Le dernier clip du rappeur comorien Cheikh MC, « Towo renge » est sur Youtube depuis le 22 novembre 2019. Certes, il n’a pas démarré en trombe, il n’a qu’environ 33.000 vues, mais c’est un petit bijou artistique, tant au niveau de sa conception que du thème abordé. Par Mahmoud Ibrahime
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Tout rappeur qui se respecte installe le social au cœur de son œuvre. C’est ce que fait Cheikh MC, qui au fil des années offre à ses fans des performances qui naviguent entre la critique sociale et la politique. De « Mwambiye » à « Mwambiye tsena », deux chansons qui critiquent l’autocratie du régime Azali de 1999 à 2006, puis depuis 2016, en passant par « Mhadaye », qui traite de l’espoir de tout le pays qui repose sur l’émigration, le rap de Cheikh MC prend parfois le ton du bégaiement, à l’instar de l’histoire des Comores.
La vraie noblesse
Avec « Towo Renge », un clip de trois minutes dix, Cheikh MC met en lumière ceux qu’il désigne comme la vraie noblesse, celle des travailleurs manuels, en l’occurrence les petits vendeurs, majoritairement anjouanais qui traversent les rues et particulièrement les marchés de Moroni et de Mutsamudu, avec leurs brouettes, pour vendre toutes sortes d’objets. Ce sont eux qu’on appelle les Yaou (parce que certains vendent des yaourts artisanaux en criant « yaou ! yaou ! »), les Gawu (idiots) ou « Towo Renge » de l’expression qu’ils emploient souvent et dont les deux mots signifient « sors » (l’argent) et « prends » (la marchandise). Le rappeur s’empare de l’expression qui était destinée à se moquer de ce « sous-prolétariat » ou lumpenprolétariat et le couvre de mots doux qui en font un nom qu’on peut porter avec fierté et dignité. Il met en pleine lumière une catégorie sociale qui est souvent mal-aimée, mais qui est le symbole de la débrouillardise qui évite de tomber dans la délinquance.
Le chanteur s’adresse directement aux marchands ambulants avec des expressions qui montrent son affection pour leur sens de la débrouillardise, pour le fait qu’ils travaillent durement afin de s’en sortir. Partis de rien, sans titre social, ils se construisent eux-mêmes et Cheikh Mc leur dit avec justesse : « Vous êtes les vrais nobles ».
Mutru de wawe, djibuwe
Cette phrase est en quelque sorte un clin d’œil au précédent succès du rappeur, « Djibuwe », clip qui a souvent été mal compris par la jeunesse dorée des grandes villes qui en a fait son hymne, alors que les deux chanteurs (duo avec la chanteuse de variété Samra) mettaient en exergue les propos ridicules et arrogants de certaines personnes obnubilées par leur « noblesse » alors qu’ils n’ont même pas les moyens d’assumer leur position. Cheikh MC disait aux jeunes qui se prétendent plus nobles que d’autres, mais qui ne font rien de leur vie (« hutsawuwa uke mbure mtukufu ») ou qui refusent le travail manuel (« kutsukiri hazi ya usimbufu ») en vivotant sur les acquis de leurs ancêtres : «leo ko mhuwu ko mtiti ! Djipangiye zahaho nge udjibuwe… ezapvira zisa zipviri linda ukane lahaho nge udjibuwe » (« Aujourd’hui, il n’y a ni grand ni petit. Construis ton chemin avant de t’exposer… ce qui est passé est passé, attends d’avoir le tien pour t’exposer »).
Et précisément, avec « Towo renge », le rappeur nous offre un personnage qui correspond à sa conception de la noblesse, une noblesse qui s’obtient par le travail personnel et régulier, et non par héritage. Ainsi, au fil des tubes, Cheikh MC inculque à sa génération les leçons fondamentales que les enseignants ont oublié de leur apprendre.
La chanson est bien servie par une vidéo encore une fois exceptionnelle et époustouflante à l’exemple de ce travelling avant qui ouvre le clip sur le toit et les parasols multicolores du marché de Moroni, ou les corps des danseurs qui évoluent dans un champ de lumières. Le clip a été réalisé par le dénommé Lil Crimi Dias qui avait déjà travaillé sur le clip de Mhadaya, réalisé à l’époque chez AST. Le seul regret c’est que le talent des danseurs n’ait pas été utilisé pour sublimer par la danse le travail des vendeurs ambulants.
Des images époustouflantes
Le résultat n’a rien à envier aux clips qui sont faits pour des grands chanteurs internationaux et on devine que de nombreux moyens techniques ont été mis au service de l’esthétique pour rafraichir nos yeux. C’est une tendance réconfortant pour les mélomanes comoriens : les jeunes chanteurs comoriens n’hésitent pas à se payer les services de vrais professionnels et on a senti ces dernières années une vraie amélioration dans ce domaine.
En plus des idées neuves, de l’esthétique, du spectacle, les fans ne peuvent que sentir, comme souvent dans les clips de Cheikh MC, toute sa générosité ressortir sur chaque plan. Il est évident qu’il s’agit d’un travail collectif, un travail de pote. Cheikh est auteur et chanteur et pour le reste, il s’entoure de gens parmi les plus compétents du pays et même de la région.
Cette fois les paroles sont portées par une musique composée par deux personnalités du milieu CG Flow (La Réunion) et Stil Nass (France). On y trouve également de jeunes danseurs qui apparaissent tout le long du clip et qui sont des jeunes élèves de Haytham. Même au niveau de la voix, Cheikh n’est pas seul puisqu’il est accompagné par deux autres, une féminine et l’autre masculine.
Avec ce clip, « Towo Renge », Cheikh MC confirme son talent de rappeur, sa capacité à faire confiance à des techniciens amoureux du beau qui savent mettre en valeur son travail. Il s’installe également comme un observateur attentif d’une société en pleine mutation, comme ont pu l’être ses aînés, chanteurs issus du Msomo wa Nyumeni (« La nouvelle école ») ou encore plus lointains.
Cheikh Mc sera en concert le 13/12/19 au Centre Culturel Houdremont de La Courneuve, le 28/12/19 à la Maison de la Culture Douta Seck (Sénégal) et le 11/01/20 au Foyer des Femme de Moroni.
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