Ces derniers temps, plusieurs militants pour la démocratie ont soudainement changé de camp et affiché un rapprochement avec le gouvernement Azali dont ils combattaient les pratiques dictatoriales. Les vidéos publiées dans les réseaux sociaux à la fin du mois d’octobre 2021 par le jeune Zaïdou Ahamada, en fuite à Mayotte, et dont les faits n’ont pas été contestés ni par Houmed Msaidié, Porte-Parole du gouvernement, ni par Mahamoud Fakriddine, ministre de l’Intérieur, ni par Salim Allaoui Djaanfar, ministre de l’Éducation ni par les officiers des renseignements cités permettent de comprendre comment le gouvernement Azali retourne les militants en leur offrant de l’argent, des biens matériels et même des emplois en les utilisant pour enregistrer notamment les conversations et réunions de l’opposition. Par MiB
Zainou Ahamada a fui vers Mayotte voici un mois. Il a pris l’avion de Moroni à Anjouan, puis un kwasa-kwasa pour Mayotte. Sans avoir de point de chute. Il a pu compter sur la solidarité comorienne. Il a immédiatement demandé l’asile politique. Dans l’île sous administration française, il en est déjà à son troisième lieu de résidence. Il craint et sa peur s’est accrue depuis qu’il a diffusé dans les réseaux sociaux, la semaine dernière, des vidéos dans lesquelles il accuse des hommes politiques et des officiers des renseignements d’avoir tenté de le retourner et de lui avoir confié un petit dispositif (qu’il nous a laissé photographier comme preuve de ce qu’il a dit dans les réseaux) pour enregistrer les rencontres et les réunions de l’opposition.
Un ancien prisonnier politique
Zainou Ahamada est un jeune homme de 30 ans, natif de Ntsaweni, dans le nord de Ngazidja, et plus précisément la capitale historique du Mbude, le fief de Houmed Msaidié, ministre de l’Agriculture. Il a fait irruption dans la politique le 17 octobre 2020 en manifestant, seul, dans la capitale, Moroni, avec une pancarte et en criant : « Azali tuez-moi et libérez Sambi ». Il exigeait la libération de l’ex-président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, en résidence surveillée depuis trois ans, sans jugement. Il dira plus tard qu’il n’est pas sambiste, mais plutôt proche de Houmed Msaidié. Toutefois le courage de Sambi, qui a décidé de rentrer dans son pays pour s’expliquer et l’injustice que ce dernier subit l’a amené à se prononcer pour sa libération.
Zainou Ahamada n’a pas tardé à rejoindre les divers groupes activistes qui réclament les droits et libertés inscrits dans la Constitution et notamment le droit de se réunir et de manifester. Lors d’une manifestation aux abords de l’aéroport de Hahaya, il a été arrêté. Il a raconté avoir été battu lors de son arrestation à Hahaya puis à la gendarmerie. Il en garde des traces sur le corps encore aujourd’hui. Ensuite, il a fait cinq mois et demi dans la tristement célèbre prison de Moroni, comme prisonnier politique.
Piégé par le paternalisme de Msaidié
Dans les vidéos qu’il a envoyées dans les réseaux pour expliquer sa fuite soudaine de la Grande-Comore, il explique qu’il subissait la pression de ministres et d’officiers des renseignements pour trahir ses amis de l’opposition.
Pour Zainou Ahamada, c’est Houmed Msaidié qui l’a piégé et a cherché à l’introduire dans le camp gouvernemental qu’il combattait. Le briscard de la politique comorienne l’a appelé à deux reprises et a envoyé son chauffeur le chercher pour lui parler. La première fois, il était vers 22 heures. Le Porte-parole du gouvernement n’est pas allé par quatre chemins et a demandé au jeune homme, un peu naïf certes, ce qu’il souhaitait avoir pour travailler discrètement pour les services de renseignements. Zainou Ahamada aurait prévenu l’un des leaders de l’association Mabedja qui lui a conseillé de ne pas prendre de photos en compagnie de Houmed Msaidié. Il a d’ailleurs pris beaucoup de précautions pour ne pas qu’on le voie en compagnie du ministre, qui s’est montré compréhensif sur ce côté-là. Zainou a quitté le domicile du ministre ce soir-là sans avoir accepté de travailler pour lui. Houmed Msaidié a employé un ton paternaliste, se présentant à lui comme un oncle de la région qui se souciait de son avenir. Il lui aurait proposé près de 100.000 FC (200 euros) comme frais de déplacement, Zainou Ahamada aurait refusé dans un premier temps, mais le ministre aurait insisté et il aurait fini par accepter 25.000 FC. Toutefois, le ministre aurait quand même demandé à son chauffeur de le raccompagner.
