Objet : lettre ouverte aux candidats aux présidentielles de 2019
Monsieur le candidat,
Vous vous proposez de diriger le pays. Une ambition louable qui vous impose des obligations envers le peuple comorien. Nous avons donc le droit de vous interroger sur votre programme électoral et vous, vous avez le devoir de nous répondre à moins que vous envisagiez diriger le pays en méprisant les citoyens.
Comme vous le savez sans doute, notre intérêt porte sur la question de Maore, la « question de l’île comorienne de Mayotte » suivant la terminologie de l’Organisation des Nations Unies, de l’Union Afrique et des autres regroupements internationaux.
Deux semaines après le lancement de la campagne, les positions des candidats ne nous paraissent pas claires. Chacun en parle puisque le thème s’impose mais l’on reste dans le domaine du général, des positions de principe qui n’ouvrent sur aucune orientation politique concrète.
Monsieur le candidat,
Certains considèrent la question de Maore comme un différend territorial entre les Comores et la France. Il s’agit, à notre avis, d’une vision étriquée dont l’objectif est de minimiser les enjeux.
La question de Maore se rapporte à la souveraineté des Comores. A l’accession à l’indépendance, la puissance coloniale ampute le pays d’une partie de son territoire nationale telle qu’internationalement reconnue. Il s’agit donc d’intégrité territoriale et non de différent territorial.
La question de Maore pose aussi le problème de l’attitude des grands pays face aux petits pays ; du respect des normes internationales (la Charte de l’ONU) ; de l’application des résolutions pertinentes de l’Assemblée Générale de l’ONU ; de la place et du rôle du Conseil de Sécurité de l’ONU dont les membres permanents, détenteurs du droit de veto, érigent leurs intérêts en lois mondiales.
La question de Maore est une clé de voûte pour les Comores.
Elle est à l’origine de plusieurs putschs, de l’assassinat de plusieurs Chefs d’État comorien. Qui peut oublier que pendant plus de dix ans, notre pays fut jeté en pâture aux mercenaires du français Bob Denard.
Comment ne pas lier l’origine de ce séparatisme arrogant et dévastateur au Mouvement Populaire Maorais qui a été le fer de lance de la balkanisation du pays ?
N’est-il pas évident que la structuration même de l’État depuis l’indépendance (Fédéralisme, Tournante) en porte l’empreinte ?
La question de Maore pèse lourdement sur le développement économique et social du pays.
Il est incontestable que les séparatismes insulaires, y compris et peut-être surtout celui de Maore, sont principalement nourris par la pauvreté qui enserre les Comoriens. D’où la stratégie française de tout faire pour empêcher le développement économique de la partie indépendante. Moroni doit servir d’épouvantail, de repoussoir à Mamudzu. Bien évidement la mise en œuvre est astucieusement enveloppée par des chants hypocrites et cyniques sur « l’amitié franco-comorien ». L’habileté française, s’appuyant sur une riche expérience coloniale et néocoloniale, réussit la prouesse d’amener les dirigeants comoriens à considérer la France comme le principal partenaire au développement des Comores, comme le meilleur ami, etc. etc.
L’autre dimension concerne les pratiques oppressives des régimes comoriens qui génèrent de la division entre les îles. Un autre ressort sur lequel joue l’État français comme cela a éclaté au grand jour en 1997, lors du triomphe du séparatisme à Ndzuwani.
D’où notre première question. Les relations avec la France
Question cardinale s’il en est !
Tous les régimes qui se sont succédé à la tête du pays depuis l’indépendance, ont proclamé haut et fort l’amitié entre les Comores et la France. On se rappelle qu’au lendemain de son putsch du 3 août 1975, Ali Soilihi même, clamait sa volonté de « sauver l’amitié entre la France et les Comores » mise en danger par la déclaration unilatérale de l’indépendance. On se rappelle aussi qu’après son coup d’État du 13 mai 1978, Ahmed Abdallah s’indignait contre la rupture des relations diplomatiques entre les Comores et la France. Les suivants ont continué sur la même voie.
Notons cependant qu’Ali Soilihi a fini par comprendre l’hypocrisie française. Il expulsa Bob Denard et mena une politique de défense du pays contre le néocolonialisme français jusqu’à son renversement en 1978.
L’État français est-il vraiment un ami des Comores ?
Il y a bien sûr la célèbre déclaration d’un président français suivant laquelle : un pays n’a pas d’ami, il n’a que des intérêts. Un principe cynique qui fonde l’affrontement des égoïsmes nationaux aux détriments des intérêts des peuples et de la planète, une règle insensée qui conduit le monde à sa perte.
Mais il ne s’agit pas que de cela. Il s’agit de politiques concrètes qui nuisent considérablement aux Comoriens.
Un pays qui occupe par la force une partie du territoire comorien et qui de surcroît, refuse de négocier réellement, peut-il être considéré comme un ami ?
Un pays qui prend des mesures administratives (le visa Balladur) qui entraînent la mort de plusieurs dizaines de milliers et disparus de Comoriens, peut-il être considéré comme un ami ?
Un pays qui prétend « punir » les Comoriens pour empêcher l’État comorien de maîtriser les mouvements de population entre les îles, peut-il être considéré comme un ami ?
