Les femmes comoriennes ont du mal à parler des souffrances qu’elles vivent au sein du couple. Rares sont les victimes qui osent porter plainte et poursuivre la procédure jusqu’au bout. Se confier aux cellules d’écoutes afin d’être accompagnée n’est pas une mince affaire pour ces femmes.
Masiwa s’est entretenue avec Ryma (prénom d’emprunt pour garder l’anonymat), une femme d’origine comorienne qui vit à Marseille. Mère de trois enfants et âgée d’une quarantaine d’années, elle a été victime de violences conjugales avec son ancien conjoint. Cette coordinatrice pédagogique a accepté de parler de ce qu’elle a vécu afin de sensibiliser les femmes comoriennes, briser le silence et en parler afin de pouvoir être accompagnée et pouvoir guérir.
Propos recueillis par Natidja HAMIDOU
Masiwa – Combien de temps êtes-vous restée avec votre conjoint ? Avez-vous eu des enfants avec lui ?
Ryma – J’ai été en couple pendant dix ans, de 2004 à 2014. Nous nous sommes fiancés et mariés religieusement en 2005 et ensuite à la mairie en 2006. Mais, je continuais à vivre chez ma mère. Puis j’ai emménagé avec lui en région Parisienne en 2007. J’ai vécu avec lui jusqu’en 2014. Nous avons eu deux enfants qui ont aujourd’hui 14 et 12 ans, mais quand je l’ai quitté ils avaient six ans et trois ans et demi.
Masiwa – Est-ce que c’était un mariage arrangé ou un mariage d’amour ?
Ryma – C’était un mariage d’amour et précédemment nous étions amis. J’ai passé une partie de mon adolescence aux Comores et je le connaissais bien, car c’était l’ami d’une copine à moi. Il est arrivé en métropole en 2004 après un séjour de deux ans à Mayotte. Et on s’est contacté au téléphone, car on est du même village et j’ai pu lui parler suite à un événement. On a été en relation à distance pendant trois ans. Il était en région Parisienne et moi à Marseille. J’ai tout quitté pour être avec lui.
Masiwa – À quel moment le conjoint a commencé à être violent ?
Ryma – Je ne pourrai pas donner de date exacte, mais il a toujours été quelqu’un de manipulateur derrière ses airs de gendre idéal. Mais, on va dire que les violences étaient plutôt morales, psychologiques et verbales. La manipulation a commencé dès qu’on a été marié religieusement. Par exemple, j’étais partie aux Comores et il mettait la pression pour que je rentre en France, car suite à notre mariage à la mairie, il a eu un refus de titre de séjour. Il craignait d’avoir une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Pour éviter qu’il s’attaque à la famille, j’ai voulu rentrer plus tôt de mon voyage. Dès mon retour sans le comprendre, j’étais dans un train pour Paris. J’ai eu la grossesse de ma grande et tout s’est enchaîné.
Après les violences se sont accentuées et montées crescendo à partir de 2011. Mais entre temps j’apprends les tromperies, les manipulations. Je le vois boire de l’alcool, fumer, etç. Il a commencé à avoir un comportement de plus en plus déviant. Et c’est vraiment devenu invivable à partir de 2013 avec un événement tragique survenu dans sa famille. Il est devenu de plus en plus addictif et de plus en plus violent.
Masiwa – Quel type de violence conjugale avez-vous subie ?
Ryma – C’était surtout des violences psychologiques et morales. À la fin je me forçais du côté intime et c’est après que j’ai compris que les choses faites sans consentement peuvent être considérées comme un viol. Les excès de colère étaient de plus en plus fréquents surtout quand il buvait ou quand il n’avait pas d’argent ou quand lui le voulait. Le pire était qu’il me laissait croire que c’était moi le problème.
Masiwa – Quelle suite avez-vous donnée à ces violences ?
Ryma – J’ai tout quitté en abandonnant le domicile conjugal et en profitant d’un voyage aux Comores qu’il a fait pour partir à Marseille avec mes enfants. J’ai demandé le divorce. Sur cette phase, j’ai eu droit à la demande de pardon, de l’intimidation puis les insultes de plus en plus violentes, les menaces de mort de tuer ma mère, ma famille, etc. parler de détail intime de notre vie de couple à tout le monde et me faire passer pour la méchante.
Masiwa – Qu’est-ce qui vous a poussé à réagir ?
