Yasmine Hassane Alfeine est membre du Bureau de la CENI, chargée de la Logistique. Elle a reçu une mission spéciale du président de la CENI pour aller superviser les élections à Anjouan.
Masiwa – Yasmine Hassane Alfeine, l’enquête menée par Masiwa ces derniers jours nous indique que vous étiez au centre de l’organisation de la fraude à Anjouan, est-ce que c’est faux ? Pourquoi ?
Yasmine Hassane Alfeine – Je n’ai été mêlée ni de près ni de loin à une organisation de fraude à Anjouan, ni ailleurs.
Propos recueillis par MiB.
Masiwa – Avez-vous effectué le serment sur le Coran avant de commencer à travailler à la CENI ?
YHA – Drôle de question. Évidemment et l’article 48 du Code électoral précise que « Avant leur prise de fonction, les membres de la CENI prêtent serment… ». Les membres de la CENI et ses démembrements ainsi que les membres des bureaux de vote prêtent serment.
Masiwa – Vous étiez la responsable de la Logistique, et vous avez été envoyée à Anjouan pour les élections, comment expliquez-vous que le candidat Mohamed Daoudou a saisi autant de bulletins de vote avec une croix déjà sur le nom d’Azali Assoumani ? Qui a pu introduire ces bulletins dans l’île ? N’étiez-vous pas chargée de la gestion des bulletins de vote en tant que chargée de la Logistique ?
YHA – Vous prétendez avoir fait une enquête et personne ne vous a dit que chaque candidat a reçu de la CENI des spécimens de bulletins de vote pour familiariser ses électeurs à l’opération de vote ? Hormis ces spécimens, la CENI a seulement disposé les bulletins dans les bureaux de vote et nulle part ailleurs.
Comme son président, Idrissa Saïd, la chargée de la Logistique évoque des spécimens pour cacher le fait que de vrais bulletins ont été saisis avec le nom d’Azali Assoumani déjà coché dans le Mboinkou (Ngazidja) la veille des élections et dans le Nyumakele le jour même des votes. Or la gestion des bulletins et leur sécurisation étaient sous la responsabilité du Bureau de la CENI et logiquement de la Chargée de la Logistique. Comment de vrais bulletins, pas des spécimens sur lesquels est écrit « specimen », se sont trouvés entre les mains de fraudeurs ? La CENI n’a toujours pas donné d’explications. La CENI n’a même pas ouvert une enquête ni porté plainte, car les membres de son Bureau savent comment ces bulletins sont passés de leurs mains à celles des fraudeurs.
Masiwa – En tant que responsable de la logistique, pouvez-vous nous dire en toute transparence à quelle entreprise a été confiée la tâche de reproduire les bulletins de vote ? Y a-t-il eu un appel d’offres ? Comment avez-vous choisi l’imprimeur ?
YHA – Il y a eu un appel d’offres restreint aux fournisseurs ayant travaillé avec la CENI depuis 2016. Un comité d’évaluation a examiné les offres soumises et a attribué le marché à la meilleure proposition. C’est Impredoc qui a obtenu le marché. En 2019 aussi.
Je précise que la CENI a contracté avec plusieurs fournisseurs pour l’ensemble de ses activités.
Il s’agit ici d’un mensonge. Nous avons vérifié l’information. En 2019, il y a eu plusieurs lots et plusieurs sociétés ont remporté les marchés, pas la seule Impredoc. Parmi les imprimeurs qui ont remporté un marché en 2019, l’un d’eux nous a expliqué d’une manière anonyme que cette année, il a guetté l’appel d’offres en vain : il ne l’a jamais vu. Un deuxième imprimeur qui avait l’intention de candidater n’a jamais vu d’appel d’offres, il s’agit de l’imprimeur sis à Moroni, Rooshdy qui affirme que si un appel avait été lancé, il aurait été au courant et il aurait candidaté. Enfin, nous avons parcouru les numéros d’Alwatwan du mois d’octobre jusqu’à début novembre et nous n’avons vu aucun appel d’offres de la CENI. Nous attendons toujours que la Chargée de la Logistique nous transmette ces appels d’offres dont elle parle et la composition du Comité d’évaluation qui a choisi Impredoc. Ce sont des informations qui doivent être publiques, elles ne devraient pas être cachées, sauf si on a bafouillé la loi sur la passation de marchés publics.
