Les dernières manœuvres du gouvernement et du Procureur général ont fini de convaincre que l’avocat de l’ex-président Sambi est devenu une cible prioritaire du pouvoir en place. Une cible qui a mobilisé deux ministres et un procureur. Par Mahmoud Ibrahime
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La longue interview accordée par l’avocat de l’ex-président Sambi, toujours maintenu en détention provisoire depuis plus d’un an, continue à susciter des réactions de la part du pouvoir en place.
En effet, la semaine dernière Me Mahamoud avait accordé une interview sur internet à « Comores Infos », interview au cours de laquelle, il a révélé que la santé de son client se dégradait et qu’un pôle de médecins avait demandé qu’il puisse bénéficier de soins à l’extérieur. Au cours de la même interview, l’avocat avait attaqué d’une manière virulente le chef de l’État, Azali Assoumani, le désignant par le sobriquet de « Gozibi », repris par de nombreux internautes depuis que ce dernier avait dit dans un discours « mina gozi bi » (littéralement « J’ai une mauvaise peau », autrement dit : « On me déteste toujours pour rien »). Me Mahamoud était revenu sur le déroulement des élections présidentielles et avait affirmé comme tous les candidats que le chef de l’État avait fraudé ces élections, toutefois validées par la section administrative de la Cour Suprême dont tous les membres avaient été soigneusement désignés par le candidat Azali Assoumani avant le scrutin.
Cette fois, c’est le Procureur général, Soilihi Djaé qui a saisi par courrier le 24 août 2019 le bâtonnier du barreau de Moroni, Ibrahim Mzimba. Le procureur se base sur les articles 45, 49 et 37 de la loi du 23 juin 2018 qui organisent la profession d’avocat aux Comores. Soilihi Djaé fait plusieurs reproches à Me Mahamoud, il évoque des faits qu’il qualifie de « graves et gravissimes ». D’abord des « propos diffamatoires » à l’égard de « l’institution judiciaire nationale ». Ensuite, il l’accuse de confondre son statut d’avocat et ses positions d’homme politique. Enfin, il lui reproche des « appels incessants à la violence aux incitations à la haine, aux troubles à l’ordre public » (sic). Rien de moins.
Selon la procédure évoquée dans les articles cités par le procureur, le bâtonnier devrait convoquer Me Mahamoud pour venir s’expliquer devant le conseil de l’ordre des avocats et lui laisser au moins un mois pour préparer sa défense. Mais, le conseil de l’ordre est incomplet depuis la démission de quatre avocats sur 9. C’est pourquoi certains avocats ont des doutes sur la procédure engagée par le procureur et sur la possibilité qu’elle aboutisse. Un avocat qui a requis l’anonymat se demande même s’il ne s’agit pas d’un piège tendu au bâtonnier par le pouvoir qui hésiterait à faire passer l’avocat du principal opposant en prison par les juridictions normales.
Quant à Me Abdoulbastoi Moudjahidi, interrogé par nos soins, il tient « à féliciter la démarche qui est jusque-là, A PRIORI, en conformité avec la loi. Le procureur général est en droit de saisir le Conseil de l’ordre. Il n’a pas suivi la démarche illégale qui a été empruntée, il y a 5-6 ans, pour sanctionner Me Fatoumya Mohamed Zeina. »
Mais, l’avocat au barreau de Moroni poursuit en « je tiens à souligner que les allusions faites par le procureur général sur des prétendus “appels incessants à la violence”, “incitation à la haine” et “troublés à l’ordre public”, aussi longtemps qu’elles ne seront pas statuées et tranchées par un juge, ne constituent pas des éléments suffisants pour établir une quelconque compétence du Conseil de l’ordre sur la matière. »
Il émet également un doute sur l’aboutissement d’une saisine du conseil de l’ordre à propos d’un conflit d’intérêts : « Comment peut-on poursuivre un avocat pour violation des règles régissant les conflits d’intérêts ou pour mélange de genre, sans l’accord du client soi-disant victime ? Et si le client a consenti à cette situation après avoir été prévenu par l’avocat de l’existence d’un risque de conflit ? »
Me Ahmed Ben Ali, du barreau de Saint-Denis de la Réunion qui n’a pas hésité à afficher publiquement ces derniers jours le conflit qui l’oppose au bâtonnier Mzimba qui refuse de l’inscrire au barreau de Moroni, est encore plus catégorique sur la démarche du Procureur. Il pense que sa démarche ne peut aboutir du fait de la démission de quatre membres du conseil. Pour lui, « la demande du procureur général est fourre-tout judiciaire » et il ajoute que dans « le contexte politique actuel, le procureur général a fait la démonstration parfaite que la justice roule pour l’exécutif. Il n’y a aucun semblant de séparation des pouvoirs dans ce pays. Les ministres de l’Économie et de la Justice l’ont demandé et le procureur général a exécuté les ordres de ces deux ministres. »
Toutefois, le bâtonnier Mzimba, soupçonné d’être au service du gouvernement par plusieurs confrères et surtout par les hommes politiques avec lesquels il était allié pour dénoncer les fraudes électorales lors de présidentielles, ne semble avoir aucune hésitation. Dans les colonnes de La Gazette des Comores (en date du 29 août 2019), il donne l’impression d’avoir déjà intégré l’idée du gouvernement et du procureur que Me Mahamoud a insulté l’institution judiciaire et doit donc être sanctionné.
Cette fois c’est sur le réseau facebook que Me Ahmed Ben Ali s’exprime : « La réaction du bâtonnier Mzimba a été rapide. Loin de défendre, au moins officiellement, son confrère pour la protection du corps, il s’érige en accusateur de l’avocat. En réaction à la demande du procureur général, il déclare que l’avocat ne peut pas se permettre “d’insulter les juges” et se comporter en simple citoyen. Le ton est donné, le bâtonnier Mzimba se range derrière le parquet pour sanctionner Me Ahamada Mahamoud, et ce, sans aucune ambiguïté ».
Il nous a été impossible de joindre Me Mahamoud qui serait actuellement à Genève. Mais, l’avocat et homme politique du parti Juwa joue gros. Si ses confrères cèdent aux demandes du gouvernement, il risque, au moins une sanction disciplinaire, une sanction qui peut aller jusqu’à la radiation du barreau. Et même si ses confrères ne cèdent pas et que le procureur veut le poursuivre, à la demande du gouvernement, il pourrait se retrouver en prison et son principal client, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi serait sans avocat. Est-ce le but recherché par le gouvernement ?
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