Depuis quelques semaines, sur les ondes de radios françaises un mot comorien résonne « mapesa » (argent) et une fois n’est pas coutume, ce ne sont pas des artistes d’origine comorienne qui ont introduit du shikomori dans leurs chansons, mais des artistes français originaires du continent du continent africain : Leto, Tiakola ou encore Niska. Par Nawal Msaidié
Réflexions sur un phénomène grandissant avec l’un des cofondateurs du groupe franco-comorien Comoros Team, Junai.
Le 6 octobre dernier, Leto (artiste français qui a grandi dans le 17e arrondissement) et Tiakola (artiste française qui a grandi à La Courneuve) sortent le clip « Mapesa ». À ce jour, le clip comptabilise plus de 4 millions de vues sur YouTube.
Dès la première strophe, on peut entendre : « On fait du papier, des mapesas ». Et dans le refrain : « J’ai même pas besoin d’toi, j’ai du papier, des mapesas »
Le clip met en scène deux jeunes hommes menant une vie de château et bien qu’on ne connaisse pas le mot « mapesa », les images et les gestes permettent de comprendre à quoi ils font référence.
Le 13 octobre dernier, le clip « Mapess » de Niska (artiste français qui a grandi à Évry) est sorti. À ce jour le clip comptabilise plus de 3 millions de vues sur YouTube. Dans le refrain, on entend :
« J’encaisse, mapess (mapess), j’encaisse, mapess (cash)
J’encaisse, mapess (uh-huh), j’encaisse, mapess (oui) »
Le clip nous présente un jeune homme menant une vie de luxe sur un yacht. Les paroles sont explicites quant à la signification du mot mapesa.
Les artistes sont originaires d’Afrique continentale, du Congo pour deux d’entre eux, pays dans lequel le mot « argent » se traduit par « mbongo » en lingala.
Une langue qui se popularise en France
L’introduction de mots en shikomori dans les morceaux entre autres de rap n’est pas récente. Beaucoup d’artistes franco-comoriens à l’instar de Rohff, Alonzo et bien d’autres ont toujours glissé un mot shikomori dans leurs morceaux. Ce qui est remarquable, c’est que ces derniers mois les expressions en shikomori (shingazidja), comme les expressions d’origine maghrébine sont en passe de devenir des expressions courantes dans le paysage musical français.
Pour l’artiste Junai, du groupe Comoros Team, « les mots et expressions comoriens ont été popularisés par la communauté comorienne de Marseille ». En effet au marché, à Noailles, dans plusieurs lieux de rencontre de la cité phocéenne, la 5e île des Comores, depuis des dizaines d’années des mots comme ndrovi, mhogo, nazi sont courants et pas que dans la communauté comorienne : les commerçants de toute origine maîtrisent plusieurs expressions de notre langue. Ce phénomène est aussi remarquable dans une ville accueillant une forte communauté comorienne, la Courneuve où justement a grandi le chanteur Tiakola. Tiakola, membre fondateur du groupe 4keus (NDRL : référence aux « 4000 », un ancien quartier populaire de la ville) dont plusieurs membres sont d’origine comorienne (le Black et HK).
Jusque dans les années 1990, le shikomori était peu entendu dans l’espace public. La langue de l’espace public est le français, langue de la terre d’accueil, langue de la République. Beaucoup de jeunes franco-comoriens sont éduqués pour être d’abord irréprochables sur le français quitte à délaisser l’apprentissage de leur langue maternelle.
Aujourd’hui « la jeunesse n’a plus honte ou du moins ressent moins la barrière de la langue comme il y a 15-20 ans et introduit fièrement des mots de sa langue maternelle comme hazi, bange, vura, fuma, gari, mapesa, etc. » dans les différents espaces qu’elle côtoie et contribue ainsi à la rendre populaire et à la revaloriser. En l’utilisant sans complexe, elle donne la possibilité à d’autres communautés de la connaître, de la manier et de lui donner une nouvelle vie. Peut-être qu’un jour « mapesa » deviendra aussi commun que « chuya » ou « toubib ».
Créer une passerelle
Les Psy 4 de la rime (le premier groupe de Soprano), le 3e œil, Rohff ont été des pionniers dans le développement de paroles mêlant langue maternelle et langue courante. Plusieurs groupes franco-comoriens ou ayant des Franco-Comoriens en leur sein ont continué dans cette lignée : « À l’époque, nous (la Comoros Team composée de Junai et Dramon, deux jeunes franco-comoriens ayant grandi à La Courneuve, groupe populaire dans les années 2010) avons voulu montrer que des Comoriens de France pouvaient mélanger influence hip et hop et influence du bled. Je pense que si nous avions eu plus d’exposition aux Comores et ici, nous aurions pu être amenés à créer une passerelle avec des artistes locaux des Comores et ainsi créer des festivals, des labels ou encore des structures. Bien heureusement, certains artistes s’engagent en ce sens aujourd’hui et c’est tout à leur honneur ».
En effet, pour ne citer qu’eux, les morceaux proposés dans la mixtape le Coffre par Gurru muzik entertainement sont interprétés par des artistes des Comores et de la diaspora seule ou en faisant des duos entre les deux pays.
La musique, le chant devient donc une nouvelle façon non seulement de valoriser l’art des Comores, mais surtout sa langue à travers les différentes communautés qui côtoient les Comoriens.