L’ex-secrétaire général de la Confédération des Travailleurs et Travailleuses comoriens (CTTC), Salim Soulaimana met en garde contre une privatisation de l’Aéroport international de Moroni Prince Saïd Ibrahim (AIMPSi) hors de tout cadre légal et en ne tenant pas compte des intérêts du personnel.
Propos recueillis par Hachim Mohamed
Masiwa – Salim Soulaimana, vous avez eu vent d’une privatisation de la gestion de l’aéroport international Moroni Prince Said Ibrahim. Qu’avez-vous appris ?
Salim Soulaimana – Tout d’abord, il y a lieu de faire un constat historique de la question des privatisations du patrimoine de l’état. Cela a commencé depuis les années 1990, période pendant laquelle la France a commencé à lâcher les gouvernements africains suite à la conférence de la Baule organisée par le président français, François Mitterrand. Les Comores n’ont pas échappé aux conséquences troublantes de cette période. Nous avons connu des sociétés d’État liquidées, certaines ont été privatisées d’une manière douteuse, des agents de l’État licenciés par milliers à travers un programme monté de toutes pièces par les institutions de Bretton Woods (le FMI et la Banque Mondiale) intitulé Programme d’Ajustement Structurel (PAS).
Le cas présent est hors norme, car personne n’est au courant de l’existence d’un tel programme même si nous nous opposons farouchement à un tel processus qui a échoué partout en Afrique, y compris aux Comores. Selon les informations à notre disposition, le gouvernement comorien a signé une convention avec une société émiratie, TAM, pour gérer l’Aéroport International Moroni Prince Said Ibrahim de Hahaya. Cela s’est fait à l’insu de toutes les institutions compétentes de la République et en violation de toutes les normes requises en la matière et notamment le code de passation des marchés publics.
Masiwa – Pourtant le bilan financier de cette société nationale est peu reluisant avec des pertes cumulées pour l’État et des promotions des travailleurs qui se font sur la base du népotisme… Quelles seront les conséquences de l’arrivée de cette entreprise privée sur la qualité des services et les emplois ?
Salim Soulaimana – Présentement, la question n’est pas d’ordre économique. Elle est juridique et administrative, car concéder une entreprise de l’État à une société tierce, cela suppose des préalables d’ordre juridique et administratif, ce qui n’est pas tout à fait le cas de la « convention signée pour l’ANPESI ».
En ce qui concerne la gestion des aéroports (ADC), elle n’échappe pas à la mauvaise gouvernance du pays qui est malheureusement devenue la règle. On peut ne pas être d’accord sur les dispositions légales existantes, toutefois il n’y en a pas d’autres. Nous avons l’obligation de nous référer à celles qui existent. Pire, nous constatons malheureusement que les autorités publiques ne font que les contourner afin de satisfaire à tort leurs promesses électoralistes partisanes. Conséquences logiques : recrutements clientélistes, laisser-faire et laisser-aller, une gestion qui n’obéit à aucune règle, la médiocrité est au-dessus de tous… Ce qui va à l’encontre des discours alambiqués des uns et des autres. Enfin de compte ce sont les travailleuses et les travailleurs qui vont payer un lourd tribut à cette mauvaise gouvernance, contrairement à ce qu’on leur a promis pendant les campagnes électorales. Les conséquences sont nombreuses et variées. Tout d’abord, le chômage va encore augmenter à une dimension exponentielle, la pauvreté va gagner plusieurs centaines des familles qui avaient déjà un revenu médiocre. Justement cette catégorie de chômeurs doit nous interpeler tous, car elle sera plus compliquée à résorber sachant que beaucoup de ces travailleurs ont déjà travaillé plusieurs années dans les aéroports, ils ont entre 5 et 35 ans d’ancienneté. 95% des travailleurs qui vont faire le frais ont des CDI (Contrats à Durée indéterminée) et les premières victimes seront nos cadres supérieurs qui occupent des fonctions que les étrangers, qui vont venir avec la nouvelle société, vont sans doute occuper. Il est également primordial et fondamental de regarder aussi la question de sécurité nationale.
Masiwa – Pourquoi faudrait-il émettre de réserves à cette privatisation de l’aéroport ?
Salim Soulaimana – Tout d’abord, il y a lieu de souligner que nous sommes opposés à une politique de privatisation qui a déjà échoué dans le passé. Cela est beaucoup plus préoccupant du fait que la privatisation de l’ANPSI n’a fait l’objet d’aucune discussion au parlement ni l’objet d’un appel d’offres comme le prévoit le code de passation des marchés publics ni d’une déclaration publique de nos gouvernants. C’est donc douteux. C’est pourquoi nous appelons le ministre en charge des Transports aériens à se prononcer rapidement sur la question.
Pour plus de transparence et de lisibilité, les autorités comoriennes compétentes doivent, à juste titre, rendre publics le contrat de concession et le cahier des charges, justement pour voir le sort réservé au personnel qui, à nos yeux, devient de plus en plus préoccupant. Au cas où c’est du gré à gré, il est temps de renoncer, car cela est préjudiciable au pays.
Masiwa – Souvent les autorités prises dans un certain laxisme ne tiennent pas compte des sonnettes d’alarme ?
Salim Soulaimana – Au cas où une entreprise de l’État est en situation financière lamentable, il existe aussi un moyen de la faire sortir de cet état. Dans un premier temps, il faut l’auditer pour mieux cerner les difficultés rencontrées comme c’est déjà le cas selon le rapport d’audit de la cour de compte qui épingle la gestion de l’ANPSI. Il faut revenir à une gestion rationnelle de la boite en privilégiant aussi le dialogue social, lequel en pareille situation est primordial. Car il faudra de toute manière revoir les effectifs de l’entreprise en suivant les dispositions légales comoriennes, notamment le Code du travail et les arrêtés d’application. Je ne pense pas que c’est du laxisme, il me semble qu’il s’agit tout simplement de la naïveté et de la médiocrité des responsables.
Masiwa – Que pensez-vous d’une commission d’enquête parlementaire pour lever le voile sur cette affaire ?
Salim Soulaimana – Pour l’intérêt supérieur de la nation, il est nécessaire qu’une enquête parlementaire soit conduite afin de faire la lumière sur cette affaire. Il faut expliquer aux Comoriens comment on est arrivé à cette situation.
Masiwa – Vous dites que le DG de la société d’État, qui gère ce dossier, avait été déjà épinglé par la Cour Suprême sur sa mauvaise gouvernance dans le secteur aéroportuaire ?
Salim Soulaimana – Si c’est le mystère qui entoure ce dossier, le DG est chargé de faire le sale boulot tout en sachant qu’il peut aussi négocier son sort.