Il est des jours où je me demande sérieusement si on marche sur la tête dans ce pays. Entre les fake invitations de rassemblement pour demander justice pour nos prisonniers et les appels du pied, voire injonctions, pour que les notables de Moroni s’impliquent dans la dénonciation des arrestations arbitraires.
Ce qui en soi serait somme toute logique si l’on considère que le rôle du notable est de faire la médiation et d’aider au dialogue quand un différend nait entre l’administration et ses administrés. Par contre ce qui est gênant dans la démarche est que l’on demande à ces patriarches de s’impliquer parce que des enfants de Moroni sont victimes de cet arbitraire. L’honneur de Moroni serait paraît-il en jeu… N’est-il pas dangereux de ramener un enjeu national à une problématique villageoise? Et les enfants de Moroni qui se livrent à ces arbitraires? Demanderons-nous demain aux mêmes notables de venir les défendre si des sanctions venaient à leur être infligées?
Certains argumentaires citent en effet en exemple des villages qui, à travers leur notabilité, ont empêché l’arrestation d’un des leurs! Donc les bons notables sont ceux qui exercent suffisamment de pression pour extraire un justiciable de la justice. Ceux la deviennent des modèles pour notre société. Mais, me rétorquera-t-on « kamrantsi owu staarabu mwindji!»
Parlons en du ustaarabu – mot intraduisible en français qui combine à la fois instruction, savoir vivre et déontologie! Est ce qu’on est d’accord que le déficit de ces trois notions alimente grandement l’état de désespérance de notre société? N’y a-t’il pas moyen de s’indigner contre les violations auxquelles nous assistons sans marcher sur ces notions? Nombre de manifestations ont été organisées et qui n’ont jamais pu prendre l’envergure souhaitée. Pourtant beaucoup de monde semble indigné par ce qui se passe. Combien de réunions, conférences de presse avortées au dernier moment par peur de représailles ou menaces de durcissement des conditions d’incarcération de nos frères déjà éprouvés ?
« Han ndja zi djuwa! » C’est fou comme une vidéo obscène ou un article insultant sont partagés à la vitesse lumière mais quand il s’agit d’une invitation à une action publique, la connexion bug! Certains vont même jusqu’à invectiver les Comités de soutien qui essaient laborieusement de se mettre en place. Et pourtant ils se targuent d’être des défenseurs de la loi et des Droits de l’homme! Merci de tourner votre agressivité envers les bourreaux et laissez les victimes – si vous ne pouvez pas les aider- se débrouiller comme elles peuvent.
Mieux encore, que ceux qui critiquent l’usage des réseaux sociaux pour exprimer tantôt notre colère, tantôt notre tristesse, prennent un mégaphone et descendent dans la rue pour appeler à la mobilisation. Encore une fois, le problème de Sast n’est pas que le problème de la famille et des Amis de Sast, le problème de Barwane n’est pas que le problème de ses proches et de quelques militants indignés, le problème de Sambi ou Salami n’est pas que le problème des Anjouanais! Parler de l’un n’est pas exclusif de tous les autres, victimes au même titre, même si pour diverses raisons. Ils ne sont tous que des représentations différentes d’une seule et unique réalité, celle du danger auquel est exposé le pays, celui de la mise sous tutelle de nos institutions et de la confiscation de nos libertés.
Arrêtons de chercher la petite bête pour justifier l’immobilisme, ces arrestations ne sont que la face immergée de l’iceberg. Pendant qu’on débranche les perfusions de Barwane à grand fracas, on tente de faire passer une loi d’habilitation qui va nous emprisonner tous demain. Ce qui se passe n’est pas une affaire de Moroni, ou de Vouvouni, ou d’Anjouan, … Ce n’est pas une affaire de notables mais une affaire de citoyens conscients de la dérive. Et chacun d’entre nous qui prétend comprendre les enjeux a la responsabilité d’expliquer, de sensibiliser pour que tout le monde, y inclus les notables dans toutes nos villes, se mobilise contre l’arbitraire. Soyons derrière nos députés qui résistent à l’appât du gain pour sauver ce qu’il reste de notre dignité. Toutes ces petites énergies que nous déployons à nous critiquer les uns et les autres, sachons les canaliser et les diriger contre les vrais responsables de nos malheurs. C’est notre survie à tous qui en dépend !
Nadia Tourqui