Cinq mois après avoir signé 44 décrets de nomination le 25 février dernier, le chef de l’État comorien, Azali Assoumani, a de nouveau signé 16 décrets le 19 juillet. Pourtant, d’élection en élection, personne ne peut dire où il mène le pays avec ces nominations.
Par MiB
S’il y a deux domaines dans lesquels Azali Assoumani excelle, ce sont les voyages et les signatures de décrets. Encore une fois à la veille de quitter le pays (il doit aller participer au sommet de l’Union africaine), il a signé de nombreux décrets qui confirment certains à leurs postes ou qui tiennent compte des récentes adhésions à son régime.
Confirmation de l’appareil judiciaire de répression de l’opposition
Les premiers décrets (du n°84 au 88) confirment l’appareil judiciaire de répression de l’opposition. Ce sont cinq juges parmi les plus emblématiques de la politique de répression du régime qui sont reconduits à leurs postes pour une année supplémentaire : Omar Ben Ali, président de la Cour de Sûreté de l’État, Ali Mohamed Djounaïd, Commissaire du gouvernement près de la Cour de Sûreté de l’État, Mohamed Abdallah, le substitut du Commissaire du Gouvernement, ainsi que les deux juges d’Instruction auprès de la même Cour de Sûreté : Noura Oussène et Aliamane Ali Abdallah. Nous rappelons que plusieurs juristes en dehors du cercle azaliste ont montré que cette Cour n’existe plus dans l’organisation juridictionnelle du pays, et que notamment le poste de Commissaire du gouvernement a été clairement supprimé.
Les cinq magistrats qui symbolisent cet instrument de répression ont été nommés le 8 juillet 2021. Leurs mandats ont été renouvelés en octobre 2022 pour une année. Cette équipe de magistrats est à l’origine des arrestations, des jugements, des emprisonnements et même de relaxes discrètes hors du cadre judiciaire, selon le bon vouloir d’Azali Assoumani. Ils ont à leur actif plusieurs emprisonnements après des semblants de procès qui n’ont respecté aucune procédure, en particulier ceux d’Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, l’ancien président de l’Union et Abdou Salami Abdou, l’ancien Gouverneur d’Anjouan.
Le retour au pouvoir de personnalités de la CRC
Azali Assoumani a également concrétisé sa volonté de garder Houmed Msaidié à ses côtés en le nommant « Conseiller spécial du Président de l’Union chargé des Affaires politiques ». L’ancien porte-parole du gouvernement a accepté ce poste en somme symbolique dans la mesure où le chef de l’État semble s’enfermer de plus en plus dans un cercle purement familial dans ses prises de décisions.
Deux décrets consacrent le retour de deux personnalités anjouanaises du parti présidentiel aux affaires. Il s’agit d’Abou Achirafi Ali Bacar, l’ancien Directeur général de la Sûreté nationale. Il était, à ce titre, au centre de la vente des passeports comoriens, vente qui a conduit l’ancien président Mohamed Sambi en prison. Pourtant Abou Achirafi, mis en cause dans ce dossier et même en garde à vue un moment, a pu bénéficier par la suite de l’immunité parlementaire en tant que député CRC. Il a ensuite été mis à l’ombre jusqu’au procès Mohamed Sambi pendant lequel les magistrats de la Cour de Sûreté l’ont volontairement oublié. Il est resté en arrière-plan jusqu’à maintenant. En le nommant Secrétaire général de la Présidence, le chef de l’État espère que les gens ne se souviennent plus l’implication directe de cet homme dans le trafic des passeports comoriens.
L’autre cadre de la CRC revenant est l’ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, Mahamoud Salim Hafi, nommé Secrétaire général adjoint du gouvernement. C’est un peu léger pour un ancien ministre qui se retrouve sous les ordres du fils du chef de l’État et qui va devoir se contenter de rédiger pour lui les comptes rendus des conseils des ministres. Malgré ces inconvénients, l’ancien partisan du séparatiste Mohamed Bacar n’est sans doute pas mécontent de revenir dans la politique, après avoir traversé le désert depuis son licenciement de l’ORTC en septembre 2021. Pour revenir, il a dû mouiller sa chemise lors de la dernière mascarade d’élections présidentielles. À Anjouan, et particulièrement à Mutsamudu, ville dont il est originaire, les irrégularités ont été nombreuses menées par l’armée, les membres de la CENI sur place et les partisans d’Azali Assoumani. Mahamoud Salim, c’est aussi un homme arrogant et méprisant, celui qui a dit dans un discours place Badjanani (Moroni) que le plus idiot des Moroniens est un grand intellectuel dans un village éloigné de la capitale.
Les chaises musicales
Parmi les personnalités nommées dans les organismes ou les sociétés d’État, il y a Najda Saïd Abdallah dont on a pu s’étonner, vu sa proximité au sein du parti présidentiel et dans les campagnes électorales avec le fils du Chef de l’État, Nour el Fath Azali, de ne pas la retrouver dans le « gouvernement des jeunes » dont plusieurs membres ont été désignés par ce dernier. Najda Saïd Abdallah quitte donc le secrétariat général du ministère de l’Énergie, de l’Eau et des Hydrocarbures pour prendre la place d’un proche d’Azali Assoumani, Fouad Goulame en tant que Commissaire générale au plan. C’est une institution centrale dans la mise en place de l’action de l’État en faveur du développement et notamment du fameux « plan émergence » que le clan Azali fait miroiter aux Comoriens depuis de nombreuses années. Pourtant, personne ne peut vraiment dire en quoi Fouad Goulame a fait avancer le développement du pays. Najda Saïd Abdallah pourra-t-elle faire plus ? Il faut l’espérer, mais quiconque connait un peu cette femme compétente sait que son ambition première est de diriger la SONELEC dont elle a été pendant longtemps la comptable et pour laquelle elle a des idées. Le Commissariat au Plan est donc une compensation pour la numéro 4 du parti CRC.
Parmi les cadres qui quittent leurs fonctions sans avoir d’autres attributions, il y a Chamsoudini Mzaouiyani, le désormais ancien directeur de l’Agence nationale de Développement du Numérique (ANADEN). Le fils du grand notable Mzaouiyani, disparu récemment, paie sans doute les mauvaises relations entre Mbeni (la ville dont il est originaire par sa mère) et le chef de l’État ou encore sa discrétion pendant les élections présidentielles. Il n’a, par ailleurs, jamais pris la carte de la CRC, ce qui renforce l’étonnement quant à sa longévité à ce poste.
On peut enfin noter que la douane à un nouveau directeur en la personne d’Ahmed Houmadi, de même pour l’Office national d’Importation et commercialisation du Riz (ONICOR) dont le poste a été laissé vacant par Aboudou Miroidi devenu ministre. Celui qui va tenter de relever la société après les catastrophes d’Aboudou Miroidi s’appelle Moussa Hamada.
Comme en février, ces nombreuses nominations donnent l’impression que le chef de l’État a voulu affermir son appareil judiciaire de répression de l’opposition, faire les remplacements nécessaires après les nominations des ministres, récompenser des proches ou des militants de son parti plus que lancer enfin le pays sur les rails du développement.