Il y a quelques mois, l’association Mabedja a annoncé le départ de ses membres aux Comores pour une marche pacifique pour les libertés publiques, mais aussi contre le sort réservé aux enfants. Il faut dire que la déclaration n’avait alors rencontré que scepticisme. L’idée avait été annoncée auparavant par Omar Mirali dans une rencontre de la diaspora comorienne en France opposée aux fraudes qui avaient eu lieu aux élections présidentielles de mars 2019. Elle avait été reprise en octobre 2019, à Lyon, lors du Congrès de Daula ya Haki, dont Mabedja est membre. Mais, finalement, le voyage n’a pas eu lieu. Par MiB
Qui sont ces jeunes qui font tant trembler un gouvernement qui a déjà réprimé plusieurs manifestations de l’opposition et empêche régulièrement la société civile de manifester sur des sujets de société depuis trois ans ? Mabedja est une association française déclarée à la préfecture de Paris en 2019. Parmi les objectifs mis en avant, l’association veut « garantir un État de droit pour les citoyens comoriens ». Ce sont des jeunes de la diaspora comorienne en France qui ont décidé de laisser leurs enfants et le reste de la famille pour venir manifester aux Comores pour les droits fondamentaux.
Pour les droits des citoyens
C’est notamment avec cet objectif que les Mabedja ont préparé pendant plusieurs mois ce voyage. Ils ont annoncé récemment que plusieurs membres sont arrivés au pays sans s’annoncer, en attendant les autres. Dans la direction, trois membres sont arrivés avant le secrétaire général, Farhane Attoumani.
Combien sont-ils venus ? Personne ne le sait vraiment. Mais, ils ont soulevé un vent d’espoir auprès d’une population qui est interdite d’expression depuis plus de trois ans et qui ne croit plus au discours des hommes politiques, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition.
Dès le samedi 21 août, ils improvisent une conférence de presse au cours de laquelle, un des membres, Chamoun Soudjay prend la parole pour expliquer, sans ambages, les raisons de leur présence au pays : « Nous sommes arrivés pour réclamer les droits du citoyen ». Il fait en quelques minutes un tableau de tous les problèmes sociaux, politiques et économiques que connaissent les Comores. Il en appelle à tous les Comoriens : « C’est le moment de se lever, surtout la jeunesse ». Il est persuadé que beaucoup de jeunes voudraient réclamer leurs droits, mais qu’ils ont peur de manifester.
La seule femme du groupe des leaders, Bishara prend la parole après lui, incisive et assurée : « Soit l’enfant comorien devient indépendant pour de vrai, soit il est colonisé pour de vrai. Mais, nos frères ne peuvent pas mourir tous en mer, nos pères prendre des avions pour aller être soignés à l’extérieur alors que nous pouvons payer, s’il y avait de vrais hôpitaux ».
Un tour de Ngazidja pour sensibiliser la population
Dès le lundi 23 août, ils entament un tour de Ngazidja pour sensibiliser les gens à la grande manifestation de Moroni. Ils arrivent à Mbeni. Ils rencontrent la famille de la Petite Faina, violée et tuée à Mwemboidjou, en mai 2021. Ils se sont également recueillis avec la famille qui a récemment perdu trois enfants lors d’un incendie. C’est un des combats qui leur tient à cœur, ils l’ont annoncé avant d’arriver : la protection des enfants victimes des violeurs qui sont le plus souvent relâchés.
À Mbeni, la ville qui apparait aujourd’hui comme la plus opposée au régime en place, ils sont accueillis par la population, y compris et surtout par les notables qui leur ont assuré du soutien des Mbéniens pour le combat qu’ils mènent. L’armée n’a pas osé entrer dans la ville pour perturber la rencontre.
Pourtant, le même jour Soibahou est convoqué à la gendarmerie de Moroni, puis relâché après un avertissement et des menaces d’arrestation. Il leur a confirmé qu’ils sont venus faire une manifestation pacifique et les a appelés à venir sécuriser la rencontre d’Iconi. À la question du gendarme souhaitant savoir ce qu’ils feraient si la manifestation n’est pas autorisée, il a répondu qu’ils ne demandaient pas une autorisation, mais juste que les forces de l’ordre assurent la sécurité.
