Le piétinement des Droits de l’homme, les arrestations arbitraires des opposants, les tortures de 2018 à 2021 aux Comores demeurent des tâches que le régime d’Azali Assoumani n’a pas réussies à se défaire depuis 2018. Par MiB
Le 25 janvier 2019, le Groupe de travail de la Commission onusienne des Droits de l’Homme, réuni pour sa trente-deuxième session, examine lors de la 9e séance le cas des Comores. Une délégation est venue du pays, conduite par le ministre de la Justice et des Droits de l’homme, Mohamed Housseini Djamalilaili, accompagné par Mohamed Ahmed Assoumani, Secrétaire général du Ministère des Affaires étrangères, Kassim Moegni, Délégué aux droits de l’homme au Ministère de la Justice, Maitre Azad Mzé, juriste, Sittou Raghadat Mohamed, membre de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés (CNDHL), pressentie pour être « nommée » présidente et Mariata Moussa, Journaliste dans le quotidien de l’État, Alwatwan, également nommée membre de la CNDHL. À cette délégation s’est adjoint Sultan Chouzour, Ambassadeur auprès de l’ONU à Genève ;
La délégation est venue défendre le dossier des Comores en matière de Droits de l’homme, alors que le depuis près de six mois, le gouvernement s’est lancé dans un processus de répression visant tous les opposants.
Une situation des Droits de l’Homme préoccupante
La délégation n’en démord pas. Elle affirme sans hésitation qu’aux Comores, il n’y a aucun prisonnier politique, que les gens ont le droit de manifester, que la Cour constitutionnelle n’a pas été supprimée, mais réaménagée avec des magistrats professionnels (sans préciser qu’ils sont tous nommés par le Président).
Ils recevront les félicitations de beaucoup de pays qui ont des régimes autoritaires (Chine, Arabie Saoudite…) ou qui ne connaissent pas les Comores. Mais, les démocraties ot un autre ton. La France souligne les progrès et affirme qu’il faut « améliorer la situation des droits de l’homme ». L’Allemagne est plus explicite en se disant « préoccupée par la situation des droits de l’homme ». Même ton pour le Canada qui déplore « les violences liées au référendum de juillet et la suppression de la Cour constitutionnelle ». Plusieurs pays posent même la question des tortures et le Danemark va plus loin en demandant un dialogue avec le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines.
Plusieurs pays se réjouissent que le gouvernement ait nommé les membres de la CNDHL et ratifié la Convention internationale contre la torture. Mais, c’est précisément au même moment que les droits de l’homme commencent à être bafoués, que des hommes politiques d’envergure capables de gêner politiquement le chef de l’État sont enfermés et que la torture devient le moyen le plus évident pour le gouvernement comorien pour obtenir des aveux des opposants accusés de monter des complots pour assassiner le chef de l’État ou les autres gouvernants.
La délégation comorienne s’est engagée au nom du Gouvernement, à recevoir aux Comores le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour vérifier la bonne marche de la démocratie.
Des opposants en prison
En réalité, il y a déjà une dizaine de personnes qui avaient été arrêtées parce qu’ils représentaient une menace politique pour le pouvoir à l’instar de l’ex-président Sambi, mis en résidence surveillée pour « trouble à l’ordre public », puis en détention pour l’affaire de la citoyenneté économique ou le Gouverneur d’Anjouan Salami Abdou, arrêté depuis le 21 octobre 2018 et qui n’a toujours pas été jugé. Lors des manifestations qui ont suivi le référendum constitutionnel de juillet 2018, de nombreux opposants ont été également arrêtés accusés d’avoir coupé la main du gendarme Radjabou ou commandité l’acte. C’est le cas des cadres du parti Juwa, comme son Secrétaire général, Ahmed Barwane. De même que l’ex-président Ikililou, les anciens Vice-présidents Mohamed Ali Soilihi Mamadou et Nourdine Bourhane, ainsi que l’ancien ministre Mohamed Dossar sont toujours assignés à résidence et sous contrôle judiciaire.
