorales de 2024, la présidente du syndicat pense que c’est un moment pendant lequel les journalistes sont souvent victimes d’une campagne de dénigrement, d’intimidation, de harcèlement orchestrée par les politiques. C’est pour cette raison que le syndicat aspire à créer un environnement sûr et respectueux des droits des journalistes.
Pour éviter que ces propositions ne restent stériles, Faïza Soulé Youssouf appelle les autorités à prendre de solides mesures préventives et nécessaires pour protéger les journalistes comoriens. Mais, elle s’adresse également à ses collègues : « Dès à présent, nous nous devons de faire en sorte d’être irréprochables dans le traitement de l’information », affirme-t-elle.
En tout état de cause, la feuille de route du Syndicat national des journalistes des Comores se veut claire : remettre le professionnalisme et les ficelles du métier sur les rails de l’éthique et de la déontologie en instituant un nouveau paradigme, un nouveau cadre de formation.
Elle se fait également un point d’honneur à étendre le rayon d’activité du bureau du SNJC. Et cela en affiliant dès le mois à venir le syndicat comorien à la plateforme de l’Association internationale des Syndicats des journalistes.