Le 16 janvier dernier, Saïd Idrissa, président de la CENI a rendu public des chiffres des élections du 14 janvier pleins d’incohérences, mais, pour lui l’élection et la compilation des résultats se sont bien déroulées.
Propos recueillis par MiB
[Cette interview a été réalisée par écrit, mais Saïd Idrissa n’a pas accepté la seconde phase, la réaction de l’interviewer à ses réponses comme cela peut se faire dans une interview face à face. Aussi avons-nous transformé nos questions en commentaires]
Masiwa – En tant que président de la CENI, pensez-vous que des irrégularités ont été commises au sein de cette commission ou qu’au contraire tout a été fait d’une manière démocratique et transparente, dans le respect du code électoral ?
Saïd Idrissa – Six candidats à l’élection du Président de l’Union et 26 aux élections des Gouverneurs ont sollicité le suffrage des électeurs comoriens le 14 janvier. Vous conviendrez que ces élections se sont déroulées dans un climat apaisé.
Avant de prendre fonction, les membres de la CENI prêtent serment conformément au Code électoral. Je ne pense pas que ce serment ait été rompu.
Le président de la CENI ne répond pas à la question : des irrégularités ont-elles été commises au sein de la CENI ?
Masiwa – Un membre de la CENI affirme que des fraudes ont été planifiées par le pouvoir en place et exécutées par le bureau de la CENI, est-ce qu’il ment ?
SI – Il faut lui poser la question. Car je n’ai pas eu connaissance de ce plan. Je réaffirme l’indépendance de la CENI par rapport à tous les pouvoirs. Si ce membre a connaissance de ces fraudes, il doit saisir la justice ou mieux vous fournir les preuves de ses allégations. C’est inadmissible de porter des accusations gratuites. Je l’encourage à porter plainte.
Masiwa – Pourquoi avoir choisi d’écarter les trois membres représentant l’opposition du Bureau de la CENI ? Est-ce le meilleur moyen d’être transparent ?
SI – Il faut se référer à l’article 65, les membres du Bureau sont élus par les Commissaires. Le jour de l’élection du bureau, il y avait 12 membres présents. En outre, la CENI est un organisme indépendant de toute influence. Parler de membres représentant l’opposition, c’est vouloir inféoder la CENI aux partis politiques.
Le Président de la CENI semble ignorer que le Code électoral prévoit que l’Assemblée de l’Union désigne des membres de la « majorité » et de l’« opposition » et que c’est ce qui a été fait avec le décret 23-050 qui le précise bien. De même le chef de l’État a nommé clairement un « représentant » de Mouigni Baraka après une entrevue avec lui. Le choix fait par le président de la CENI de n’avoir dans son Bureau que des représentants du pouvoir politique visait bien à cacher aux autres candidats des pratiques honteuses (comme la manière dont les marchés ont été attribués) et n’a pas contribué à la transparence au sein de la CENI.
Masiwa – Est-ce que la confection, la commande, le choix de l’imprimeur… toutes les opérations autour des bulletins de vote n’auraient pas dû se faire en toute transparence avec tous les membres de la CENI ? Est-ce que vous pouvez nous dire quel imprimeur a reçu le marché de l’impression des bulletins ? Y a-t-il eu un appel d’offres ou le marché a été donné à un ami ?
SI – La CENI pour assurer ses activités a fait appel à beaucoup de fournisseurs. Pour ce marché précis, un appel d’offres restreint aux fournisseurs qui ont fait leurs preuves avec la CENI depuis 2016 a été lancé. Un comité a examiné les offres et a attribué au candidat ayant présenté la meilleure offre.
Le président de la CENI ment. Deux imprimeurs interrogés par des collaborateurs de Masiwa, dont Rooshdy et un autre qui a déjà travaillé avec la CENI nous ont appris qu’ils attendaient l’appel d’offres pour se porter candidats et qu’ils n’ont jamais vu l’appel d’offres. D’autre part, nous avons consulté les numéros du journal gouvernemental, Alwatwan d’octobre à début novembre 2023 et nous n’avons vu aucun appel d’offres de la CENI. Saïd Idrissa évite soigneusement de donner le nom de l’Imprimeur désigné, alors que cela devrait être une information publique.
