Chaque être humain a des ambitions et des rêves. Chacun d’entre nous espère et lutte pour les concrétiser. On rêve depuis l’enfance et on se fixe des objectifs à atteindre. Néanmoins, aux Comores, on a beau être ambitieux, courageux et intelligents, les efforts et les réalisations peuvent être brisés soudainement. Le système ne met pas en avant les compétences, mais plutôt le copinage. Il brise les rêves de la jeunesse. C’est l’histoire d’un jeune comorien qui par son talent et son travail a réalisé l’un de ses projets. Mais hélas, il a vu ses efforts voler en éclats en quelques secondes par la seule volonté d’un fonctionnaire. Par Natidja Hamidou
Said Maoulida, connu sous le pseudonyme Octimus Prime dans les réseaux sociaux, est un jeune comorien natif de la ville de Vouvouni dans la région de Bambao, à la Grande-Comores. Diplômé de l’Institut Universitaire de Technologie (IUT) de l’Université des Comores, en Génie Informatique, il travaille en tant que développeur mobile depuis 2017 jusqu’aujourd’hui.
Un informaticien passionné
Âgé de vingt-sept ans et passionné par son travail, Said Maoulida a créé plusieurs applications informatiques. Il y a entre autres Octra (un outil informatique qui permet aux Comoriens de publier leurs annonces publicitaires, etc) ainsi qu’une autre application dénommée Mon école. Celle-ci permet aux établissements scolaires de mieux gérer leurs activités et assurer leurs missions (noter les absences, la gestion des notes et des bulletins scolaires, publication des cours, ainsi que la gestion financière de l’école). Elle est actuellement utilisée par l’école privée Mouinat (un établissement scolaire privé qui se trouve à Moroni). Cet informaticien a également conçu en 2017 Natidja, une application dont la fonctionnalité est la gestion des résultats des examens nationaux.
Natidja, une application innovante
En effet, aux Comores, les résultats du baccalauréat, du brevet du collège ainsi que de l’examen d’entrée en sixième étaient habituellement affichés aux lycées de Moroni (pour les résultats de la Grande-Comore), de Mutsamudu (pour Anjouan) et Fomboni (pour Mwali). Ils étaient également diffusés à la Radio nationale et publiés en intégralité dans certains journaux. Il n’était pas facile pour les élèves et leurs parents de les avoir immédiatement. Soit à cause de l’absence d’électricité et l’impossibilité de suivre la radio ; soit à cause de la présence d’une foule immense dans les centres de délibérations. Une situation stressante pour les candidats et leurs proches.
Ambitieux et talentueux dans son domaine, Said Maoulida espérait atteindre ses objectifs. Il a toujours rêvé de développer un logiciel qui faciliterait les choses pour les élèves et les parents comoriens lors de la proclamation des résultats des examens nationaux. C’est ainsi qu’il a créé en 2017 Natidja. Le nom de l’application signifie « résultats » en arabe. « Je savais que Natidja allait aider plusieurs personnes. Car, j’étais à leur place. C’est ainsi que je me suis motivé pour concevoir l’application », nous raconte-t-il.
Mis en relation avec l’Organisation nationale des Examens et Concours (ONEC) par l’Association des Consommateurs des Tics (ACTIC) en 2017, cet informaticien a obtenu de pouvoir utiliser cette application pour annoncer les résultats des examens nationaux après la délibération. L’application a ainsi été fonctionnelle de 2018 à 2020. Une innovation dans l’Éducation nationale qui avait de quoi être fière puisque le jeune homme est un « pur produit » de l’Université des Comores.
L’application a été téléchargée par 40 000 personnes selon son concepteur. Les Comoriens aussi bien de l’étranger que ceux qui étaient dans l’archipel obtenaient les résultats sans avoir à se déplacer dans les centres de délibération ni à suivre à la radio. Il suffisait d’avoir le numéro du candidat. Après un début difficile, Natidja a connu très vite des éloges innombrables déposés aussi bien sur l’application elle-même que sur les réseaux sociaux. Les utilisateurs louaient son efficacité et sa rapidité. Said Maoulida se réjouissait d’avoir accompli un de ses objectifs. C’était une joie pour les Comoriens de toutes les catégories sociales et de toutes les tranches d’âges de voir un jeune de l’Université des Comores réaliser une telle innovation.
