Du point de vue de la crédibilité, le double scrutin qui a eu lieu aux Comores le 14 janvier a été une catastrophe. Le jour même de nombreux internautes ont diffusé des vidéos des fraudes opérées souvent par des personnalités proches du chef de l’État et dans les bureaux de vote. Les hésitations du président de la CENI, Saïd Idrissa et les invraisemblances des chiffres qu’il a présentés le 16 janvier 2024 ont fini par faire de ces élections les pires depuis 2016.
Par MiB
Le pouvoir en place avait fixé à la CENI et à la Cour suprême un objectif quasi impossible à atteindre : faire gagner à la présidence le chef de l’État sortant, dès le premier tour. Et chaque gouverneur de la mouvance présidentielle devait également l’emporter dès le premier tour. Une équation difficile à résoudre au vu de l’impopularité grandissante d’Azali Assoumani depuis 2019. Le double message a été répété à tous les meetings et à toutes les interventions du porte-parole du gouvernement et Directeur de campagne du candidat-président Azali Assoumani selon la méthode Coué. Au centre de la réussite d’une telle mission, il y avait la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Mais, la direction de campagne assurait le côté spectacle. De chaque meeting du candidat Azali devait sortir l’idée qu’il était en mesure de gagner les élections et dès le premier tour. Autant dire qu’il y avait peu de Comoriens sur cette terre capable de croire en une telle chimère. Mais, l’équipe d’Azali, officiellement dirigée par Houmed Msaidié, mais tenu en sous-main par le fils Nour el Fath, conseiller privé de son père a mis tous les moyens financiers, toute la logistique de l’État pour recruter des figurants qui pour 10.000FC (20€) acceptaient de revêtir un maillot bleu et une casquette avec la photo de l’ancien putschiste. Houmed Msaidié, ancien journaliste a aussi l’avantage de connaître les meilleurs journalistes du pays et de savoir comment les tenir. L’équipe de campagne a donc su amplifier les spectacles réussis et cacher les tentatives dans lesquelles le candidat Azali et son équipe ont dû fuir dans certains villages. Une campagne en demi-mesure malgré les moyens employés.
Un magicien à la tête de la CENI
Mais, la mission de la CENI demeurait la même. Quels que soient les chiffres sortis des urnes, elle devait les transformer en victoire dès le premier tour pour Azali. Heureusement, à la tête de la CENI, le candidat Azali Assoumani a placé un véritable magicien qui avait déjà fait ses preuves à l’Assemblée de l’Union pendant plusieurs années : Saïd Idrissa. Il aurait à son actif d’avoir su transformer un rapport parlementaire non validé par la commission parlementaire en une bombe qui a envoyé l’ancien président Mohamed Sambi en prison. Cet homme que beaucoup de gens, dont son ami Daoud Halifa qualifiait d’homme sérieux va fouler aux pieds un certain nombre de règles de la CENI pour parvenir à l’objectif qui lui a été fixé.
Le 16 janvier, soit deux jours après l’élection, le porte-parole du gouvernement et Directeur de campagne d’Azali Assoumani a annoncé que les résultats seraient donnés ce jour-là. Vers 10 heures ou 11 heures, les urnes arrivent au Palais du Peuple. Il faut faire la compilation avant de donner les résultats officiels, annoncés dans un premier temps vers 16 heures.
Le retour inattendu de Monaward Mshangama
Une chose incroyable se produit, selon Me Gérard Youssouf (voir son interview) dans deux salles de l’Assemblée de l’Union, Idrissa Saïd fait installer une cinquantaine de personnes avec des ordinateurs. Les commissaires qui ne font pas partie du Bureau de la CENI, et même du carré de fabrication des faux chiffres (président, Secrétaire générale, chargée de la logistique et chargé des tabulations) découvrent que la CENI a embauché autant de monde, sans qu’ils sachent les critères ni les modalités. Lorsqu’on interroge le président de la CENI, Idrissa Saïd, sur ce point (voir son interview), il rappelle qu’en tant que Président, il est le seul à embaucher et qu’il n’a pas besoin de passer par l’assemblée générale. Mais, on peut quand même s’interroger. D’où sortent tous ces gens qui arrivent d’un coup au Palais du Peuple pour saisir les résultats ? Qui sont-ils ? Est-ce qu’il n’aurait pas été plus transparent d’exposer à tous les membres de la CENI les modalités d’embauche et surtout leur permettre de suivre de près ces opérations de dernière minute ? Pour Me Gérard Youssouf, tous ces gens arrivés en renfort au dernier moment sont des gens de la mouvance présidentielle.
