Eminent membre de l’opposition, le député de Moroni sud Mohamed Msaidie estime que le projet de loi est bel et bien devenu la propriété de l’assemblée et que, à cet effet, le gouvernement n’avait pas le droit de demander son retrait.
Masiwa : Vous avez manifesté votre hostilité au projet de loi d’habilitation, pourquoi ?
Mohamed Msaidie : Les députés de l’opposition trouvent en cette loi une continuation de la main mise du pouvoir et du Chef de l’Etat en particulier. Une volonté manifeste de neutraliser toutes les institutions de la République. Après la Cour Constitutionnelle, l’appareil judiciaire aux commandes, la dernière sous le viseur est l’Assemblée de l’Union qu’on veut dépouiller de ses compétences. Et cela est bien clair dans sa constitution du 30 juillet dernier. Nous ne sommes pas d’accord que les missions dévolues aux députés soient conférées à une seule personne, le Chef de l’Etat pour lui permettre d’organiser ces élections anticipées et qui s’est déjà déclaré candidat, de légiférer par ordonnance à son bon vouloir le toilettage du code électoral, les conditions d’éligibilité du président et le fonctionnement du juge électoral à la place du législateur. C’est inadmissible!
Masiwa : Qu’est-ce qui a fait la différence cette fois-ci ? On se souvient de l’adoption de la loi des finances de l’année dernière.
MM : Les choses sont différentes. Au moment de l’adoption de la loi à laquelle tu fais allusion, cette dynamique n’y était pas. Même si nous sommes tous de l’opposition mais les forces étaient dispersées. Il n’ya pas eu une vraie concertation et un engagement commun. Cette fois-ci c’est le contraire. Les appareils des partis nous ont aidés à nous retrouver, à nous rassembler et avoir une vision commune de la situation politique du pays. Loin de nous imposer une marche à suivre, les députés assument leur responsabilité et agissent dans l’intérêt supérieur de la nation. Cette dynamique de rassemblement a permis à notre collègue l’honorable député Mohamed Abdoulatuf de rejoindre nos rangs malgré les fortes pressions de son parti Radhi. Nous le remercions. Les Comoriens ont rêvé d’une vraie union des formations de l’opposition pour mieux faire face à ce pouvoir qui marche à répétition sur les lois, détruit petit à petit l’unité nationale et la cohésion sociale, installe et bafoue la dignité humaine.
Masiwa : Que craigniez-vous vraiment pour rester dans l’hémicycle jusqu’à minuit ?
MM : Nous sommes restés à l’hémicycle jusqu’à minuit parce que la période de la séance plénière courait de 10h à minuit. La séance du 24 novembre n’avait pas été annulée contrairement à celle du 19 novembre suspendue aux environs de 16h par une conférence extraordinaire des présidents. L’état de santé annoncé du président de l’assemblée n’annulait aucunement la séance plénière. Le règlement intérieur lui donne les prérogatives à lui seul de désigner un de ses 3 vice-présidents pour assurer sa suppléance, ce qu’il n’a pas fait et nous le regrettons. Je profite de cette occasion pour dénoncer les mensonges et démagogies du premier vice-président, l’honorable député Maoulana Charif qui a affirmé dans le canard gouvernemental Al-watwan de ce mercredi, que les députés de l’opposition lui ont refusé de diriger les travaux. Depuis quand la suppléance du président est sujette à des tractations ? S’il y avait des discussions sur cette question, c’est peut être avec le diable mais pas avec les députés de l’opposition qui attendaient poliment dans l’hémicycle. Les collègues députés du camp du pouvoir sont partis parce qu’ils avaient la garantie que le président n’allait pas revenir et n’avait pas désigné quelqu’un pour assurer sa suppléance…
Masiwa : Peut-on parler d’une opposition qui se réveille ou n’est-ce qu’un coup d’éclat, un feu de paille?
MM : Nous avons un long chemin à parcourir ensemble. Je suis convaincu que cette dynamique née de cette loi d’habilitation demeurera et nous n’avons pas d’autres choix. Nous nous connaissons très bien, la valeur de chaque formation politique, nous nous respectons, et la confiance s’installe. Nous avons un but commun, celui de sauver ce pays de cette dictature. L’Opposition se consolide et se renforce. Alors pourquoi pas les députés ?
Masiwa : Comme l’opposition est majoritaire, la destitution d’Abdou Ousseini, votre président est-elle envisagée ?
MM : Les erreurs du président s’accumulent. Nous fonctionnons dans une illégalité permanente. Je cite pour exemple, le bureau de l’assemblée fonctionne depuis trois ans avec deux secrétaires sur cinq. Ces postes restent vacants car le président refuse d’organiser le renouvellement. Depuis notre prise de fonction en 2015, il n’y a jamais eu de rapport financier. Or le règlement intérieur prévoit une publication trimestrielle. Le président a soutenu la violation des procédures opérée par les vice-présidents Maoulana et Dhoulkamal pour lever l’immunité des trois députés, les honorables Bacar Dossar, Abdallah Tocha Djohar et Ali Mhadji. L’épisode de la semaine dernière concernant la non-tenue des séances plénières du projet de loi d’habilitation est de la responsabilité du président. Enfin la constitution imposée du 30 juillet offre cette possibilité.
