La vie nous surprend chaque jour. Tantôt on est heureux, tantôt on souffre. L’écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun, dans son livre « Éloge de l’amitié, ombre de la trahison » (Seuil, 2003) affirme que « le destin est ce qui nous arrive au moment où on ne s’y attend pas ». En effet, les événements de la vie sont brusques et nous stupéfient, quelle que soit leur nature. Mais l’être humain ne s’avoue jamais vaincu. Il se bat toujours surtout s’il faut vaincre la maladie. L’histoire de Mouzna Mlahaili, une femme comorienne est surprenante et anecdotique. Cette mère de famille, âgée de quarante-deux ans a eu le cancer du sein. Actuellement en rémission, elle a décidé de raconter son parcours afin de sensibiliser les femmes comoriennes. Par Natidja HAMIDOU
Il n’est pas facile de ressasser des souvenirs, quand ils sont douloureux, « il faut beaucoup de force, beaucoup de courage » l’écrit le romancier Marc Lévy. Mouzna Mlahaili Ali Kassim a eu le courage de relater son histoire. Elle l’a fait sans avoir recours à l’anonymat. Cette passionnée de littérature soufie a accepté de s’exprimer afin de lancer un cri d’alarme aux Comoriennes et de les interpeller face à cette maladie qui tue chaque année plusieurs femmes dans le monde, mais qui peut être guérie, si elle est diagnostiquée à temps. « Ce n’est pas évident de témoigner, mais je le fais pour nous, femmes. J’ai voulu témoigner d’une part pour libérer la parole et briser ce tabou qui pèse sur notre société et qui empêche les malades d’exprimer leur souffrance. Et d’autre part, pour que les femmes comprennent que le dépistage précoce augmente les chances de guérison complète et permet des traitements moins lourds et agressifs. Je veux sauver des vies à travers mon témoignage », déclare-t-elle.
Le dépistage est possible aux Comores
Mouzna Mlahaili réside aux Comores depuis 2005. Elle était enseignante de Français Langue Étrangère (FLE) à l’alliance française de Moroni. Elle n’avait que trente-huit ans en 2017, quand elle a appris aux Comores qu’elle avait la maladie de Paget, une forme rare du cancer du sein. C’est suite à une mammographie réalisée par sa gynécologue Dr Naïlaty Abdou ainsi qu’un prélèvement du liquide fait par le spécialiste en anatomopathologie, Dr Halifa Youssouf qu’elle a été diagnostiquée porteuse de la maladie. Elle dit que l’attente des résultats n’a pas été longue. Cette mère de deux enfants salue le professionnalisme de ces deux médecins. Elle raconte : « Sur mon sein gauche, il y avait la présence d’une croûte. Il y avait des écoulements et des saignements. Plus les jours passaient plus le sein et le mamelon changeaient d’aspect. J’étais persuadée que la plaie était infectée. J’ai donc consulté très sereinement une gynécologue ». Aux Comores, il n’y a pas de centre spécialisé pour le cancer du sein, mais les femmes peuvent se faire dépister grâce à la mammographie. Il en reste qu’il faut se rendre dans une clinique privée afin de pouvoir l’effectuer. Le prix de la mammographie dans l’archipel est très cher même avec la réduction du mois d’octobre. Une patiente doit débourser 35000 francs comoriens, l’équivalent de 70 euros (sans la réduction). C’est un prix exorbitant et hors de portée de la plus grande partie des femmes dans ce pays où la majorité de la population vit dans la précarité.
