Comme l’avait annoncé le chef de l’État des Comores, l’imbroglio de la présidence de l’Union Africaine (UA) à partir de février 2023 se serait dénoué en marge du sommet États-Unis-Afrique qui a eu lieu du 13 au 15 décembre. Le tout nouveau président du Kenya, William Ruto, élu en septembre dernier, aurait jeté l’éponge ouvrant la route à une présidence comorienne.
Par MiB
Beit-Salam a fini par annoncer la nouvelle, après l’avoir fait fuiter par un journaliste de l’ORTC dès le 16 décembre : le Kenya a signifié à la délégation comorienne présente aux États-Unis jusqu’au 15 décembre qu’il cessait de briguer la présidence de l’Union africaine. Cette ambition était le fait du président Uhuru Kenyetta, mais il a été battu aux élections présidentielles en septembre 2022 par son vice-président, William Ruto. Ce dernier n’avait pas jusque-là montré qu’il avait la même ambition que son prédécesseur, celle de diriger l’Union africaine au nom des pays de l’Est, dont c’est le tour.
Une annonce timide
La présidence comorienne a annoncé officiellement par un communiqué le lundi 19 décembre, soit quatre jours après la rencontre avec William Ruto, que ce dernier a lâché prise et qu’Azali Assoumani se préparait à succéder à Macky Sall en février prochain. Le communiqué nous apprend que l’annonce du retrait du Kenya a été faite « lors du sommet États-Unis-Afrique », mais en réalité une telle annonce n’a pu se faire qu’en marge du sommet), lors des rencontres informelles. Les Comores attendent à présent une notification officielle du Kenya à destination de l’UA.
Le communiqué de Beit-Salam s’attache à montrer les différentes réactions du Chef de l’État comorien qui attendait cette décision depuis plusieurs mois. Tout est dans l’emphase pour traduire cette joie. Dans le premier paragraphe, trois mots expriment l’état d’esprit d’Azali Assoumani : « plaisir », « soulagement » et « humilité ».
La suite du communiqué ressemble à la première page d’un mémoire d’un étudiant qui remercie tous ceux qui ont contribué à sa réussite. Les répétitions des mêmes mots et expressions donnent l’impression que le texte a été bâclé. La présidence précise que le chef de l’État est reconnaissant envers « la grandeur de la nation kenyane », « la grande sagesse de ses dirigeants », le président William Ruto, « sa grandeur d’esprit » et « son leadership éclairé », « son Frère Macky Sall », « son frère Moussa Faki » et « tous ses autres frères des autres pays africains… ». On remarquera que dans ce court communiqué le mot « grand » ou « grandeur » est repris quatre fois, et que le « Frère » Macky Sall a le droit à un « F » majuscule, alors que pour W. Ruto et Faki ce sera un petit « f ».
Le communiqué semble avoir été rédigé dans la précipitation après quatre jours de tergiversations et d’une attente qui pouvait soulever bien des questions. Pourquoi avoir mis autant de temps à annoncer une décision qui, au plus tard, a été prise jeudi ? Pourquoi les milieux du pouvoir ne jubilent pas autant que lors de l’annonce de la 2e vice-présidence des Comores ? Mystère.
Campagne et pressions d’Azali
La désignation du Président de l’Union africaine ou pour être plus précis du Président de la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement n’est pas réellement une élection ouverte à tous. Ce n’est pas un processus par lequel les peuples africains élisent chaque année leur président. Les chefs d’État doivent désigner l’un d’entre eux pour diriger la conférence. Dans la réalité, on évite tout ce qui peut ressembler à une campagne électorale. On fait tourner la présidence par grandes régions, qui elles-mêmes la font tourner vers les pays qui ne l’ont jamais exercée.
Pour 2023, c’est au tour d’un pays de l’Afrique de l’Est de présider l’organisation, aucun autre pays d’une autre région ne pouvait être candidat. Les Comores avaient cette année la 2e vice-présidence et cela a fait pousser des ailes au président comorien. Il était très tôt candidat pour la présidence et il n’avait qu’un seul concurrent, l’ancien président du Kenya, Uhuru Kenyatta, dont le pays, contrairement aux grands de la région, n’a jamais présidé l’UA.