Masiwa – Comment des bulletins de vote avec le nom d’Azali Assoumani ont pu se retrouver dans certains bureaux ou à côté (notamment ceux saisis par le candidat Mohamed Daoudou dans le Nyumakele) ? Qui avait accès aux modèles et aux bulletins de vote à part vous et la personne chargée de la Logistique ?
SI – Je suis surpris par votre question. Les bulletins de vote sont uniques et portent tous les candidats. Donc, il ne pouvait pas avoir un bulletin avec uniquement le nom d’Azali. Par ailleurs, pour permettre à chaque candidat de pouvoir sensibiliser ses potentiels électeurs, chaque candidat a reçu 10% de bulletins spécimens pour la démonstration.
Dans notre question il manquait le mot « coché » après « Azali Assoumani », Saïd Idrissa fait donc semblant de ne pas être au courant au sujet de ces bulletins découverts dans le Mboinkou (Ngazidja) le 13 janvier et dans le Nymakele (Anjouan). Or ces bulletins étaient censés être sécurisés par le bureau de la CENI et particulièrement Idrissa Saïd et Yasmine Hassane Alfeine. Au lieu de répondre à la question, Saïd Idrissa tente ici une diversion en parlant des quelques spécimens (sur lesquels est écrit « Spécimen ») donnés aux candidats. Alors que nous parlons de vrais bulletins.
Masiwa – Est-ce qu’en tant que président de la CENI, vous avez pu fournir à des militants de la mouvance présidentielle, dont vous êtes issue, ces bulletins ?
SI – Je ne suis pas de la mouvance. J’ai été nommé à la CENI par le Président de l’Union, comme mon collègue Me Gerard Youssouf et d’autres. Cela ne fait pas de nous, des membres de la Mouvance. Je n’ai pas distribué des bulletins à qui que ce soit.
Saïd Idrissa est bien proche de la mouvance présidentielle et particulièrement de deux ministres du gouvernement Azali, avec lesquels il s’est entretenu quelque temps au Palais du Peuple avant de lire les résultats provisoires le 16 janvier.
Masiwa – Qu’est-ce qui peut expliquer qu’à deux jours du scrutin vous avez décidé, à Anjouan comme à Mwali, de remplacer les membres des bureaux de vote, sélectionnés et formés pour imposer d’autres qui n’avaient parfois pas reçu la formation nécessaire ? Trouvez-vous normal que dans certains bureaux dans ces îles vous n’ayez placé que des partisans de la Mouvance présidentielle ?
SI – La proposition des membres des bureaux de vote est une compétence des CECI (Commission Électorale Communale Indépendante) (article 81) et la nomination une décision du Président de la CENI (article 219).
Si le Code électoral prévoit dans ses articles 224 et 225, le recours à la liste d’attente pour remplacer les membres des bureaux de vote, c’est pour pallier aux absences récurrentes. C’est aussi pourquoi le nombre de personnes formées est toujours supérieur aux postes disponibles.
Il y a 868 bureaux de vote. Dans aucun bureau, je n’ai demandé aux CECI de m’envoyer une liste de partisans.
Saïd Idrissa comprend très bien qu’on ne parle pas de cas de gens qui auraient été absents et qui sont remplacés par leurs suppléants. Il nous laisse comprendre que la loi lui permet de nommer seul tous les membres des bureaux, quand il veut, sans les former et sans en référer aux autres membres de la CENI. Nous avons vu les conséquence dans les bureaux de vote dans lesquels il n’a nommé que des partisans de la mouvance présidentielle.
Masiwa – Vous avez été informé du fait que le ministre de l’Intérieur, Fakri Mradabi a procédé à l’expulsion d’un assesseur de l’opposition d’un Bureau de Moroni, vous avez aussi appris que le colonel Naoufal (proche du candidat Azali Assoumani) a expulsé plusieurs mandataires des autres candidats des bureaux du Hamanvou. Qu’avez-vous fait ?
SI – Contrairement à votre affirmation, je n’ai pas été informé de quoi que ce soit. Je vous mets au défi de prouver le contraire.
C’est dommage que le président de la CENI ne soit pas informé de faits aussi graves et dont les citoyens étaient au courant le jour même, et qu’il ne ressente pas le besoin de mener des enquêtes et de porter plainte alors que le Code électoral le lui autorise.
