Depuis la décolonisation, de nombreux États ont conservé des relations tendues avec leur ancienne puissance coloniale, laquelle continue souvent de tenter de maintenir son influence sur leurs affaires internes. Tel est le cas des Comores, ancien territoire sous domination française jusqu’en 1975, date à laquelle le pays a proclamé unilatéralement son indépendance. Cette rupture a eu des répercussions majeures : l’archipel, composé de quatre îles principales, s’est retrouvé divisé, la France maintenant illégalement son contrôle sur Mayotte.
Par HOUDAIDJY SAID ALI. Juriste Publiciste et Internationaliste, Paris – France
Sans retracer l’historique détaillé, il est essentiel de rappeler les résolutions des Nations Unies qui réaffirment la souveraineté des Comores sur l’île de Mayotte, toujours sous administration française. La résolution 3385 de 1975 a ainsi affirmé le droit des Comores à l’indépendance, exhortant la France à respecter l’intégrité territoriale de l’archipel, une exigence à laquelle la France n’a pas donné suite. Ensuite, la résolution 31/4 de 1976 de l’Assemblée générale des Nations Unies demandait explicitement à la France de retirer ses troupes de Mayotte et de cesser toute action visant à isoler l’île des autres îles comoriennes. Puis, en 1979, la résolution 34/79 réitérait cet appel, malgré les nombreuses crises politiques qui faisaient alors obstacle à une priorisation de la question de Mayotte.
Ces démarches furent suivies par la résolution 49/18 de 19941, qui renouvela la demande d’une solution négociée et pacifique entre la France et les Comores pour régler ce différend. L’ensemble de ces résolutions témoigne de la persévérance des Comores dans la défense de leur souveraineté sur Mayotte et souligne la violation manifeste, par la France, de décisions internationales. Ce comportement est d’autant plus critiquable de la part d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, auquel incombe la responsabilité de promouvoir le respect des normes internationales.
Le 12 novembre est célébré comme la Journée nationale de Mayotte, un moment symbolique pour les Comores qui maintiennent leur revendication sur cette île reconnue par la communauté internationale comme comorienne. La question de Mayotte met en lumière deux principes fondamentaux du droit international : l’intégrité territoriale et l’autodétermination des peuples2. Ces principes fournissent à chaque partie des arguments de poids : tandis que les Comoriens restent attachés à leur « île sœur », les habitants de Mayotte soutiennent leur intégration à la France, une position qui conforte celle-ci dans son emprise.
En 2011, la France a fait de Mayotte un département d’outre-mer, le 101e, un statut vivement contesté par l’Union des Comores, qui, conformément à sa constitution, considère Mayotte comme une île autonome de la nation comorienne. L’article 122 de la constitution des Comores stipule d’ailleurs que les institutions propres à Mayotte seront instaurées dès que prendra fin l’occupation de l’île.
L’année dernière, une opération visant à expulser les Comoriens originaires des trois autres îles de Mayotte par les autorités françaises(3) a ravivé les tensions entre la France et les Comores. Les autorités comoriennes ont refusé d’accueillir ces ressortissants, arguant qu’ils se trouvent chez eux sur l’île. Cela invite toutefois à s’interroger : quelles actions concrètes le gouvernement comorien entreprend-il pour réintégrer Mayotte au sein de l’Union ? Dispose-t-il des moyens nécessaires pour atteindre cet objectif, ou se contente-t-il d’invoquer le patriotisme pour des effets d’annonce ?
Il semblerait que la question de Mayotte ait été mise de côté aux Nations Unies, laissant planer des zones d’ombre. La diplomatie comorienne prétend avoir engagé des discussions bilatérales. Cependant la France aurait offert 150 millions d’euros aux autorités comoriennes4. Si cela est avéré, dans quel but cet argent a-t-il été octroyé et comment a-t-il été utilisé ? Une telle transaction soulèverait des doutes quant à la sincérité des autorités comoriennes dans leur revendication de l’île, une contradiction qui, si elle est fondée, s’apparenterait à une forme de trahison.