Certains s’appuient sur les liens étroits existants entre les peuples comoriens et français pour tenter de noyer le poisson dans l’eau. Il va de soi que les États comoriens et français devraient en tirer les conséquences en œuvrant sincèrement un règlement apaisé de la question de Maore.
Quelle politique comptez-vous mettre en œuvre envers la France ? Allez-vous suivre la voie sans issue des négociations bilatérales entre les Comores et la France ou bien allez-vous opter pour la remise à l’ordre du jour définitive de la question dans les AG de l’ONU ? Croyez-vous au système des structures sophistiquées par l’appellation, ces Groupe de Travail de Haut Niveau et autre Haut Conseil Paritaire ou allez-vous réveiller le Comité des sept de l’Union Africaine ? Au total croyez-vous que le pays fera céder la France en cédant à tous ses desiderata, en chantant son amitié ou en exerçant une forte pression internationale contre la France, en réagissant du tac au tac à ses initiatives ? Céderez-vous aux « punitions » françaises, ces chantages indignes sur le visa ou allez-vous défendre l’honneur du pays ?
La politique envers Maore et les Maorais
Toutes les Constitutions comoriennes soulignent l’appartenance de Maore aux Comores. Malheureusement Maore est souvent traité comme un pays étranger.
Rendez-vous compte l’État comorien avait instauré un visa (en plus de celui de la France) de sortie vers Maore ; les transports aériens entre Maore et les autres îles sont traités comme des vols internationaux avec des compagnies internationaux.
Les cartes qui ornent certains bureaux administratifs de l’État comorien, de certains Partenaires et de certains ambassades présentent un État comorien de trois îles !
Dans des documents administratifs entre l’État comorien et des Partenaires, on parle de Comores de trois îles.
On a vu l’Union Européenne célébrer sa coopération avec les Comores, à Moroni place de l’indépendance, diffuser de la publicité (t-shirts, flyers, etc.) dans lesquels les Comores étaient réduites à trois îles. Des dirigeants de l’État ont assisté aux événements sans broncher. Seul le Président du Conseil de l’Île de Ngazidja avait dénoncé le scandale et quitté avec fracas la célébration.
La classe politique comorienne s’est elle aussi déshonorée en sautant sans le moindre scrupule le tour présidentiel de Maore en 2016. Le Comité Maore s’est retrouvé seul, prêchant dans un désert épouvantable. On doit aussi souligner que les Maorais sont complètement exclus de la sphère dirigeante : pas de Vice Président malgré une saisine de la Cour Constitutionnelle par le Comité Maore ; pas de ministre maorais dans les gouvernements comoriens depuis l’assassinat d’Ahmed Abdallah en 1989.
Comment comptez-vous remédier à tout cela ?
Le visa balladur
Instauré en 1995, il a causé la mort ou la disparition de plus de 10 000 morts ou disparus. 10 000 morts sur une population de moins de 1 000 000, plus de 1 % de la population comorienne. Ailleurs cela aurait été désigné comme un génocide. Comment peut-on tolérer cela ? Comment peut-on accepter que la France ne supprime pas ce visa génocidaire ? Comment peut-on chanter son amitié, sa collaboration, etc. Quel est le prix de ces morts comparés à « l’aide » française !? N’est ce pas une calamité nationale ?
Quelles sont vos propositions pour la suppression immédiate du visa Balladur ? Êtes vous disposé à poursuivre M. Balladur auprès de la Cour Pénale Internationale pour crime contre l’Humanité ?
La France fait la part belle aux extrémistes à la Mansour Kamardine et écrase les patriotes maorais comme Youssouf Moussa. Elle mène une propagande systématique qui couvre tous les domaines (histoire, langue, etc.) pour faire croire que Maore n’est pas comorienne et ne l’a jamais été, que les Maorais ne veulent pas des trois autres îles. Elle autorise, en présence de sa police et sous l’œil des médias, des pogroms anti comoriens. Elle a même inventé un nouveau mot : les dé-casés, ces familles (femmes et enfants) chassés de leur demeure, dépouillés de tous leurs biens et qui ont vécu des semaines durant dans la rue.
Quelle politique comptez-vous mettre en œuvre pour renforcer les liens entre les populations de nos quatre îles, en particulier avec les Maorais. Soutiendrez-vous ceux qui à Maore combattent pour l’unité du pays dans des conditions extrêmes ?
Pour une proposition comorienne
Jusqu’ici il n’existe aucune proposition comorienne derrière laquelle tout le monde pourrait se ranger. Chaque président comorien a avancé sa propre voie plus ou moins précise sans aucun effet sur les faits. Par contre la France mène une politique systématique, conséquente depuis 1975 sur la question de Maore, et cela quelle que soit la majorité française. Nous estimons qu’il faudrait dans un large cadre de concertation, réaliser une sorte d’unanimité autour d’une proposition comorienne qui s’imposerait à tous les régimes et qui serait portée devant la Communauté Internationale.
Quelle politique envisagez-vous de mener dans cette perspective ?
Sans nous faire d’illusion, nous vous demandons de donner suite à notre questionnement. Le peuple est témoin. Il en tiendra certainement compte au moment du vote.
Dans cette attente, nous vous prions d’agréer nos salutations patriotiques.
Le Comité Maore
Moroni le 11/03/2019