Masiwa – N’avez-vous pas été choqué de voir les vidéos prises dans certains bureaux de vote où tous les membres sont complices pour bourrer les urnes ? N’est-ce pas la conséquence des changements des membres des bureaux au dernier moment ?
SI – Si j’ai été choqué de voir des citoyens enfreindre la loi. J’ai été sidéré de constater à quel point certains ignorent le Code électoral. Parce que tout bourrage d’urne équivaut à son annulation.
Le remplacement de membre de bureau de vote est permis par la loi (articles 224 et 225). Il ne faut pas généraliser des cas isolés et remettre en question la probité de milliers de citoyens qui participent à l’expression du suffrage universel.
C’est plutôt la probité du Président du CENI, qui avec la complicité du gouvernement, a changé la composition des bureaux, qui est mise en cause. Pourquoi la CENI ne mène pas une enquête pour retrouver les membres des bureaux de vote qui ont bourré les urnes, au moins ceux qui ont été filmés ? Parce que c’est lui-même qui les a nommés à deux jours des élections pour remplacer ceux qui avaient été formés. Et il sait qu’ils sont comme lui dans la mouvance présidentielle.
Masiwa – Comment expliquez-vous le chiffre de 16% de participation que vous avez annoncé au Palais du Peuple, alors que deux jours auparavant vous parliez de près de 60% et que finalement la Cour Suprême donne 56% ? Est-ce que la CENI n’a pas reçu les mêmes PV que la Cour Suprême, comme le veut le Code électoral.
SI – Conformément à l’article 268, cinq organes reçoivent les mêmes extraits de PV : la CECI, la CEII, la CENI, le ministère en charge des élections et la Cour Suprême. Les états-majors peuvent obtenir des extraits de PV via leurs mandataires dans les bureaux de vote. Chacun de ses organes effectue sa propre tabulation.
Mais, l’article 272 du Code électoral dispose que « Pour le comptage du vote, la CENI se base sur les documents sécurisés en enveloppe inviolable destinée à elle. »
Par conséquent la CENI a dépouillé ses propres enveloppes. Sachant que parmi ses enveloppes, certaines ont été mal cochées. C’est-à-dire que la CENI s’est retrouvée avec des enveloppes destinées à d’autres institutions.
Autre élément à prendre en considération, il y a des urnes qui ont atterri directement à l’entrepôt, le cas de quelques bureaux de vote de Boinkou et de 3 autres de Ntsoudjini.
Je précise que la CENI ne dispose d’aucun moyen légal de les récupérer pour les comptabiliser. Seule la Cour suprême a ce pouvoir.
Quand on parle de procès-verbaux inexploitables, il faut comprendre qu’ils sont mal remplis ou font l’objet d’une mise en quarantaine, conformément à l’article 259, s’agissant de procès-verbaux confus.
Pour que la CENI comptabilise un bureau, il est indispensable que le PV du bureau soit correctement rempli.
Les PV correctement remplis ont donné ces résultats de 16% de taux de participation.
Si l’on comprend bien Idrissa Saïd c’est à cause des PV mal remplis que la CENI a prétendu qu’il n’y avait qu’à peu près 55.000 votants (16%) aux présidentielles alors que la Cour suprême en a trouvés plus de 190.000 (56%), soit près de 150.000 votants éliminés par la CENI et cela uniquement pour les présidentielles, parce que pour l’élection des Gouverneurs, il a retrouvé les électeurs, les PV étaient bien remplis. Il faut croire que dans les bureaux, les membres qu’il a choisis de nommer au dernier moment, sans formation, qui ne remplissaient souvent pas les conditions exigés par la loi, faisaient exprès de mal remplir les PV des présidentielles et de bien remplir ceux concernant les gouverneurs.
Masiwa – Est-ce que le lundi 15 janvier, vous avez fait travailler dans deux salles différentes, interdites à la plupart des membres de la CENI, plusieurs personnes que vous avez embauchées à l’insu de l’assemblée générale de la CENI et sous la supervision de Monaward Ahmed Mshangama ?
SI – Le recrutement du personnel d’appui de la CENI ne passe pas par l’Assemblée générale. L’article 50 dispose que « Tout le personnel exerçant dans les structures électorales relève du président de la CENI ». Ce personnel complémentaire n’avait rien de spécial. Avec les autres, ils saisissaient les résultats transmis par l’équipe de dépouillement. Il n’y a pas de mystère.