Un rêve détruit par un ego surdimensionné
Hélas, Said Maoulida voit ses efforts et son rêve brisés soudainement. Le directeur de l’ONEC Abdou Ali a décidé sur un coup de tête que Natidja ne serait plus utilisée pour 2021. Dans les colonnes du journal de l’État, Alwatwan, il se donne le beau rôle et affirme que « Said et des membres de cette commission sont venus dans mon bureau présenter un plan consistant à rendre payantes certaines fonctionnalités. Je me suis opposé. Pour moi, il est hors de question de monnayer les notes des enfants dont l’accès a toujours été gratuit ». Des propos qui ne sont pas entièrement authentiques selon l’informaticien. « C’est vrai, je voulais faire payer l’accès au relevé des notes pour les admis et les refusés. Cela a toujours été payant pour les élèves avec ou sans Natidja. Et pour moi, c’était juste une proposition qu’il aurait pu rejeter, mais il avait bien accepté », confie-t-il à Masiwa. Ses propos sont confirmés par des audios reçus par notre rédaction. Lorsqu’Abdou Ali entend que le jeune a participé à un point de presse, il est hors de lui. Il n’écoute même pas quand Saïd Maoulida lui dit qu’il n’est pas l’organisateur du point de presse et que c’est le ministère qui l’a appelé pour y participer. Sous la colère, il lui rétorque : « Nous ne ferons pas vos affaires là ! C’est fini on arrête tout ».
Les audios en notre possession nous permettent de comprendre qu’interdire l’usage de cette application n’est rien d’autre que le fait d’un homme à l’ego surdimensionné, qui s’est senti blessé à un moment donné. Abdou Ali affirme dans Alwatwan : « j’ai découvert qu’il a tenu une conférence de presse à ce sujet sans me prévenir. Je considère cela comme un manque de respect, un mépris. Donc j’ai mis fin à la collaboration ».
L’audio montre une toute autre version des faits. On entend le jeune homme essayer vainement de convaincre le Directeur de l’ONEC : « C’est le ministère qui a organisé le point de presse et qui nous a invités (mon équipe et moi) pour expliquer les nouvelles fonctionnalités ». Mais, Ali Abdou se sent vexé. Il fait comme si la conférence de presse organisée par son ministère et dans laquelle Saïd Maoulida n’est qu’un invité était une attaque personnelle, alors qu’il exerce une fonction étatique. Sa colère prédomine et il ne voit plus l’intérêt de l’État et des usagers. Au lieu de s’en prendre à son ministère, il fonce vers la facilité : détruire le rêve d’un jeune homme génial qui avec un DUT a réussi à améliorer la vie de ses compatriotes. Il est si facile de détruire ! Sans tenir compte du temps passé à construire !
Ce responsable de l’ONEC s’est ensuite acharné contre l’informaticien, le rappelant pour le menacer de prison : « Tu as bien entendu ce que j’ai dit : il n’y a pas de diffusion de résultats d’examens par ton application. Même cinq jours après, si tu le fais, je t’enferme ». Puis trois jours après, il le rappelle : « Qu’est-ce que je t’ai dit il y a trois jours ? (- Tu m’as dit de ne pas publier les résultats.) Alors pourquoi tu as envoyé quelqu’un à Mwali demander les résultats ? Rappelle ton gars avant que sa mort n’arrive » (en shikomori : « para emdru wa haho yalawe yapvo raha ye andjali ya hahe ye djadja »). Nous avons donc un fonctionnaire du ministère de l’Éducation nationale qui se permet de menacer un jeune homme de le mettre en prison, puis un autre de mort et anéantit le travail de plusieurs mois par orgueil. Voilà les Comores d’aujourd’hui ! Et tout cela sans que ni le ministre, ni le gouvernement, ni le chef de l’État qui ne cesse de parler des jeunes dans ses discours ne s’en émeuvent !
La colère des usagers
Les usagers de Natidja n’ont pas caché leurs mécontentements. Sur les réseaux sociaux, la colère s’est fait sentir. Les utilisateurs ont dénoncé l’abus des autorités à vouloir démolir et déconstruire les efforts de la jeunesse. Certains se demandent comment le pays évoluera si les responsables découragent les jeunes dans leur volonté d’entreprendre.
Pour la délibération des résultats de 2021, l’ONEC a utilisé une autre application. Celle-ci était téléchargeable uniquement sous Android. Beaucoup de dysfonctionnements ont été signalés par les utilisateurs.
Quant à Saïd Maoulida, cette aventure avec son application Natidja l’a rendu plus prudent. Il souhaite s’investir maintenant dans des projets qui ne dépendent pas trop d’autres personnes qui peuvent jeter à la poubelle des heures et des jours de travail sous le coup de la colère. Il voudrait pouvoir s’ouvrir au monde, faire des applications qui touchent au-delà des Comores. C’est tout le bien qu’on peut lui souhaiter dans ce pays qui ne valorise le talent de ses jeunes que quand ils ont été reconnus à l’extérieur.
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