Ryma – Très bizarrement suite à une énième scène où il me menaçait devant mon fils, je dors le soir et je me vois en rêve prendre feu dans mon propre lit. Des fois aussi je rêvais de mon père (paix à son âme) qui voulait me sortir de là. Dès mon réveil, j’ai commencé à préparer mon départ, car je le voyais sombrer dans un énième vice qui était le tiercé. C’était le cocktail explosif. Il fallait que je sauve mes enfants.
Masiwa – Y-a-t-il une personne qui vous a aidé à sortir de cette emprise ?
Ryma – J’ai pu compter sur mes sœurs. Pendant des années son rêve ultime était de m’en éloigner, car il savait qu’on était et on est toujours un noyau très solide et fusionnel. J’ai pu aussi compter sur un ami qui malheureusement s’est soldé en relation pansement et ré- emprise derrière. Je l’ai plaqué au bout d’un an et demi. J’ai aussi suivi une thérapie et j’ai aidé des femmes victimes de violences conjugales à sortir de l’emprise en parlant de mon expérience après mon remariage. Mon avocate ainsi que ma conseillère éducation sociale et familiale aussi, car je me suis retrouvée endettée. Monsieur avait dilapidé toutes nos économies (mtsango et sous à la banque) et n’avait pas payé le loyer malgré que je m’étais désolidarisée. J’avais contracté un prêt personnel à la banque pour assouvir ses problèmes de dépenses. Et au final j’ai du tout mettre en dossier de surendettement. J’ai dû aussi déposer plainte pour usage de faux, car il avait utilisé un vieux chéquier que je n’utilisais plus. Heureusement que la banque m’avait prévenue et fait le nécessaire. L’après est très difficile, car non seulement on sort de l’emprise, mais en plus il faut vivre les violences post-séparations avec les violences économiques, le harcèlement, les menaces et l’intimidation. Dans notre communauté la pression de certains de ses proches qui te font aussi passer pour la méchante, car ils décident de n’écouter qu’une seule version de l’histoire donc la sienne.
Masiwa – Pourquoi avez-vous décidé de raconter votre histoire aujourd’hui ?
Ryma – Aujourd’hui je m’estime guérie grâce à mon entourage et aussi à mon nouveau conjoint qui m’a apporté de belles choses et avec qui j’ai découvert une autre façon d’aimer. Je suis aujourd’hui heureuse avec ma tribu (un troisième est venu se rajouter ainsi que de beaux enfants qui m’aiment et me respectent comme leur propre maman) même si les stigmates restent avec de vieux réflexes. Je parle aussi, car tellement de femmes dans notre communauté souffrent de ces violences conjugales et qu’il faut absolument briser ce tabou.
Certains hommes n’ont aucun scrupule à faire passer les femmes pour des menteuses et leur enlever toute estime d’elle-même. J’en parle pour alerter sur le fait que fuir des violences ne fait pas de nous des faibles, bien au contraire. Qu’on en ait deux, trois ou dix enfants, que l’on soit avec depuis trois, cinq, quinze ou vingt-cinq ans, il n’y a pas de délai pour fuir une relation toxique qui ne vous apporte rien de bon et de beau. Les gens dans notre communauté parleront toujours et auront toujours une manière de penser de vous. Ce qui importe c’est l’estime de soi-même, la reprendre et surtout être consciente de sa force et de sa capacité de résilience.
J’en parle aujourd’hui, car même s’il continue ses petites campagnes d’intimidation, je ne me laisse plus faire, je lui tiens tête. Les enfants aussi ont des souvenirs et sont aujourd’hui de mon côté sans que j’aie eu à leur raconter dans les détails ce qu’il s’est passé. Il a été totalement absent de leur vie, car monsieur refusait que ce soit mon conjoint qui fasse la passation pour les visites. Mais, à côté de celle, il raconte à qui il veut en mode victime que c’est moi qui lui interdis de voir ses enfants. Mais mes enfants ne sont pas dupes et ils en sont sortis grandis de tout cela et ils sont ma fierté. Mon conjoint est devenu leur papa, une figure et un exemple paternel de bonté, d’amour, de maturité et d’éducation. C’est aussi pour lui rendre hommage et le remercier de nous avoir guéris de toutes ces années de violences et de galères que j’ai accepté de parler de mon histoire. Et aussi de remercier mes sœurs, ma mère et ma famille d’avoir été là et de m’avoir défendu bec et ongles quand il le fallait.