Pour s’en tenir à la situation actuelle des Comores, quatre faits sont incontestables et d’une grande portée pour l’avenir. Ils sont des signaux d’alarme. D’abord, l’absence d’investissements dans un pays qui se veut « émergent » d’ici 2030.
Par IBRAHIM Mahafidh Eddine
Si l’on juge un arbre à ses fruits tout d’abord, l’attractivité du territoire comorien est quasi nulle. Et ce n’est pas un hasard si personne ne vient investir aux Comores. Le pays est en position zéro en termes d’accueil d’investissements étrangers. On a entendu récemment l’actuel grand mufti dire qu’ « il suffit que les Comoriens se mettent tous derrière Azali pour que l’Arabie Saoudite vienne faire des Comores un eldorado ». On peut toujours attendre.
Pénurie de riz
Le pays a encore du mal après 47 ans d’indépendance à assurer la régularité de l’électricité, pire encore, du riz, l’une des denrées alimentaires les plus consommées dans l’archipel, importé et vendu par une société d’État avec monopole. Je ne reviens pas sur la pénurie du riz qui a paralysé le pays et désespéré le peuple ces derniers temps et qui n’a pas encore dit son dernier mot visiblement. J’ai lu récemment un papier du quotidien français Le Monde qui prévoit une pénurie de riz en France au début de l’année prochaine. D’ores et déjà les autorités tirent la sonnette d’alarme et invitent le syndicat de la rizerie française à réagir en conséquence. Dans d’autres cieux, on attend le jour de la pénurie pour l’annoncer. Nombreux sont ceux qui se demandent s’il y a encore lieu de continuer ce monopole au bénéfice d’un état défaillant, dans tous les sens du terme. Le redressement des sociétés d’État ne relève pas davantage de la fatalité. Il est une affaire de sens, de courage et de volonté. Ce n’est point à un incident de gouverner la politique, mais à la politique à gouverner les incidents, soulignait Napoléon.
Une armée dangereuse
Ensuite, il y a l’insécurité, cette peur généralisée dans le pays. Elle est souvent provoquée par des délinquants, mais aussi du fait de l’armée dite « armée nationale de développement » (AND). Pouvons-nous imaginer que rien ne soit tenté pour apaiser pareille crainte ? Il est difficile d’avoir des chiffres sérieux sur la situation de l’insécurité au pays. On peut comprendre qu’un délinquant commet des actes délictueux, voire criminels, mais pas l’armée nationale. Les faits sont là et parlent d’eux-mêmes. L’armée tue à balles réelles, terrorise et saccage les biens des populations. La liste est longue, citons les actes de barbarie causés par l’armée à la médina de Mutsamudu, à Ndzaouze, à Ikoni, à Bahani et dernièrement à Mbeni. Malheureusement, l’armée privilégie la violence à la médiation. Cette armée est tout ce qu’on veut sauf une armée de « développement ». Elle est dangereuse et l’on comprend très bien ceux qui ont la rage au cœur, et ils sont nombreux, et ils ont de bonnes raisons d’appeler à sa suppression, purement et simplement.
L’exclusion d’une diaspora dynamique
Il y a aussi cette volonté de la part du gouvernement dictatorial d’exclure par des textes législatifs la diaspora de la gestion des affaires du pays. Le gouvernement d’Azali vient d’adopter en Conseil des ministres un projet de loi qui exclut les binationaux de la course aux élections présidentielles. Ce texte est déjà soumis à l’Assemblée nationale et il sera, sans surprise, adopté par une Assemblée acquise à Azali. L’actuelle Assemblée nationale n’est plus digne de ce nom, parce que si jadis elle était le lieu du débat contradictoire, elle est aujourd’hui réduite à une chambre d’enregistrement. Nous ne pouvons que le regretter. Parce que c’est dans les contradictions du présent qu’il faut chercher les clés de l’avenir. On ne peut pas exclure ceux qui font aujourd’hui la fierté des Comoriens en portant haut les couleurs du pays, notamment dans des compétions sportives internationales, telle que le football. J’appelle les « députés » d’Azali à respecter la dignité de la diaspora en refusant ce projet de loi qui est visiblement dangereux politiquement et malvenu socialement. Le pays a besoin d’être réconcilié, tous les Comoriens, de l’intérieur et de l’extérieur.
La complicité de la notabilité
Enfin, ces « notables » de Ngazidja qui font la pluie et beau temps dans le pays. Ils se substituent à la justice et se mêlent visiblement de tout et de ce qui ne les concerne pas. C’est une situation qui arrange le gouvernement dictatorial. C’est dans l’intérêt du régime qu’aucune enquête de justice ne soit ouverte pour clarifier ces actes criminels, commis par l’armée ou par des milices proches du gouvernement. Azali fait visiblement appel à la notabilité pour aller imposer « la paix », lieu et place de la justice. C’est très dangereux. Nous les avons vus récemment à Mbeni après la barbarie de la junte militaire dans cette ville. On ne peut pas dans pareille situation, parfois avec des pertes humaines, faire la « paix » sans établir les responsabilités des uns et des autres. Que chacun reste dans son rôle, le politique, le religieux et le notable. Il y va de l’intérêt et de la stabilité du pays.