Masiwa : Vous avez été reçus à Mbéni, pourquoi faire ?
MM : Les partis de l’opposition à leur tête, l’ancien vice-président Mohamed Ali Soilihi étaient aussi en conclave à Mbéni. Nous étions conviés par le deputé Soulaimana Mohamed pour rencontrer la population de la ville pour l’éclairer sur ce qui s’est réellement passé à l’Assemblée au sujet de cette loi d’habilitation. D’une pierre deux coups : en surplus de l’information sur les épisodes de l’assemblée, le bureau de l’opposition a livré devant la presse les conclusions de sa rencontre… Ce déplacement inaugure une tournée de sensibilisation des députés à travers le pays. Samedi 1er décembre nous serons à Ntsoudjini.
Masiwa : Le gouvernement a décidé de retirer le projet de loi contesté, mais le président convoque le collège électoral et s’adressera à la nation aujourd’hui (hier, Ndlr). Qu’en pensez-vous ?
MM : C’est une sorte d’échappatoire pour masquer leur échec à pouvoir rassembler une majorité d’élus acquis à leur cause pour faire passer cette loi de la honte. D’ailleurs les langues se délient du côté du pouvoir pour accuser les députés de l’opposition de blocage et tromper le peuple. Le retrait de cette loi n’est pas valable du moment où le projet de loi a été travaillé en commission et approuvé par celle-ci. Puis programmé deux fois en séance plénière, les 19 et 24 novembre. Il n’appartient pas donc au gouvernement. Nous attendions la prochaine conférence des présidents pour fixer une autre date. Au gouvernement de se conformer aux procédures de l’assemblée, venir défendre le projet au lieu de parler de retrait qui n’est pas conforme. Nos collègues membres de la conférence des présidents vont hausser le ton à cet effet. Pour la convocation du collège électoral, je me demande sur quelle base le chef de l’Etat va s’appuyer pour le faire sans les textes qui doivent se conformer à sa constitution. Les conseillers du Président et les juristes du palais mentent, l’induisent en erreur et décident encore une fois de l’enfoncer encore plus dans la logique de la marche forcée et du piétinement des lois.
Masiwa : Mardi, l’administrateur d’Anjouan a été installé, quelques minutes après, 7 ministères ont changé de secrétaire général, avec une nomination qui fait du bruit, celui d’un inspecteur suspendu pour fraude et promu à l’éducation nationale. Qu’en pensez-vous ?
MM : L’installation de cet administrateur est une autre façon d’usurpation du pouvoir. Le gouvernement avait cet objectif affiché de se débarrasser du gouverneur Salami, devenu un opposant encombrant. Mais quel est son vrai titre ? Tantôt administrateur provisoire, tantôt gouverneur provisoire. De toutes les façons les Anjouanais vaillants ne se laisseront pas duper et berner par un pouvoir illégitime qui disparaitra comme un feu de paille. Salami enfermé injustement demeure le gouverneur légitime d’Anjouan sous tutelle. Quand aux nominations, elles sont uniquement électoralistes. Le Chef de l’Etat est déjà en campagne avant l’heure. Il pense qu’à travers ces nominations il va pouvoir s’attirer de la sympathie des électeurs. Je suis encore effondré d’apprendre que le secrétaire général nommé au ministère de l’éducation est un bandit notoire qui a été suspendu ce mois de novembre par le ministre de l’éducation pour des affaires louches lors des derniers examens. Et le voilà réhabilité par le président de la République…
Masiwa : Quelle sera la suite de votre mobilisation à l’Assemblée ?
MM : Nous attendons le retour de la loi d’habilitation et sa programmation en plénière. D’autres projets de lois sont en cours, nous y travaillons et le plus important est la loi de finances 2019 déjà entre les mains de la commission des finances. Des zones d’ombres existent pour ce projet de loi et nous ne laissons rien nous échapper. Le moment viendra où vous connaitrez notre position. Ce qui est sûr les députés de l’opposition ne donneront pas un chèque en blanc à ce gouvernement.
Masiwa: Le 1er vice-président de l’assemblée nationale vous a pris à partie, vous députés de l’opposition, dans Al-watwan du mercredi 28 novembre. Que lui répondez-vous ?
MM : Lorsque j’ai lu la première question et les contres vérités de sa réponse, je n’ai pas continué. Je lui ai fait part du caractère mensonger de son interview. Je lui dirai simplement d’arrêter de mentir au pouvoir et au chef de l’Etat qu’il peut rassembler autour de lui une majorité de députés pour soutenir les projets du gouvernement…
Propos recueillis par TM