11 tentatives de viols, 121 maisons vandalisées, 66 voitures détruites et 24 personnes blessées par balles réelles, dont 4 très gravement. Voilà les chiffres qui résument les exactions de l’AND dans la ville de Mbeni du 12 au 21 octobre 2022.
Maître Gérard est un des ténors du barreau de Moroni, il s’exprime ici sur les exactions commises par l’armée à Mbeni.
Propos recueillis par Hachim Mohamed
Masiwa – Pour un avocat, quelle est la meilleure approche pour s’attaquer avec détermination aux causes du mal qui ronge notre armée ?
Me Gérard Youssouf – Il est regrettable de constater que notre armée a perdu toutes sa crédibilité et ses valeurs malgré le mandat et les missions qui lui ont été assignés. Cette armée n’est plus au service du peuple, mais plutôt au service du régime avec des nouvelles directives et conduites imaginaires. Cette armée a l’habitude de commettre des bavures, des incidents graves qui restent impunis à jamais. La loi Loi n°97-010 du 21 juillet 1997 fixant son statut et ses missions n’est plus respectée et par conséquent elle est devenue l’arme redoutable pour capitaliser la tyrannie dans le pays. J’estime que pour s’attaquer aux causes de sa dérive, il y a lieu de reformer notre armée. C’est pour dire qu’il faut revoir les mécanismes de recrutement et d’enrôlement de ces jeunes au niveau de toutes les forces de l’ordre. Une meilleure règlementation s’impose dans l’intérêt général de la nation.
Il est bien établi que ces dernières décennies, le pays a connu des recrutements de masse sur des personnes sans profils. On y trouve en son sein toutes sortes de personnes et même les plus dangereux de la société.
C’est un constat très alarmant pour le pays et auquel il faudra renoncer en mettant chacun à la place qu’il mérite. Notre armée ne pourra plus fonctionner de manière archaïque et désordonnée. Elle doit être dotée en urgence de plusieurs lois dont une loi portant classification des armes à feu et leurs usages ; une loi portant sur la conduite et l’intervention des forces de l’ordre dans les missions de maintien de la paix et de l’ordre public ; et une autre portant sur les infractions militaires. Cette dernière doit mettre en place un tribunal militaire pour juger les militaires en cas d’infraction au droit commun ou dans le cas d’une infraction militaire.
Avec tous les abus de l’armée, le souci dans notre pays est qu’on ne s’attaque jamais à la cause des problèmes. Nous l’avons vu avec le Procureur Djounaid qui a ramené les opérations de l’armée à de simples grenades lacrymogènes lancées en lieu et place de balles réelles utilisées contre la population de Mbeni.
Masiwa – Comment un magistrat de son standing a pu être capable d’une telle dérive ?
Me Gérard Youssouf – Il ne s’agit pas d’une question de standing ou expertise. Il s’agit dans ce cas précis de conviction. Son appréciation est le résultat de sa conviction, ce qui est fortement regrettable pour sa personnalité et pour le pays qui paie le prix de sa nomination à ce poste. Ils peuvent tout dire, mais jamais ils ne peuvent métamorphoser la vérité des faits qui restent réels et constants.
La ville de Mbeni a subi une ingérence inacceptable, un règlement de compte et un crime contre l’humanité.
Masiwa – Quelle est votre position de praticien du droit quant à cette attitude de l’armée qui sévit comme une armée d’occupation avec les dévastations et rapines de toutes sortes ?
Gérard Youssouf – À la lumière de l’article 14 de la Constitution, l’État comorien, à commencer par le président de la République, chef suprême des armées, le chargé de la Défense, le chef d’État-major, les ministres de l’Intérieur et de la Justice et l’AND sont responsables des massacres et des actes de traitements cruels commis dans la ville de Mbeni durant les jours d’invasion et d’occupation. La population a été prise au piège et a vécu au rythme des armes à feu et des gaz lacrymogènes, une situation sans précédent, comme sur un champ de bataille.
L’horreur est incontestable, car la population civile, non armée a fait l’objet de violations graves des droits humains, notamment des violations de domicile, de tentatives de viol, de tortures, de pillages et de destructions massives de maisons par les militaires.
Masiwa – Que pensez-vous de l’attitude du Procureur de Moroni qui a décidé de ne pas ouvrir une enquête sur les graves dégâts matériels et humains causés par l’armée ?
Me Gérard Youssouf – C’est un déni de justice qu’il a commis et certainement il répondra de ses actes le jour que notre pays aura une justice impartiale et équitable. C’est une infraction très grave en tant que magistrat du parquet. Il viole les dispositions des articles 31 à 48 du code de procédure pénale.
Masiwa – Que risque pénalement un gouvernement qui envoie l’armée régler un conflit qui ne met nullement en danger ni les institutions de l’État ni la vie des citoyens ?
Gérard Youssouf – Selon la nouvelle législation comorienne, notamment la Loi n°20‐038/AU du29 décembre 2020 relatif au Code pénal et promulguée par le décret n°21‐018/PRdu16 février 2021 en ses articles 24 et 28, il s’agit d’un crime de guerre et de complicité passive commise contre la ville de Mbeni. Ce crime de guerre est bel et bien établi, car il y a des faits constants, des victimes et des preuves palpables. L’usage des armes à feu ne peut être contesté, car les victimes sont évacuées pour des soins intensifs à l’étranger.
Il y a eu récemment, selon un jeune de la commune, Abdou Nouhou Badroudine, une rencontre de réconciliation entre les notables et les personnalités qui sont perçues par les jeunes comme étant les commanditaires des violences subies à Mbeni.
Masiwa – De quelle réconciliation s’agit-il quand certains habitants croupissent dans les geôles de la prison de Moroni et d’autres sont toujours réfugiés dans les forêts ?
Gérard Youssouf- Je reste convaincu que la rencontre des notables à Mbeni est un échec total. Cette rencontre ne devrait pas avoir lieu, car les tenants n’étaient ni objectifs ni rationnels. Il serait injuste et hasardeux de parler de réconciliation tant que justice ne soit rendue à toutes les victimes. Il y a d’abord les victimes des maisons incendiées et les biens détruits et les victimes des tortures et tentatives de viol par l’Armée.
La ville de Mbeni n’a d’excuse à faire à personne. C’est plutôt le gouvernement qui doit s’expliquer et s’excuser pour son incompétence et les massacres commis délibérément. Sa responsabilité est engagée et il doit assumer en termes de réparations conformément à la constitution qui dispose que :
« L’État et les organismes publics sont civilement responsables des actions et omissions de leurs agents qui pourraient porter atteinte d’une manière quelconque aux droits, aux libertés et aux garanties de ceux auxquels ces droits sont accordés ou de tierces personnes ».
Masiwa – Dans cette affaire un collectif d’avocats s’est constitué pour engager des procédures judiciaires et permettre de juger les principaux responsables de ces exactions. Pouvez-vous nous dire où en sont les choses ?
Gérard Youssouf – C’est une très bonne initiative qu’il faudra bien encourager et saluer. Cela démontre très clairement l’engagement et la détermination de ces jeunes avocats à faire rayonner la justice dans notre pays.