Un choc inexplicable et une peur bleue
À l’annonce des résultats, inquiète et bouleversée, Mouzna Mlahaili, n’a pas tardé à partir en France. Une fois sur place, elle a fait plusieurs examens médicaux notamment : échographie, mammographie, IRM, biopsie… Les résultats n’étaient pas très alarmants. On lui a diagnostiqué une tumeur précancéreuse. « J’ai tout de même effectué une mastectomie totale suivie d’une reconstruction », précise-t-elle. Cependant, une mauvaise nouvelle va tout faire basculer. L’ancienne enseignante de FLE apprend par un spécialiste qu’elle souffre véritablement d’un cancer.« Le chirurgien a pris connaissance des résultats de l’analyse anatomopathologique qui a malheureusement confirmé le premier diagnostic des Comores. Puisqu’elle révélait la présence de cellules malignes. J’avais donc bien un cancer », déclare-t-elle.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Cette mère de famille était sous le choc. Elle a directement pensé à la mort après cette triste nouvelle. « J’ai été profondément choquée. Le mot cancer était synonyme de mort. Je n’ai pas osé l’annoncer à mon père qui m’attendait à la salle d’attente. Dans ma tête, mes jours étaient comptés », confie-t-elle. Cette membre active de l’ACCF (Association Comorienne contre le Cancer chez la Femme) se posait plein de questions sur le déroulement de son traitement. Mais, elle avait surtout peur : « j’appréhendais de faire la chimio. Je me demandais si ça faisait mal. J’avais l’angoisse de perdre mes cheveux, mes cils et les sourcils », explique-t-elle. Elle dit avoir ignoré à quel stade était la maladie. Elle n’a pas cherché à le savoir.
Deux ans loin de la famille
Ce n’était pas évident pour elle de révéler à ses proches de quoi elle souffrait. D’ailleurs, son père l’a appris par son oncle qui est infirmier. Quant à sa mère, elle a pu se maîtriser malgré la triste nouvelle. « J’ai appelé mon mari pour lui demander d’être fort, de prendre soin de notre fille et de lui donner une bonne éducation religieuse », nous confie Mouzna Mlahaili.
Cette maladie a eu un impact dans sa vie familiale et professionnelle. Afin de poursuivre les soins et traiter la maladie, elle a dû rester en France, loin de son mari, de sa fille ainsi que de ses parents pendant deux années. Elle s’est fait opérer une seconde fois et a subi une chimiothérapie pendant un an et demi puis six semaines de radiothérapie. Une expérience douloureuse pour une mère de famille, femme active et une professionnelle dévouée. Mais rien ne vaut la vie comme dit le dicton.
Reconnaissante
Dans son récit, Cette ancienne enseignante raconte d’avoir été entourée des meilleurs professionnels de santé, mais surtout de personnes humaines. Elle est en rémission depuis 2018 et ne cesse de remercier Dieu d’avoir écouté ses prières et ses invocations. Reconnaissante envers ses parents et sa fratrie, cette épouse ne cesse de remercier son époux, qui l’a soutenue tout au long de cette épreuve : « J’ai énormément de chance d’avoir un mari qui m’a accompagné tout au long de la maladie. Cela aurait pu être un chamboulement dans notre relation de couple. Bien au contraire, j’ai pu me reposer sur lui. Mon mari s’est battu à mes côtés et m’a donné tout son amour et toute la force dont j’avais besoin » affirme-t-elle.
Militante associative
Actuellement, elle est devenue militante et se bat pour sensibiliser la population comorienne sur cette maladie. Elle a intégré l’association comorienne contre le cancer chez la femme (ACCF). Elle dit avoir beaucoup de projets avec son conjoint, mais n’a pas encore repris son poste. Elle dit vouloir profiter de sa fille. « Quand j’ai demandé à mes oncologues si je risquais une récidive de mon cancer, ils m’ont dit « Vivez madame », alors je vis ! Je suis de retour chez moi et je profite de ma seconde chance auprès de ceux que j’aime ». Elle lance un appel à toutes les femmes comoriennes pour aller se faire dépister davantage notamment les quinquagénaires et surtout celles qui ont des antécédents familiaux.
L’histoire de Mouzna Mlahaïli doit tous nous interpeller. Elle doit réveiller les consciences de nos autorités. Le système sanitaire comorien est dégradé depuis belle lurette. Combien de femmes comoriennes meurent de cette maladie faute de moyens de se faire dépister ou de partir à l’étranger pour se faire soigner ? Certes, il faut organiser les séminaires et les ateliers, mais il faut également les moyens financiers et la logistique pour réellement mettre en œuvre les actions qui y sont préconisées. Les autorités doivent investir dans le système sanitaire pour sauver des vies humaines.
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