Masiwa – Pensez-vous que les élections à Anjouan se sont déroulées normalement ? Pourquoi ?
YHA – Les élections à Anjouan et dans les autres iles aussi se sont déroulées normalement, dans une atmosphère de paix et de sérénité. Les observateurs internationaux et nationaux le confirment. On peut déplorer des irrégularités constatées dans quelques bureaux de vote. Ces irrégularités ont été sanctionnées par la Cour Suprême, me semble-t-il.
Il s’agit ici d’un mensonge. Les observateurs internationaux étaient partagés. L’Union africaine et la Francophonie ont dit comme d’habitude lors d’élections aux Comores et en Afrique : malgré quelques imperfections, globalement l’élection s’est bien passée. Par contre, les observateurs de l’Union européenne, comme les États-Unis et l’Afrique du Sud, ont demandé à la CENI de revoir les incohérences des résultats présentés. Un mois après les chiffres de la CENI, ils font partie des nombreux pays qui n’ont pas officiellement félicité le gouvernement comorien ni la CENI pour l’organisation de ces élections.
Masiwa – Pourquoi selon vous, le gouverneur présenté comme élu à Anjouan a-t-il loué la collaboration des militaires de l’AND dans l’île alors qu’on les a vus entrer dans des bureaux dès 14h pour se saisir des urnes avant même le dépouillement ?
YHA – Il faut lui poser la question. Je suis membre de la CENI et non porte-parole du Gouverneur élu.
Pour la fermeture des bureaux avant l’heure, ce que je sais, la CENI n’a pas donné d’ordre dans ce sens. Je crois que les militaires ont diligenté une enquête.
Les militaires étaient normalement sous les ordres de la CENI. Et la CENI n’a mené aucune enquête sur les nombreuses irrégularités, comme c’est prévu dans le Code électoral, même pas sur l’audio du fils et conseiller privé d’Azali Assoumani qui appelait ses partisans placés en grand nombre dans les bureaux de vote par la CENI deux jours avant les élections, à faire du bourrage d’urnes.
Masiwa – Quel était votre rôle à Anjouan ? Avez-vous fait du recueil de PV et du dépouillement ? La CEII n’était pas en mesure de faire les travaux qui lui sont assignés ?
YHA – « La CENI est chargée de la préparation, de l’organisation, du déroulement, de la supervision des opérations de vote et de la centralisation des résultats de toutes les élections visées à l’article premier du présent Code », article 64. Je vous fais remarquer que je n’étais pas la seule à être déployée à Anjouan pour superviser les élections. La CENI, la CEII, les CECI, chaque entité a ses missions précises dans les opérations électorales.
La Chargée de la Logistique ne veut pas dire ce qu’elle a fait concrètement à Anjouan et se réfugie derrière la généralité de l’article 64.
Masiwa – Dans un atelier à destination des ONG le 14 décembre 2023, vous disiez que la CENI s’engage à réaliser un scrutin équitable et démocratique, honnêtement pensez-vous avoir organisé une élection libre et démocratique, au vu de toutes les fraudes qui apparaissent dans les vidéos et les manquements de la Logistique de la CENI qui ont favorisé ces fraudes ?
Malgré votre constance à accuser sans preuve, la CENI a organisé des élections libres, démocratiques et dans un climat apaisé. Six candidats ont concouru en toute liberté à l’élection du Président de l’Union et 24 autres aux élections des Gouverneurs. Les Comoriens se sont exprimés librement. Les observateurs internationaux et nationaux le confirment. Les quelques irrégularités constatées et annulées par la Cour Suprême n’entachent pas la sincérité des élections.
Encore une fois, votre volonté de remettre en cause la probité de la commission matérielle est vaine, parce qu’infondée. La logistique du côté de la CENI n’a pas failli.