Mouzaoir Abdallah, un des hommes politiques artisans de l’indépendance comorienne, est décédé ce 30 avril 2020 à Moroni. Hamada Madi Boléro, ancien Premier ministre et actuel Secrétaire Général de la COI, rend ici hommage à un homme qu’il considère comme un modèle.
La période est dure, qui ne le sait ? Des parents, des amis, des proches nous quittent victimes par exemple de ce drame qui frappe sans pitié le monde entier et nous enlève ceux que nous croyions indéracinables. En tous les cas, plus que d’habitude ! Mais, la vie et le trépas ne sont – ils pas inhérents ?
Mouzaoir Abdallah est de ces hommes politiques que beaucoup de gens de ma génération n’auraient jamais pensé pleurer, car il faisait partie de notre présent, de notre passé et de notre imaginaire de Comoriens venus à la raison à l’époque où notre pays recouvrait son indépendance et sa liberté.
Je ne vais pas faire ici le panégyrique d’une vie publique que tous celles et ceux qui connaissent l’histoire des Comores apprécient à sa juste valeur.
Non, je ne vais pas me lancer dans une ode à l’homme public que tous, nous connaissions.
Dans cette tristesse qui m’assaille ce jour, au moment où j’écris ces lignes, ce n’est pas l’achèvement d’un parcours exceptionnel entamé dès avant l’indépendance et le militantisme au service d’un projet national, poursuivi comme premier chef de la diplomatie de notre jeune État, comme parlementaire talentueux depuis la colonisation et comme président du Conseil constitutionnel que je pleure. Ce ne serait pas à la hauteur de notre relation et de l’affection admirative que je lui portais.
Né à Moroni en 1941, Mouzaoir Abdallah a été, je n’hésite pas à le dire, l’homme politique le plus brillant de sa génération. Il a incarné le génie de notre Nation dès avant qu’elle ne fût un pays. Cette intelligence brillante qui aurait pu demeurer celle d’un analyste en chambre, il l’a enrichie en la frottant tout au long de sa vie à la sensibilité du psychologue, à l’exigence du pédagogue qu’il fut, à la conviction du patriote qui l’animait, à l’Esprit du droit qu’il maîtrisait si bien et au sens de l’action du politique qu’il était au fond de lui.
Son expérience et sa hauteur de vue lui avaient fait acquérir avec le temps une indulgence qui n’était sans doute pas le trait dominant de son engagement lorsqu’il s’érigea en procureur d’un système colonial déjà au soir de sa vie. Malgré cette lutte difficile pour notre liberté et cette soif absolue d’indépendance qui l’avait habité dès sa jeunesse, il était de ceux qui ne nourrissaient pas le double discours dans sa relation avec la métropole d’hier. Profondément Comorien il l’était de toute son âme. Francophile et amoureux de la culture française il l’était également et sans complexes, voyant dans cette confusion de savoirs et de traditions venus de nos îles comme de la terre de Descartes la richesse de la pluralité.
Mouzaoir Abdallah a été un confident. Je parlais à l’homme d’État et à l’Ami qu’il était sans retenue ni complexes. Je ne saurai ce qu’il pensait de moi, mais également il ne saura jamais à quel point il fut mon inspirateur.
Ayant occupé tous les postes du cursus honorum de notre pays il ne lui manquait que d’être entré à Beit Salam. Sans doute y eut-il apporté la preuve de ses multiples talents et de son exigence patriotique et éthique. L’Histoire ne lui aura pas concédé cette dernière opportunité, mais il restera, j’en ai la conviction, au Panthéon des Grands Hommes qui ont façonné notre pays à un moment d’exception.
En disant aujourd’hui Adieu à l’Homme d’État et plus encore Adieu à l’Ami que fut Mouzaoir Abdallah, Shehu, Mbaba Rahali, c’est une part de moi-même qui s’arrache et c’est une étoile de notre Histoire qui cesse de briller. Puisse-t-il depuis le Paradis Al-Firdaous continuer d’orienter notre chemin !
Hamada Madi Boléro
Ancien Président par intérim