Mounawar Ibrahim est juriste et tient depuis plus d’un an une rubrique consacrée au Droit dans Masiwa. Il s’élève contre l’instauration d’un couvre-feu qui dure depuis trop longtemps alors qu’il ne suit pas les règles constitutionnelles. « Non seulement nous consentons à être séquestrés, mais en plus nous trouvons cela normal.», explique-t-il. Par Mounawar Ibrahim
Ce n’est pas la première et ce ne sera sans doute pas la dernière fois que je dénonce l’illégalité de cette mesure liberticide que le régime Azali décrète dans l’arbitraire le plus absolu. Aujourd’hui encore, je le réitère : ce couvre-feu est illégal et cette fois-ci injustifié. Mais ce n’est pas la mesure en elle-même qui me choque le plus, mais plutôt, son acceptation par l’ensemble de la population. Du moins en apparence.
Tout montre que les Comoriens se sont résignés à accepter l’inacceptable. Par crainte de la brutalité du virus ou d’une autre, je ne saurais trop me prononcer.
On ne tue pas une liberté publique
Vers la fin janvier, nul ne pouvait ignorer la psychose générale qui avait envahi la population au moment où l’île de Mohéli vivait des jours sombres à cause du variant sudafricain. Mais un mois plus tard, une mesure comme le couvre-feu est problématique. Au nom de la santé publique, on ne tue pas une liberté publique. Nos libertés n’ont pas de prix. Même les pays plus mûrs voient une bonne partie de leurs citoyens se soulever contre toute démarche liberticide, et ce malgré l’extrême gravité de la situation sanitaire liée au covid 19. Mais passons.
Aux Comores, depuis la première vague de la covid-19, les autorités se sont permis de fouler aux pieds nos libertés les plus fondamentales au mépris de toute procédure. Et pourtant les libertés fondamentales sont bien protégées dans la législation internationale à laquelle l’Union des Comores est soumise. Les articles 12 et 13 respectivement de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et de la Déclaration universelle des droits de l’homme l’attestent. Une mesure comme le couvre-feu est intrinsèquement liée à la déclaration de l’état d’urgence qu’il soit sanitaire ou pas.
Un préalable : l’état d’urgence
« Les droits, les libertés et les garanties ne peuvent faire l’objet d’une suspension qu’en cas de déclaration d’état de siège ou d’état d’urgence, conformément à la Constitution » article 19 de la Constitution. Cela ne devait pas poser problème dès lors que le parlement est à sens unique, en faveur de l’exécutif. Mais, ce préalable n’a pas été accompli. Par manque de diligence ou juste par mépris.
Je préfère accuser l’absence de rigueur dans l’appareil de l’État ces dernières années. Vu les mauvais traitements que subit notre jeune et fragile démocratie ces derniers temps, il est probable que le couvre-feu soit décrété de cette façon pour éviter de l’encadrer légalement. Surtout que même dans l’hypothèse où l’exécutif se passe de l’Assemblée nationale, ce qui n’a pas de sens, le Président peut lui-même décréter l’état d’urgence tout court en vertu de la loi N° 97-009 du 21 juillet 1997 portant organisation générale de la défense qui dispose que le président de la République peut décréter l’état d’urgence en conseil des ministres. À titre personnel, je ne trouve pas très conforme à la Constitution l’article 4 de cette loi qui autorise le Président à décréter l’état d’urgence. Mais, même cette procédure, il ne l’a pas envisagé. Et c’est très grave, car les autorités pourraient prendre goût et y recourir à tout moment et à mauvais escient. D’où la nécessité de le dénoncer.
Le tapis rouge dans le boulevard des écarts
On pourrait facilement, dans cette logique, se retrouver dans une situation où le Comorien doit, pour jouir d’un droit constitutionnel, attendre que le Président veuille le lui accorder, de manière discrétionnaire. Mais, franchement, comment comprendre que pour une situation qui compte au maximum huit cas de patients Covid+ par jour dans l’ensemble du territoire, les citoyens doivent dormir avant 20h ? C’est tout simplement une prise d’otage et je crains que nous développions, petit à petit, un variant du syndrome de Stockholm. Non seulement nous consentons à être séquestrés, mais on trouve cela normal.
Il est primordial que chacun de nous sache que quand l’État limite une liberté, il ne le fait pas avec gaieté de cœur. C’est aux citoyens de veiller à leurs acquis sociaux. La jurisprudence sociale a noté récemment la volte-face des autorités sur la hausse des prix des documents administratifs grâce à une mobilisation improvisée dans les réseaux sociaux. Pourquoi ne pas en tirer les enseignements ? Je parle d’un engagement sociétal loin des sensibilités politiques des uns et des autres. Apprenons à dénoncer la hausse d’un centime du prix du pain, des frais de transport, l’assassinat de nos libertés encore plus. Laisser nos politiques agir ainsi avec notre caution tacite, c’est leur dérouler le tapis rouge dans le boulevard des écarts de toute nature.
Le peuple de la nuit
Je ne prends le parti de personne, d’aucune partie. Je considère que le peuple est orphelin. Aucune structure n’est à mon sens, légitime pour prétendre le représenter. Je me mets donc du côté du Droit, de nos libertés et de nos acquis. J’exhorte le chef de l’État à mettre fin à cette mesure maintenant ou à justifier son maintien par un état d’urgence. Ce qui est matériellement impossible au regard du bulletin covid que le ministère de la Santé nous présente chaque jour. Et la carte de la prudence ne passera pas au regard des enjeux. Nombreux sont les Comoriens qui luttent la nuit pour essayer de joindre les deux bouts. Je fais allusion aux vendeurs de brochettes qui voient leurs activités s’effondrer. Aux épiciers qui tiennent ouvertes leurs épiceries jusqu’à tard la nuit dans l’espoir de vendre une sardine à une famille qui a tardivement réussi à trouver l’argent pour se l’acheter. À ces personnes qui travaillent à Moroni, mais qui n’y dorment pas et qui doivent coûte que coûte rentrer avant 20h. À ces milliers de familles qui n’ont droit à l’eau que vers 21 heures ou 22 heures à Moroni et qui doivent s’approvisionner à ces heures-là. Ces dernières méritent une attention particulière. Beaucoup de familles jouent au chat et à la souris le soir avec les forces de l’ordre dans le seul but d’avoir de l’eau. J’ai l’impression que ce fait très préoccupant est méconnu de tous les décisionnaires. Qu’est ce qu’on propose à ces familles-là ? Parce qu’elles ne peuvent pas payer l’amende, et pourtant elles ont besoin d’eau pour vivre. Leur situation met à nu l’extrême déconnexion des autorités au dur quotidien du Comorien.
Pour finir, je signale que beaucoup de choses sont à dénoncer avec énergie et vigueur toujours dans ce volet social, mais cela ne saurait se résumer en un papier. J’ose juste espérer que les autorités vont faire un sursaut de bon sens et prêter oreille à ces mots qui, encore une fois, se veulent foncièrement apolitiques.