Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko sont les deux hommes forts du Sénégal depuis l’élection du premier en tant que Président le 24 mars 2024 et la désignation du second comme Premier ministre. Les deux hommes réussiront-ils à conserver les convictions qui les ont portés au pouvoir ?
Par HOUDAIDJY SAID ALI, Juriste publiciste et internationaliste, Moroni – Comores
En tant que chef d’État, le président de la République du Sénégal, Diomaye Faye, est appelé à incarner un comportement exemplaire sur la scène nationale et internationale. Cette fonction exige de lui une rigueur sans faille dans le respect des institutions et des lois, et une adhésion profonde aux principes qui fondent la République. Être à la tête d’un État ne se limite pas à la simple mise en œuvre d’une vision personnelle. Il s’agit également d’intégrer une réalité plus vaste, souvent éloignée des perceptions initiales.
À travers l’exercice du pouvoir, le président est amené à découvrir et maîtriser les rouages complexes du système administratif et politique. Les crises auxquelles il fera face seront autant d’enseignements qui lui révéleront la véritable nature du pouvoir et l’ampleur des responsabilités qui lui incombent. Progressivement, il adoptera une réflexion propre à celle d’un chef d’État, où l’équilibre entre les relations internationales et les intérêts nationaux devient primordial.
Il comprendra alors l’importance stratégique des coopérations bilatérales et multilatérales, ainsi que la nécessité de cultiver des relations avec les principales puissances mondiales, qu’il s’agisse des États-Unis, de la Russie, de la Chine ou de la France. De plus, il saisira le rôle central des grandes institutions internationales telles que l’ONU, le FMI et la Banque mondiale dans la gouvernance mondiale. Cette nouvelle perspective, enrichie par l’exercice du pouvoir, diffère fondamentalement des responsabilités antérieures et explique pourquoi de nombreux chefs d’État choisissent de suivre une ligne politique ferme et directionnelle, guidée par la complexité des enjeux internationaux.
Être Premier ministre au Sénégal, un vrai défi
Le poste de Premier ministre, bien qu’il semble prestigieux, comporte de nombreux risques. C’est une position souvent incertaine, soumise aux aléas politiques. La stabilité n’est jamais garantie. Ousmane Sonko, dans son ascension politique, doit naviguer avec une extrême prudence, car il se trouve dans ce que l’on appelle « l’antichambre du pouvoir », un espace où les décisions et les actions peuvent à tout moment bouleverser les équilibres établis. Les rouages de la politique peuvent non seulement influencer la ligne de conduite du gouvernement, mais également contraindre le chef de l’État à adopter des mesures qu’il n’avait pas envisagées initialement.
À titre d’exemple, la dissolution récente de l’Assemblée nationale par le président Bachirou Diomaye Faye démontre cette réalité. Cette décision visait à permettre au président de travailler avec une législature plus favorable, mettant ainsi en lumière les tensions politiques qui persistent depuis la crise de 2021, marquée par les affrontements entre Macky Sall et Ousmane Sonko. Ce climat d’instabilité exige une vigilance constante, car le Premier ministre pourrait être écarté du jour au lendemain, malgré le soutien de son allié de longue date, le président lui-même.
Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, la politique n’est pas un jeu d’enfant. Les alliances, même solides, sont souvent fragiles face aux réalités du pouvoir. Si Ousmane Sonko et son équipe s’efforcent de maintenir cette solidarité, ils devront néanmoins éviter les écueils du passé. Ils risquent de reproduire les erreurs qu’ils reprochaient à Macky Sall, notamment en modifiant les textes législatifs pour servir leurs propres intérêts. La dissolution de l’Assemblée, à quelques mois seulement de la prise de fonction du président Faye, illustre bien les défis à venir.