Là aussi, en très peu de temps, Saïd Idrissa n’a pas eu besoin de l’aide des autres membres de la CENI pour embaucher d’une manière obscure une cinquantaine de personnes pour faire la compilation des résultats. D’où sont venus ces gens ?
Masiwa – Est-ce que ce Monaward Ahmed Mshangama n’avait pas été exclu de la CENI par une décision de l’assemblée générale pour éthylisme ? Comment et par qui a-t-il été réintégré sans que la même assemblée ne soit informée ?
SI – Le commissaire Mounaward a été suspendu et réintégré après avoir envoyé une lettre d’excuse en date du 9 janvier 2024.
Apparemment, Idrissa Saïd ignore que l’assemblée générale qui a suspendu Monaward Mshangama devait aussi être saisie pour le réintégrer. Il n’y a que certains membres du Bureau qui étaient au courant que le président de la CENI avait pris lui-même la décision de le réintégrer, et selon nos informations, après l’exigence d’une autorité gouvernementale. Nous rappelons que c’est par un communiqué du 2 janvier, que la CENI a appris aux médias que Monaward Mshangama a été suspendu par l’Assemblée générale de la CENI. Pour sa réintégration par Idrissa Said, il n’y a eu aucun communiqué. Tout s’est fait dans la discrétion. Masiwa a essayé de joindre Monaward Mshangama par wahatsapp, en vain.
Masiwa – Est-ce que dans la proclamation des résultats que vous avez faite au Palais du Peuple, vous avez tenu compte des bureaux d’Anjouan ?
SI – Les urnes d’Anjouan et de Mwali sont arrivées au Palais le mardi matin. Les PV exploitables ont été pris en compte bien évidemment comme pour les autres iles.
Masiwa – Combien de temps aviez-vous avant de proclamer les résultats ? Est-ce que la loi ne prévoit pas une présentation des résultats à tous les membres de la CENI dans une AG avant la proclamation ? L’avez-vous organisée ? Existe-t-il un PV de validation des résultats par la CENI ?
SI – L’AG de validation a eu lieu dans un bureau de l’Assemblée en présence de 11 commissaires sur 13. Un des commissaires, absent, était à Mwali et l’autre malade. Les 11 commissaires ont participé à la proclamation des résultats.
Effectivement le commissaire Kader a été laissé à Mwali alors qu’il était prévu dans l’avion qui amenait les urnes. Mais, les membres de la CENI que nous avons interrogés nous disent qu’aucun commissaire n’était malade, le 16 janvier. Nous en avons conclu qu’encore une fois Idrissa Saïd ment.
Idrissa Saïd ment aussi sur la question de l’assemblée générale qui devait valider les résultats provisoires avant qu’ils ne soient rendus publics. Plusieurs commissaires de la CENI sont catégoriques : l’AG de validation des résultats provisoires n’a jamais été réunie comme l’exige la loi électorale. Saïd Idrissa, lui-même, ainsi que la Chargée de la Logistique, Yasmine Hassane Alfeine, n’ont pas été capables de nous dire à quelle heure et où cette AG a eu lieu. Idrissa Saïd a prétendu ne pas avoir les documents chez lui et qu’il nous fournirait le PV envoyé à la Cour Suprême et les documents de travail distribués aux commissaires ce jour-là, nous avons attendu ces documents toute la journée de lundi, en vain.
Masiwa – En vous basant sur le fait que vous avez une maîtrise de droit, vous disiez avant les élections que vous alliez organiser des élections exemplaires, démocratiques et transparentes, honnêtement, pensez-vous avoir atteint cet objectif ?
SI – La CENI a organisé des élections libres, indépendantes dans le respect de la loi. Les 120 observateurs internationaux provenant de 5 pays et 8 organismes internationaux et régionaux et les 285 observateurs nationaux ont communiqué sur le déroulement des élections du 14 janvier 2024.
Pourtant, chacun a pu lire les communiqués de l’Union européenne, de l’Afrique du Sud et des États-Unis. Saïd Idrissa ne dit pas non plus qu’il a organisé des élections « exemplaires », ni « démocratiques », ni « transparentes ».