Il est par ailleurs regrettable de constater que, lors de la 79e Assemblée générale des Nations Unies, la question de Mayotte a été écartée du discours prononcé par Mbae Mohamed, ministre des Affaires étrangères. Malgré la présence de l’Union des Comores à cette session, le discours habituel en faveur de la souveraineté sur Mayotte était absent. Une omission qui invite à se demander : les Comores ont-elles renoncé à défendre la cause de Mayotte, ou ont-elles délibérément choisi de l’ignorer dans leurs déclarations publiques ?
Les Comores semblent avoir renoncé là où d’autres nations, comme l’île Maurice, ont su défendre leurs droits avec persévérance et compétence sur la scène internationale. Cette passivité révèle un manque d’expérience en matière de diplomatie, et rappelle que la maîtrise des langues étrangères ne suffit pas pour représenter efficacement un pays. Espérons que la question de Mayotte sera inscrite à l’ordre du jour des prochaines Assemblées générales des Nations Unies, afin que les Comores poursuivent leur combat pour la réintégration de cette île au sein de la nation. Mayotte est et restera une île comorienne, tel est le message que l’Union des Comores doit porter avec constance et fermeté.
NOTES DE LA RÉDACTION
1. De 1973 à 1994, l’ONU à travers le Conseil de Sécurité et l’Assemblée générale a mis en garde la France contre une tentative de morcellement du territoire des Comores, puis a défini les frontières des Comores (Maore, Mwali, Ndzuani, Ngazidja) et a réaffirmé chaque année l’intégrité du pays en appelant la France à reconnaitre cette intégrité. À partir du coup d’État de 1995, au cours duquel le gouvernement français a pris la décision d’exiler à la Réunion le président démocratiquement élu, Saïd Mohamed Djohar, aucun gouvernement comorien n’a osé maintenir la « question de l’île comorienne de Mayotte » à l’ordre du jour définitif de l’AG de l’ONU. Elle est constamment représentée à l’ordre du jour provisoire chaque année et chaque année le gouvernement comorien prétend qu’il y a des négociations bilatérales avec la France pour la retirer de l’ordre du jour définitif.
2. Sur les deux points de vue, l’ONU (Conseil de Sécurité et Assemblée générale) a tranché dès le début en faveur du principe de l’intangibilité des frontières issues de la colonisation (c’est sur la base de ce principe que l’ile Maurice a obtenu du Royaume-Uni le retour des Chagosses cette année) et a demandé à la France, à travers une vingtaine de résolutions de respecter l’intégrité territoriale des Comores.
3. En moyenne, la France expulse près de 20.000 Comoriens de Mayotte chaque année, autant que les reconduites à la frontière en France hexagonale. En 2018, l’État comorien a refusé pendant plusieurs mois le retour de ses ressortissants et a fait face à des mesures de rétorsion de la diplomatie française. La crise a été « définitivement résolue » par les Accords mixtes franco-comoriens en 2019. En avril 2023, l’Opération Wuambushu avait prévu d’expulser massivement des Comoriens de Mayotte, sans même leur laisser le temps de se défendre devant un juge, l’État comorien a refusé pendant quelques jours ces renvois. Après la « convocation » de plusieurs ministres comoriens et du Président Azali à l’Élysée, la crise a pris fin soudainement. Une opération Wuambushu 2 ou « Place nette » a de nouveau commencé en avril 2024, sans rencontrer d’opposition comorienne cette fois.
4. Dans les Accords mixtes franco-comoriens de 2019, signés entre Amine Souef et Jean-Yves Le Drian, en présence des présidents Azali et Macron, il était question d’une contrepartie de 15O millions d’euros contre une collaboration de l’État comorien pour empêcher les départs vers Mayotte et accepter les retours des Comoriens renvoyés de cette île. Cependant, cette somme n’est pas versée aux autorités comoriennes, elle est gérée par la diplomatie française aux Comores sur des actions concrètes et en faveur des populations. L’année dernière les autorités françaises avaient reconnu que moins de 15% de cette somme avait été débloquée.
Pour la rédaction, Mahmoud Ibrahime.