Il est des moments où la faiblesse de nos âmes nous impose le silence. Des moments où on réfléchit aux conséquences qu’auront les lignes que nous écrivons. Mais rapidement on se rappelle que si on ne le fait pas, ce n’est pas ceux qui sont à l’intérieur du pays, emplis de peur et terrorisés par la brutalité de la dictature, qui le feront.
Par Khaled Simba
« En ce qui concerne les contrôles techniques des voitures, nous mettons fin », déclare le nouveau Commandant du groupement de gendarmerie de Ngazidja, Loukman Azali. La gravité de cette décision aurait dû nous inciter à la négliger, mais la profondeur du préjudice qu’elle inflige à notre pays nous oblige à sonner l’alarme. Comme le disait Einstein, « Deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine. ». Et il n’existe pas de meilleur moyen de combattre cette bêtise que de la confronter et d’espérer que son auteur en prenne conscience, avant qu’il ne soit trop tard.
Mais que diable avons-nous fait pour mériter autant de mépris ? Quel sacrifice avons-nous oublié de faire pour que ceux qui sont censés faire respecter la loi soient les premiers à la bafouer ? Voilà ce que je me suis dit quand j’ai vu l’intervention de mon ami Loukman. Un coup de massue. Cette déclaration du commandant est un non-sens abyssal. Une totale ignorance des règles les plus basiques de la démocratie. Elle démontre à quel point les éléments qui dirigent ce pays actuellement n’ont de règle que ce qui les arrange. Loukman Azali, avec tout le pouvoir qu’il peut avoir, n’est pas le parlement Comorien et n’est pas un parlementaire.
Décider par le fait du prince d’arrêter le contrôle des visites techniques à l’ensemble des voitures ou aux véhicules de transport de passagers revient à rendre caduques pas moins de cinq articles de la loi 19-06/AU portant Code de la route, adoptée le 25 juin 2019 et promulguée le 01 avril 2020 par le colonel Azali. Doit-on rappeler au commandant Loukman et à ses supérieurs, formés en science politique et à la prestigieuse école de guerre de Paris pour certains, qu’ils n’ont pas les prérogatives pour amender une loi ?
La Gendarmerie est certes une grande institution que nous respectons, mais elle n’est pas l’Assemblée nationale. Son rôle, ainsi que celui des officiers qui la dirigent, est de veiller à ce que les lois que les représentants du peuple adoptent soient appliquées, de les faire respecter. L’article 72 de la constitution stipule que « L’Assemblée de l’Union est l’organe législatif de l’Union. Elle vote les lois, y compris les lois de règlement… ». Il n’est fait mention nulle part ailleurs qu’un fils du président, qu’un commandant de gendarmerie a la possibilité d’émettre ou de démettre une loi.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, nous avons relevé, en une lecture rapide, pas moins de cinq articles dans le nouveau code de la route qui obligent les propriétaires à faire passer un contrôle technique à leurs véhicules avant que ces derniers ne soient mis en circulation. Pas une disposition, mais plus de cinq, que la décision de Loukman et de la gendarmerie va fouler aux pieds.
À titre de rappel, l’article 178 dispose que « Tout véhicule est soumis à une visite technique, que celui-ci doit répondre aux conditions requises pour être maintenu en circulation conformément aux dispositions par un centre agréé. » L’article 237 rappelle l’existence possible de vice de construction : « Aucun véhicule destiné à des transports en commun ne pourra être mis en service avant d’avoir fait l’objet d’une visite technique par la direction de la réglementation, (…) aux fins de s’assurer que ledit véhicule ne présente aucun vice de construction qui puisse occasionner des accidents (…) »
Et l’article 238 va encore plus loin en obligeant les propriétaires de véhicules de transport à faire un contrôle technique tous les trois mois : « Ces véhicules devront être présentés obligatoirement tous les 3 mois à la direction de la réglementation…»
Malgré ces dispositions, la gendarmerie, par le truchement du commandant Loukman, a accepté de suspendre le contrôle de ce document à la demande de Usukani Wa Masiwa. Ces derniers s’appuient sur la situation actuelle du centre agréé pour les contrôles techniques. Car oui, nous sommes tous au courant que ce service dysfonctionne. Il est aujourd’hui possible de se faire délivrer des attestations de visite technique sans même devoir présenter la voiture à l’agent contrôleur. Il se contente de récupérer le paiement et délivre le sésame. C’est une réalité qu’il ne faut pas nier et à laquelle on ne cherche pas à échapper. Mais il n’appartient pas à la gendarmerie de décider d’un moratoire sur une loi.
La gendarmerie ne peut pas souffler le chaud et le froid. Elle ne peut pas dire aux chauffeurs qu’ils peuvent rouler sans contrôle technique et en même temps leur demander de jouer les médiateurs et les contrôleurs pour que leurs camarades ne roulent pas avec des carcasses ou des véhicules qui ne devraient pas être sur la chaussée. Comment peuvent-ils identifier ces voitures défaillantes ? Qui les a assermentés pour pouvoir dire qu’un véhicule est défaillant ? Quelle différence de traitement par exemple, entre un camion sans trappe de fermeture apparente et une Vitz qui a des plaques de freinage inefficaces ? Qui est le plus dangereux pour les autres usagers de la route ? Trop de questions subsistent et ne trouveront pas de réponse car, comme nous l’avons dit dès le début, cette décision est juste une bêtise.
Le commandant Loukman s’est engagé au nom du commandement à travailler avec le centre de délivrance des permis pour contrôler l’attribution de permis de complaisance, il devrait faire la même chose avec le centre agréé pour les contrôles techniques. Trouver les brebis galeuses, démanteler le système mafieux qui facilite cette fâcheuse situation et permettre au centre d’avoir un fonctionnement normal et de mener sa mission d’intérêt public. C’est sur cela que nous attendons nos gendarmes, et non pas dans le domaine législatif.
En conclusion, la décision du Commandant Loukman Azali de suspendre les contrôles techniques des véhicules est non seulement incohérente avec les lois existantes, mais elle met également en danger la sécurité sur nos routes. Les règles démocratiques et législatives ne peuvent être contournées par des décisions arbitraires, même par des personnalités influentes. Il est essentiel que nos forces de l’ordre se concentrent sur leur rôle de garantir le respect des lois établies par nos représentants élus, tout en travaillant à corriger les dysfonctionnements qui entravent la mission essentielle des centres de contrôle technique ou autres, assurant une mission d’intérêt public.
Il est des moments où la faiblesse de nos âmes nous impose le silence. Des moments où on réfléchit aux conséquences qu’auront les lignes que nous écrivons. Mais rapidement on se rappelle que si on ne le fait pas, ce n’est pas ceux qui sont à l’intérieur du pays, emplis de peur et terrorisés par la brutalité de la dictature, qui le feront. Espérons que la décision du commandant Loukman sera révisée dans l’intérêt de la sécurité de tous et de la bonne gouvernance, afin que nous puissions continuer à progresser en tant que nation.
En attendant, soyons intègres, soyons citoyens, soyons Comoriens, et le meilleur suivra.