Selon un processus qui est devenu habituel et appliqué aux opposants au régime d’Azali Assoumani, Achmet Saïd Mohamed a été torturé dans un endroit gardé secret pendant vingt jours, puis jeté dans la prison de Moroni dans l’attente d’une libération ou d’un improbable procès. Présenté par les autorités comme un terroriste, la crainte de ses proches est qu’il ne soit oublié et abandonné par ceux qui, comme lui, combattent la dictature.
Par MiB
Voici deux mois que l’opposant Achmet Saïd Mohamed a été enlevé par des hommes cagoulés en pleine rue, avant que l’on apprenne que c’étaient des militaires agissant en dehors de tout cadre judiciaire, sous les ordres du pouvoir exécutif. Ce n’est que vingt jours après que son dossier a été remis à la Justice et qu’on a permis à l’un de ses avocats d’en prendre connaissance. Pendant ces vingt jours, l’ancien enseignant de sciences a été enfermé dans un camp militaire et il a probablement subi les mêmes tortures que d’autres opposants qui l’ont précédé entre les mâchoires du pouvoir dictatorial.
Un enregistrement douteux
Après son entrevue avec un juge, Achmet Saïd Mohamed a été jeté dans la tristement célèbre prison de Moroni, dont les conditions de vie constituent en elles-mêmes des tortures permanentes pour tous ceux qui s’y trouvent. C’est aussi dans cette prison que Nazra Saïd Hassane, condamnée pour escroquerie, a déclaré avoir été violée par un gardien, un mois de ramadan, et alors qu’elle était enceinte.
Le danger est maintenant qu’Achmet Saïd Mohamed soit oublié et abandonné à son sort par ceux qui luttent contre la dictature qui règne aux Comores. Or l’enregistrement diffusé le soir même de son « enlèvement », probablement par le service des Renseignements a pour objectif de créer une rupture entre le militant politique et la société civile. En effet, on y entend la voix d’Achmet Saïd Mohamed demander à des jeunes de brûler les bâtiments de la CENI et de la Cour constitutionnelle. Cette pratique des Renseignements n’est pas nouvelle, elle a été appliquée à Ahmed Barwane, le secrétaire général du parti Juwa, accusé d’avoir ordonné à un homme (jamais appréhendé) de couper la main d’un gendarme. Ou encore à l’écrivain Saïd Ahmed Saïd Tourqui (SAST), accusé de préparer un putsch contre le régime. Pour SAST, l’armée avait prétendu avoir saisi chez lui une somme importante d’argent et des armes, sans avoir jamais montré autre chose qu’un vieux fusil de chasse. Les Renseignements ont également souvent diffusé des vidéos de gens qu’ils détenaient (Commandant Faissoili, le journaliste Toufé Maécha…) faisant des aveux dans un cadre extrajudiciaire ou dans une situation d’humiliation, tout cela en ignorant de nombreux textes internationaux signés par les Comores et rappelés au début de la Constitution comorienne.
Une détention dans un lieu inconnu
L’audio attribué à Achmet est une possible nouvelle manipulation des Renseignements pour présenter l’accusé comme un terroriste et amener la population à l’abandonner dans une pièce sombre de l’oubli. Mais, même s’il s’agissait bien de la voix d’Achmet Saïd Mohamed, le régime en place aux Comores depuis 2018 ne respecte aucune procédure judiciaire, enferme des gens dans des prisons qui n’ont aucune existence légale et pratique sans vergogne la torture pour obtenir des aveux qui, devant n’importe quel juge qui respecte son métier n’auraient aucune valeur et conduiraient à l’annulation de la procédure judiciaire et l’arrestation immédiate de ceux qui se livrent à ces tortures.
C’est pour éviter cet oubli qu’Ansmata Ibrahim, une militante du parti HURY qui se présente comme la sœur d’Achmet Saïd Mohamed, a donné de longues interviews à plusieurs médias en ligne ces dernières semaines. Elle se présente comme membre actif du mouvement et affirme que comme les principaux membres sont menacés d’être ramenés en prison, elle sort pour parler. Elle a quitté les Comores pour la France, il y a quelques semaines, mais tient à rassurer : « Je ne suis pas venu dormir ici ». Elle compte rentrer d’ici un mois ou deux.
Elle est revenue sur plusieurs éléments concernant la détention d’Achmet Saïd Mohamed.
Sur son arrestation et sa détention, elle confirme « l’enlèvement » dans la rue par des hommes cagoulés. Un témoin lui a raconté que peu après avoir déposé ses enfants à l’école, l’opposant politique a été arrêté en pleine rue et d’une manière violente. Sa voiture a été bloquée devant, et derrière d’une autre voiture sont sortis des hommes cagoulés qui le prennent, lui mettent quelque chose sur la tête pour ne pas voir le trajet et l’introduisent dans une autre voiture. Les militaires l’amènent loin de Moroni, probablement le camp militaire d’Itsoundzou. Ils reviendront avec lui chez lui pour prendre son ordinateur portable. Achmet Saïd Mohamed lui-même a raconté qu’à plusieurs reprises on lui a demandé de baisser la tête pour entre dans un sous-sol. Il a dit à ses proches qu’il a été détenu dans un sous-sol aménagé, dans un environnement « high tech ». Les hommes qui l’ont interrogé avaient les visages dissimulés, sauf le chef des Renseignements, Soilahoudine Soidick.
Depuis son passage devant le juge, il est enfermé à la prison de Moroni qui connait deux épidémies, dont celle du choléra qui se répand actuellement dans le pays.
« Ce n’est pas Archi »
Ansmata Ibrahim est également revenue sur l’enregistrement qui met en cause Achmet Saïd Mohamed. Les membres du parti arrêtés en 2019 et libérés sans jugement à condition de se taire ont reçu l’audio le soir même de son arrestation par un inconnu. Ils en ont conclu que l’objectif était de les éloigner de leur leader ou de les prévenir que s’ils se solidarisent avec lui, ils pourraient retourner en prison pour complicité de terrorisme.
« La sœur » de l’opposant arrêté est catégorique quant à la personne qui s’exprime dans l’enregistrement et qui appelle à brûler la CENI et la Cour Suprême : « Ce n’est pas Archi ». Elle se base sur le vocabulaire employé et les tournures de phrases. Et elle ajoute qu’Achmet Saïd Mohamed lui a dit « si jamais on m’entend dire ces choses, c’est qu’on m’a drogué ». Le mouvement HURY est persuadé qu’il s’agit d’un montage à partir de la voix de son dirigeant, « comme on a vu récemment avec Marine Le Pen parlant en arabe ou Msaidié annonçant la mort d’Azali ». Pour l’un des cadres, Saleh Assoumani, le dernier relâché après les arrestations de 2019 : « c’est une bataille médiatique » (cité par Ansmata Ibrahim). Il s’agit d’envoyer cet audio dans le public, le faire passer pour un terroriste et faire accepter par tous son arrestation. C’est la méthode éculée des Renseignements comoriens.
Enfin, Ansmata Ibrahim regrette la non-réaction de la classe politique opposée à la dictature, et particulièrement Salim Issa, le candidat du parti Juwa avec lequel HURY a fait campagne et Hamidou Bourhane avec qui le mouvement HURY avait discuté. Aucun d’eux n’a dit quoi que ce soit sur l’arrestation d’Achmet Saïd Mohamed.
L’opposant est défendu par un trio d’avocat. L’un est sur place à Moroni, Me Djamal el-dine Bacar et les deux autres sont à la Réunion : Me Mihidoiri Ali et Me Ahmed Ben Ali.