Sous la pression du ministre de l’Intérieur
Houmed Msaidié a rappelé le jeune homme une deuxième fois, un soir de nouveau, et lui a présenté Mahamoud Fakriddine, le ministre de l’Intérieur, qui lui aussi lui aurait proposé de demander ce qu’il veut s’il accepte de travailler pour eux. Il lui aurait promis un visa pour se rendre en France ou tout autre chose, à sa convenance. Le souci du ministre de l’Intérieur aurait été alors de compromettre les leaders de l’association Mabedja et il avait besoin de l’aide de Zanou Ahamada. Il a raccompagné le jeune homme chez lui dans la nuit, sans avoir obtenu un accord explicite.
Pourtant, quelques jours après, le même ministre de l’Intérieur a rappelé Zainou Ahamada pour le mettre en contact avec des officiers des renseignements. Ce sont ces officiers qui lui ont confié le petit dispositif avec lequel il devait enregistrer les conversations dans les réunions de l’opposition. Il a pris l’instrument qu’il a montré dans les vidéos et qu’il nous a aussi permis de photographier. Le petit boitier est vendu par Sony sur internet pour la somme de 240€, autant dire que le jeune Zainou Ahamada est incapable de se payer cet instrument, ce qui contribue à accréditer ses dires, d’autant qu’aucun des mis en cause n’a contesté les faits.
Les tentatives mielleuses du ministre de l’Éducation
Après son arrivée à Mayotte, plusieurs personnes proches du gouvernement l’appellent alors qu’il attend une convocation pour aller s’expliquer à propos de sa demande d’asile politique. Parmi les gens qui le contactent un certain Tawufik qui insiste pour lui offrir ce qu’il veut s’il accepte de revenir à Moroni.
Un autre jeune qui a été retourné et qui travaille actuellement avec le gouvernement après avoir obtenu plusieurs avantages matériels et le privilège de prendre une photo avec le couple présidentiel, Saïd Mohamed, le contacte et essaie de le convaincre de faire comme lui pour son bien-être. Il finit par passer le téléphone à un autre ministre, celui de l’Éducation Salim Allaoui Djaanfar dit Sarkozy, qui comme Houmed Msaidié se montre très paternaliste : « Je cherche à t’ouvrir des opportunités, comme je vais le faire pour Saïd Mohamed, ainsi vous serez ensemble. Je suis ton père, Zainou. J’ai 63 ans et j’ai connu l’asile politique pendant 15 ans [après la chute de Mohamed Bacar qu’il a servi, Sarkozy s’est exilé à Mayotte], donc je sais ce qu’est l’asile. Donc, cher fils, c’est toi qui vois, mais je voudrais t’ouvrir des opportunités ».
Zainou se contente de lui rappeler qu’il a manifesté seul pour la libération de Sambi et que lui Salim Allaoui Djaanfar est l’ennemi numéro 1 ou 2 de Sambi. Le refus est clair.
Les témoignages de Zainou Ahamada montrent comment certains militants qui se battent pour l’État de droit sont retournés par le gouvernement. Ils confirment que l’ensemble de l’opposition à Azali, en France et aux Comores, est infiltrée par des gens à qui on a offert des biens matériels. Comme on leur donne pour instruction de continuer à attaquer certains ministres et même le chef de l’État, qu’on les arrête et les libère selon leur convenance, il est difficile de les repérer.
Zainou Ahamada permet également de se rendre compte que les moyens des services de renseignements sont détournés pour infiltrer toutes les organisations de la société civile et toute l’opposition dans une sorte de paranoïa généralisée.
Ahamada Zainou a également mis en cause le journaliste Oubeidillah Mchangama en s’appuyant notamment sur le fait qu’un enregistrement envoyé par un prisonnier politique au journaliste s’est retrouvé entre les mains des gendarmes qui ont débarqué dans sa cellule pour récupérer son téléphone. Le journaliste, très influent dans les réseaux sociaux, s’est âprement défendu, niant toute implication avec les services de renseignements.