Il est évident qu’avoir de bonnes idées et la volonté de conduire son pays vers un avenir meilleur ne suffisent pas. La politique est une arène de rebondissements imprévisibles. Ousmane Sonko doit donc faire preuve de prudence et espérer que son parti remportera les élections législatives, faute de quoi la crise politique pourrait s’aggraver. L’ombre de Macky Sall plane encore sur le paysage politique sénégalais, et Sonko, bien qu’il occupe désormais la fonction de Premier ministre, doit se rappeler qu’il n’est pas le président. Son rôle exige humilité et discernement. Il devra œuvrer, aux côtés de son camarade, pour conduire le pays dans la direction qu’ils ont promise, sans jamais perdre de vue les défis colossaux qui les attendent.
Bachirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko à la croisée des chemins
Il ne faut pas oublier ce qui s’est passé au Burkina Faso à l’époque de Thomas Sankara ni dans les autres nations souvent contraintes de dévier de leur objectif initial et de se perdre en chemin. Nombreuses sont les personnes prêtes à renverser un chef d’État pour s’emparer du pouvoir, et comme on le dit souvent, « le pouvoir corrompt ». La question se pose alors : le président de la République et le Premier ministre sénégalais sauront-ils rester soudés et tenir leurs promesses de campagne ? Bien qu’ils partagent une vision commune, il demeure évident qu’ils sont deux individus distincts, et que le succès de l’un dépendra de celui de l’autre. Chacun peut estimer avoir davantage contribué au succès commun, ce qui pourrait engendrer des tensions. Il est aussi crucial de rappeler le rôle d’Ousmane Sonko qui a offert sa confiance à Bachirou Diomaye Faye pour le représenter et mener le parti à la présidence, tout comme il convient de souligner les efforts inlassables de Faye pour le parti et pour Sonko. Chacun possède sa propre manière de faire, et c’est cette divergence qui pourrait constituer une force comme un obstacle.
Le président, par sa fonction, sera amené à répondre aux sollicitations et aux appels de la communauté internationale. En temps de crise, il devra adopter une attitude claire, dénoncer certaines actions, et s’opposer aux coups d’État militaires, conformément aux textes constitutionnels. Dans un monde ancré dans des idéologies opposées et toujours divisé en deux blocs, la prudence est de mise. Le président du Sénégal devra faire un choix : s’alignera-t-il du côté des puissances occidentales ou de celles qui prônent la résistance ? La neutralité, dans ce contexte, est souvent perçue comme une forme d’hypocrisie. Il n’y a plus de place pour l’inaction : il devra prendre position, que ce soit du côté russe ou ukrainien, israélien ou palestinien, AES ou CEDEAO. Pourtant, cette prise de position sera inévitablement influencée par les responsabilités qui lui incombent. Il y a, d’une part, les convictions profondes que l’on peut avoir, et, d’autre part, le poids des responsabilités et les pressions auxquelles elles peuvent exposer.
L’État sénégalais est ainsi confronté à une véritable dichotomie : le panafricanisme et une mondialisation qui ne prend pas en compte la réalité africaine. Les principes de bonne gouvernance, tels que définis selon des critères occidentaux, ne tiennent pas compte des spécificités du continent africain. De nombreux États africains, en menant des politiques souverainistes et internes, sont perçus comme des régimes autoritaires bafouant les libertés fondamentales. Ainsi, le duo Bachirou-Sonko pourrait se heurter à une divergence fondamentale : Ousmane Sonko semble privilégier une politique intérieure sans rendre de comptes à l’extérieur ni aux instances internationales, tandis que Bachirou, en tant que chef de l’État, devra s’inscrire dans une tradition et une structure qui l’obligeront à des compromis et à un certain alignement international.
Il est donc primordial de reconnaître ces défis et de trouver un équilibre entre les idéaux panafricains et les réalités imposées par la scène internationale, afin de bâtir une gouvernance qui soit à la fois fidèle aux aspirations nationales et compatible avec le cadre global.
Il convient de retenir que le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, affirme clairement qu’il ne permettra à quiconque de déstabiliser l’AES au Sénégal.
Cependant, le président de la République du Sénégal, contraint par les responsabilités inhérentes à sa fonction, a demandé à la CEDEAO de revoir ses sanctions, tout en tentant de concilier les deux blocs. Cette démarche confère tout son sens aux propos développés dans cet article, en illustrant la réflexion menée sur la complexité de la tâche à accomplir.