Mais, Saïd Idrissa a d’autres idées en tête. Lors de la compilation des résultats, tous les membres de la CENI sont priés de rester en dehors de ces salles, sauf un seul : Monaward Ahmed Mshangama, un ancien de l’équipe de Djaza, l’équipe connue sous le nom de « 104% ». L’homme est dans les élections aux Comores depuis 1996. Il connait les ficelles. Un homme très expérimenté dans la manipulation des chiffres. Il a été nommé à la CENI par la majorité azaliste de l’Assemblée de l’Union. Mais, Monaward Ahmed Mshangama ne devait pas être là. En effet, par un communiqué de presse du 2 janvier, la CENI apprenait aux citoyens que l’homme avait été suspendu par l’assemblée générale. Mais, entre temps, le président Idrissa Saïd l’a intégré, sans avoir eu besoin de consulter l’assemblée générale qui avait pris cette décision. Il a suffi qu’il remette une lettre d’excuses. Alors que la CENI avait, elle-même, fait savoir aux médias, d’une manière indirecte que le commissaire Monaward Mshangama avait été suspendu à cause de problèmes d’alcoolisme. Et après on s’étonne qu’il ait validé le chiffre de 16% de participation aux présidentielles avec une différence énorme avec la participation aux élections du gouverneur de Ngazidja.
Une assemblée générale de validation qui n’a pas eu lieu
Théoriquement, après la compilation des résultats des dépouillements, les chiffres auraient dû être discutés, débattus puis validés en assemblée générale, avant d’être présentés officiellement en public. C’est le PV issu de cette assemblée générale qui permet de saisir la Cour suprême. Nous n’avons pas pu déterminer si cette pièce figurait ou pas sur le dossier envoyé à la Cour Suprême, mais ce qu’on peut dire c’est que les commissaires ne sont pas unanimes sur la tenue de cette AG.
Le président de la CENI, Saïd Idrissa, affirme avec conviction que cette AG s’est tenue, qu’il y avait 11 membres sur 13, car le commissaire Kader était bloqué à Mwali et qu’il y en avait un qui était malade. Or, renseignement pris, il n’y avait aucun malade. Nous avons insisté auprès d’Idrissa Saïd pour savoir qui était malade, mais il a été incapable de nous le dire. De même, nous avons discuté avec lui sur Messenger puis sur Whatsapp, nous lui avons demandé s’il pouvait nous transmettre le PV de cette AG, il a prétendu qu’il était sur l’ordinateur du boulot et qu’il n’y aurait accès que lundi. Pendant près de 20 minutes sur Whatsapp, nous lui avons posé six fois les deux mêmes questions : où s’est déroulée cette AG et à quelle heure ? Pendant 20 minutes, il nous a tournés en rond, sans nous apporter une réponse. Nous avons posé les mêmes questions (où et quand ?) à celle qui était chargée de la Logistique, Yasmine Hassane Alfane, dès qu’elle a lu la question, elle a répondu : « Je suis navrée, je suis sur un autre dossier ». Aucun des deux personnages, membres du Bureau de la CENI ne nous a répondu sur les deux questions jusqu’à lundi soir. Idrissa Saïd qui avait promis de fournir le PV et les documents de travail des membres de la CENI pendant l’AG n’a rien donné.
Il semble que les membres du bureau n’ont pas eu le temps de s’entendre sur un lieu et une heure et qu’ils allaient se concerter dans la semaine pour pouvoir y répondre. À ces deux mêmes questions, un autre commissaire a répondu par un refus de se prononcer : « Faites votre travail sans moi. » Quatre autres ont décidé de garder le silence sur la tenue de cette AG, y compris le porte-parole de la CENI, Me Mohamed Abderemane Hilali. Et puis trois, dont un interrogé par un intermédiaire et Me Gérard Youssouf sont catégoriques : cette AG n’a jamais eu lieu et il n’existe pas de PV, sauf si un faux a été fabriqué. L’un d’eux qui a requis l’anonymat dit même que Idrissa Saïd ne pouvait pas participer à une telle AG, étant pris dès 16 heures pour l’organisation de sa présentation. Il dit qu’à un moment, un membre du Bureau est venu dire à certains d’entre eux, en quelques minutes, sans la présence du président, quels chiffres allaient être annoncés, mais sans possibilité d’en discuter.
Des chiffres qui n’ont aucun rapport avec la vérité
D’ailleurs, on peut se demander à quel moment, cette AG a pu prendre place, quand on sait que les compilations ont commencé vers 11 heures et qu’à 16 heures, Saïd Idrissa était à l’Assemblée nationale déjà prêt à faire son discours. Une AG de 13 personnes discutant des chiffres incohérents, l’AG pouvait durer toute la soirée.
La CENI a présenté des chiffres qui sont loin de représenter la réalité du vote des Comoriens. Rien qu’avec la forte différence entre le nombre de votants à la présidence et ceux qui ont voté pour les gouverneurs, les résultats présentés par Saïd Idrissa le 16 janvier sont loin d’être crédibles. Tous les candidats, y compris Azali Assoumani, les ont rejetés et on fait des recours pour les changer complètement, pas rectifier quelques erreurs comme le présent Yasmine Hassane Alfeine, non, prendre une autre bas.
L’Union européenne et les États-Unis ont demandé à la CENI de revoir sa copie avant d’envoyer ces chiffres incohérents, Saïd Idrissa baisse la tête et continue à proclamer que les observateurs de l’Union africaine et de la Francophonie n’ont rien trouvé d’anormal. Comme si ces deux instances ont une seule fois dans l’histoire des élections en Afrique trouvé que des élections s’étaient mal passées.