Le jour suivant, le mardi 24 août, l’association rencontre Maître Nkarobwe (le « pieds-nus ») à Moroni. Celui qui tient en haleine les fidèles après la prière du vendredi et qui a fondé son « mouvement Nkarobwe » est en phase avec les jeunes de Mabedja.
Puis, les leaders de l’association reprennent une tournée qui les mène d’abord à Ntsudjini pour rendre visite à la famille d’Abdallah Agwa. Dans un discours émouvant Bishara a rendu hommage au célèbre prisonnier politique. Elle a rappelé une vérité qui se murmure dans les rédactions, mais qu’aucun journaliste n’ose écrire : « Abdallah a d’abord été pris par des bandits qui l’ont battu avant d’aller le remettre à la Justice, sans aucune plainte ». Puis, elle ajoute : « Il parait qu’ils veulent discuter. Peut-il y avoir discussion sans la libération d’Abdallah ? La discussion nous l’aurons dans les rues ». Les compagnons d’Abdallah Agwa, ceux de Mdzadze Mwendza yirumbi et Daula ya Haki-Comores leur assurent de leur soutien sans faille.
Il se rendent ensuite à Duniani ya Mbude, puis à Batsa (Mitsamihuli) ou toutes les générations sont rassemblées au foyer pour les écouter.
Puis, ils arrivent en soirée à Mitsamihuli-mdjini. La jeunesse est présente, mais aussi les plus anciens. La gendarmerie a reçu l’ordre d’empêcher la tenue d’une rencontre sur la place publique, près de la Préfecture. Les gens sont rapidement dispersés, mais certains réussissent à se replier dans la mosquée du vendredi. C’est devant la mosquée que les orateurs de Mabedja se sont adressés à la foule.
Ikoni ! Ikoni toujours !
Ils ont eu vent des menaces des partisans de la CRC, le parti présidentiel à Iconi. Alors que Soibahoudine Assoumani était en train de dire qu’il est possible que la rencontre à Iconi soit déplacée vers Mkazi pour éviter les problèmes, Bishara lève un doigt au ciel et dit : « Non ! Ikoni !, Ikoni toujours ! Il n’est pas possible que dans une grande ville comme Ikoni, il n’y ait pas ceux qui nous aiment et ceux qui ne nous aiment pas, ceux qui comprennent et ceux qui ne comprennent pas. Donc, on ne fera pas demi-tour parce que certains ne nous comprennent pas ». Puis, elle s’adresse aux autorités politiques : « Le monde entier vous regarde. Vous avez dit qu’il n’y a pas de dictature aux Comores, mais cette fois votre honte sera connue ».
Dans la journée, le préfet du Centre (Moroni-Bambao) rappelait par un communiqué que par une note du 24 mai 2021, il a interdit les rassemblements et manifestations publiques « en cette période de covid ». C’est en fait la conséquence d’une certaine panique qui s’empare du sommet de l’État puisque les Comoriens ont pu remarquer de nombreuses manifestations du gouvernement ou des mariages dans lesquels assistaient des membres du gouvernement et qui ne respectaient pas cette note de mai 2021.
Mercredi 25 août, des membres de Mabedja descendent au Marché ya Mbwani de Moroni pour constater la hausse des prix induite par la hausse des taxes programmées dans la dernière loi de finances. Ils rencontrent les commerçants. Ils leur expliquent que leur démarche consiste à sortir du cercle de la peur et réclamer une vie meilleure. Suite aux échanges avec les marchands, les deux responsables de Mabedja : Farhane Attoumani (le Secrétaire général) et Chamoun Soudjay sont immédiatement arrêtés et seront écroués quelques jours après.
Alors qu’une marche pacifique est improvisée à Foumbouni dans le sud de la Grande-Comore, marche soutenue par les jeunes de la ville, le Préfet de Foumbouni essaie de l’arrêter, en vain. Pendant la marche, Bichara a harangué la foule pendant la manifestation en appelant la jeunesse courageuse de Foumbouni à réclamer ses droits et à ne pas oublier ceux qui souffrent.
L’arrestation des deux leaders de Mabedja a sans doute laissé croire au gouvernement qu’il allait pouvoir décourager le mouvement. La manifestation organisée à Ikoni leur a montré que les autres membres de l’association sont plus que jamais motivés.