Azali Assoumani avait fait l’essentiel pendant l’été 2022, pendant que son concurrent était dans une campagne difficile pour sa réélection dans son pays. Au mois d’août, Houmed Msaidié avait été envoyé dans une sorte de périple que chacun pouvait suivre sur son compte twitter : le 1er août en Tanzanie, il est reçu par la présidente ; le 13 août en Afrique du Sud, il rencontre la ministre des Affaires étrangères ; le 20 août, il a une entrevue avec le président Kagame et son ministre des Affaires étrangères au Rwanda. Pour cette mission, le ministre de l’Agriculture a pris un autre titre : « envoyé spécial du président Azali » et avait pour mission de convaincre les pays de l’Afrique de l’Est qu’Azali Assoumani pouvait devenir président de l’Union africaine.
En septembre, on apprenait qu’Uhuru Kenyetta a été battu aux présidentielles au Kenya. Le vainqueur, William Ruto n’avait pas jusque-là manifesté l’envie d’être président de l’Union Africaine. Le chef d’État comorien a senti que tout était possible. Il a cherché à multiplier les rencontres avec le nouveau président du Kenya pour l’amener à renoncer à la candidature du Kenya. Il serait donc parvenu à le convaincre le 15 décembre dernier aux États-Unis.
Les contradictions de l’UA
La présidence de l’UA serait donc confiée dans quelques semaines, au plus mauvais moment, aux Comores. Le pays traverse une période de crise à cause du caractère autocratique du régime actuel. Le président Azali Assoumani détient tous les pouvoirs entre ses mains. Il n’y a aucun opposant à l’Assemblée nationale, résultat d’une politique de fraude massive à toutes les élections.
Les pays de l’Afrique de l’Est ont pu constater le niveau de ces fraudes en 2018, à l’issue du référendum de modification de la Constitution lorsqu’une délégation venue de ces pays a été priée de quitter Moroni au moment où elle s’apprêtait à faire une conférence de presse pour dénoncer les remplissages des urnes. Les observateurs de l’UA eux-mêmes ont constaté à maintes reprises ces fraudes et particulièrement lors des présidentielles de 2019.
Les trois gouverneurs des îles sont privés de tout pouvoir et notamment de l’autonomie financière par les derniers tripatouillages de la Constitution qui vont permettre au chef de l’État de faire un second mandat en 2024 alors que ce n’était pas possible jusque-là.
Le dernier procès de son principal opposant Ahmed Abdallah Mohamed Sambi a montré qu’en plus il contrôle la Justice. Arrêté pour trouble à l’ordre public, l’homme a été enfermé pendant quatre ans accusé de corruption, avant d’être jugé par la Cour de Sûreté (Une Cour qui n’admet pas d’appel) pour haute trahison comme s’il avait commis des attentats ou un coup d’État. Au final, l’opposant a été condamné à perpétuité avec confiscations de ses biens. Et pour être sûr qu’il ne reviendra pas sur la scène politique, il l’a fait priver de ses droits civiques à vie. Ce procès a été le couronnement d’un processus visant à éliminer toute forme d’opposition à l’intérieur du pays.
C’est ce processus qui a poussé un collectif d’avocats exerçant aux Comores et en France (Abdoulbastoi Moudjahidi, Enchouroi Kari, Saïd Hassane Saïd Mohamed, Mihidoiri Mohamed Abidi Ali et Ahmed Ben Ali) à saisir la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples le 27 mai 2019 pour dénoncer les abus de pouvoir et les arrestations arbitraires des opposants aux Comores. Cette commission a demandé des explications à l’État comorien qui n’a pas daigné y répondre. L’un des avocats interrogé par Masiwa craint tout simplement que cette plainte ne tombe dans les oubliettes après la désignation d’Azali Assoumani comme président de l’UA.
Le pire c’est que celui qui est annoncé comme le futur président de l’UA est accusé par un rapport de l’ONU et par divers rapports du département d’État américain d’au moins couvrir des tortures de l’armée pendant les interrogatoires des opposants. Ces tortures ont fait au moins un mort le 7 avril 2021, le major Hakim Bapale, enterré à la hâte la nuit, sans lavage du corps et sans prières dans un pays musulman.
La désignation des Comores pour diriger l’Union africaine au moment où le pays subit une certaine dictature est le signe que l’UA a perdu tous les repères et ne sait plus où elle est, engluée dans les contradictions les plus monstrueuses. Comment Azali Assoumani pourra-t-il faire valoir l’interdiction des coups d’État alors qu’il en a commis un lui-même et continue dans le coup d’État permanent contre les institutions de son pays ? Comment pourra-t-il interdire à ses pairs de ne pas changer les constitutions pour se maintenir au pouvoir alors que c’est ce qu’il a fait ? Comment pourra-t-il faire valoir la démocratie et les Droits de l’Homme qu’il piétine tous les jours dans son pays ?