Dans la course des législatives, Ahmed Youssouf Abdou et son suppléant Fahardine Mroivili Mohamed, deux novices en politiques ont décidé d’aller au charbon sous les couleurs du parti présidentiel, la CRC. De cet engagement, où sans expérience, ils sont appelés à accomplir une tâche qui n’a rien d’une promenade de santé, à mouiller le maillot, le premier jalon de leur campagne a été posé avec l’ouverture de leur « QG » de campagne, il y a plus d’une semaine à Iroungoundjani, quartier de Moroni, la capitale. C’est le quartier de ces deux militants. Comme à l’accoutumée dans les meetings du parti au pouvoir, le seul qui fait campagne sans parcimonie, on a diffusé de la musique à fond, rythmée par des prises de parole qui présentaient leurs profils et leur projet pour la circonscription.
Par Hachim Mohamed
« Je n’attends rien de ces élections avec un régime qui n’a rien fait dans mon quartier. Quand on avait sollicité pour les installations d’une fontaine (présentement aucune goutte d’eau ne sort plus des robinets) et le pavage des ruelles, c’est Cheik Ali et Mohamed Daoudou alias Kiki qui nous ont aidés », confie un ancien de Bodoni qu’on appelle affreusement « le Maire ».
Cette déclaration nous renseigne, en somme, on ne peut mieux sur l’état d’esprit des électeurs comoriens à quelques jours des élections législatives qui devraient se tenir le 12 janvier prochain.
Contrairement au double scrutin du 14 janvier de l’année dernière, les élections boudées par la majorité de l’opposition n’attirent pas grand monde. Dans les têtes des Comoriens, à Moroni comme dans les autres villes et villages de Ngazidja, les conséquences du cyclone Chido sur Mayotte et les célébrations des grands mariages (mashuhuli) sont beaucoup plus importantes que les meetings soporifiques de la campagne électorale pour les législatives de leur propre pays.
C’est aussi une situation qui dénote à quel point la méfiance des comoriens envers les hommes politiques n’a cessé de croître ces dernières années. Les élections législatives sont perçues comme un moyen de promotion sociale qu’offre le pouvoir en place. Sauf énorme surprise, la participation pour cette élection du 12 janvier 2025 sera marquée par l’abstention.
Goodies distribués comme des petits pains
Si l’ambiance à moins de dix jours de la clôture de la campagne électorale pour le premier tour des législatives n’est pas à la hauteur de l’événement, ce n’est pas pour autant un nuage de mécontentement ou d’ennui qui planait au niveau de la faune du Café de Bodoni.
Simple geste de drague pour certains, outil de propagande pour d’autres, les goodies estampillés CRC (casquettes, t-shirts ou pins à l’effigie des candidats) s’y arrachent. Ce fut le cas la veille de l’arrivée à Iroungoudjani d’Ahmed Youssouf Abdou et son suppléant, Fahardine Mroivili Mohamed qui étaient attendus à 17 heures à Bodoni. Une fille qui va sur ses trente ans et qui est arrivée avec un sac plein distribuait à tour de bras casquettes, t-shirts, écharpes « CRC », comme des petits pains. Sur les chaises occupées, se trouvaient donc des gens avec du blanc sur la tête et du « bleu » au niveau du torse.
« Nous sommes ici au carrefour de la ville. Un quartier qui se situe au centre des autres zones d’habitation. Pas loin pour se rendre à Badjanani, à Mbouéni ou encore à Iroungoudjani. Ahmed connaît bien ici, lui qui est né à Iroungoudjani, mais a grandi à Mboueni, il fréquentait aussi Bodoni. Ce qu’on va faire une fois élu, on va travailler avec une commission de ce quartier qui va informer ce qui a été décidé dans la prise en compte des doléances tels que le problème de l’eau, de l’électricité que nous vivons tous sans oublier de porter une attention particulière sur la gestion des ordures », confie le suppléant qui n’a pas manqué de saluer la présence en grand nombre des femmes.
Marquer coûte que coûte de leur empreinte cette législature
Membre du comté d’accueil, Nasma Abdallah qui a été interrogé sur ces doléances soumises au suppléant a rebondi pour préciser qu’elles vont du problème du chômage des jeunes du quartier à la construction de l’école coranique pour les enfants et le souci de pavage dans un milieu où la pluie fait descendre depuis les hauteurs de Mbouéni toutes sortes d’objets et ordures.
Sur la prise en compte de ces préoccupations, le candidat Ahmed Youssouf Abdou, qui se dit issu d’une famille pauvre et connait bien le quartier, a mis l’accent sur l’enseignement qui est, pour lui, la pierre angulaire pour espérer un véritable changement, un développement. Il estime que ce n’est pas en déversant de millions dans le quartier qu’on va réaliser un projet de société si les gens ne sont pas suffisamment instruits pour gérer en responsabilité les opportunités.
À en croire ce technicien en météorologie, lui et son suppléant Tota apprécié, ils se battront pour qu’à la fin de la législature, on puisse dire qu’ils ont « marqué de leur empreinte ce qui aura été fait ».
Le « Maire Jean-Luc » en pop-star
Dans les réseaux sociaux, les candidats CRC multiplient les appels à voter pour leurs candidats, mais force est de reconnaitre qu’ils sont tout le temps rappelés à l’ordre sur leurs promesses faites durant les dernières élections et qui ne se retrouvent pas au menu de l’agenda du gouvernement, encore moins au menu de la prochaine législature.
Si Ahmed Youssouf Abdou et Fahardine Mroivili Mohamed ont mis l’accent sur les rencontres de proximité par peur de rater leurs meetings et que les murs de Bodoni ont servi de tableaux d’affichage, ces déplacements de campagne ont drainé peu de monde.
Connu pour son opposition farouche au régime, à la fin du meeting, le « Maire Jean Luc » de Bodoni a été érigé en « pop star » par les candidats CRC et par la faune du « Café » via de séances de prises de photos et de piques lancées avec des rigolades.
Pour rappel, le premier tour des élections législatives aura lieu le 12 janvier et le second le 16 février, en même temps que les élections communales.
L’opposition a refusé de participer au scrutin faute d’avoir obtenu du gouvernement les garanties qu’elle juge nécessaires pour que le scrutin soit « transparent, libre et démocratique ».
Encore une fois, ces joutes électorales se déroulent dans un contexte particulier, perturbé à la fois par les problèmes de la rentrée scolaire chaotique pour certains établissements privés et par la non-participation de l’opposition.
La campagne pour recueillir des aides humanitaires pour les sinistrés de Mayotte après le cyclone Chido est beaucoup plus visible que les déplacements de candidats dans les villes et les villages.