Lors de l’élection présidentielle du 24 mars 2019, les observateurs des candidats opposés au chef de l’État ont été exclus des bureaux de vote. Partout le bourrage des urnes était évident. Pendant la campagne électorale, les membres du gouvernement avaient annoncé qu’il n’y aurait qu’ « un seul tour » pour ne pas gaspiller de l’argent. Les candidats opposés au chef de l’État découvrent qu’ils n’ont aucun moyen de contrôler les votes, des bureaux parallèles sont montés dans les maisons des partisans du régime. Ils décident de se retirer et même de tenter d’arrêter le processus en cassant les urnes. L’armée entre alors dans les bureaux de vote et s’empare des urnes, avant même la fin du processus électoral. Azali Assoumani se proclame vainqueur et la section administrative de la Cour suprême présidée par Harimia Ahmed et dont il a nommé tous les membres valide l’élection. Les urnes quant à elles, elles n’ont jamais été ouvertes et c’est un journaliste acquis au gouvernement, le fameux Nono, qui les a filmées et a confirmé qu’elles n’ont pas été ouvertes au lendemain de la proclamation de résultats fantaisistes par la Cour suprême.
Cela n’est pas suffisant pour le gouvernement puisqu’il se lance alors dans une véritable chasse aux opposants, en réprimant toute tentative de manifestation.
La Commission des Droits de l’Homme de l’ONU n’est donc pas dupe de ce qui se passe aux Comores. Avec l’accord du gouvernement, Nils Melzer, rapporteur spécial de l’ONU sur la torture débarque avec son équipe à Moroni le 12 juin 2019. Il veut visiter les lieux de détention et s’entretenir avec les détenus, s’assurer qu’il n’y a pas de prisonniers politiques et surtout pas de tortures. Or, on est alors au faîte des emprisonnements politiques et des tortures. Même dans la résidence surveillée de l’ex-président Sambi, il ne peut entrer. Nils Milzer trouve donc porte fermée devant les lieux de détention et il est contraint d’écourter sa mission et de quitter le pays.
L’impunité pour les violations des droits de l’homme
Le rapport de Nils Melzer est publié en mars 2020. Il confirme les dénonciations de la société civile : le gouvernement comorien se livre à des tortures cruelles et inhumaines lors des interrogatoires. Le rapport met en cause la gendarmerie et le tristement célèbre PIGN, ainsi que les juges comoriens.
Le rapport des États-Unis sur les droits de l’Homme aux Comores (2020) est encore plus explicite. Le rapport liste tous les manquements du gouvernement comorien par rapport aux droits de l’Homme : « des cas de traitements ou de châtiments cruels, inhumains ou dégradants infligés par le gouvernement ; des conditions de détention dures et mettant la vie en danger ; des arrestations ou des détentions arbitraires ; des prisonniers ou des détenus politiques ; de graves restrictions à la liberté d’expression et de la presse, notamment de la violence, des menaces de violence et des arrestations ou des poursuites injustifiées à l’encontre de journalistes (…); interférence substantielle avec la liberté de réunion pacifique ; restrictions sévères de la liberté de religion ; incapacité des citoyens à changer leur gouvernement pacifiquement par le biais d’élections libres et équitables ; absence d’enquête et de responsabilité en matière de violence à l’égard des femmes ; traite des personnes (…) L’impunité pour les violations des droits de l’homme était généralisée. »
Les États-Unis vont plus loin puisqu’ils estiment que l’élection d’Azali Assoumani en mars 2019 n’est pas une élection valable : « L’élection présidentielle de mars 2019 n’a pas été libre et équitable, et les observateurs internationaux et nationaux ont noté que le scrutin était marqué par d’importantes irrégularités. L’opposition n’a pas reconnu les résultats en raison d’allégations de bourrage des urnes, d’intimidation et de harcèlement. »
Mais, le 6 avril 2021, le dernier cas de torture a défrayé les chroniques puisque le major Hakim dit Bapale, soupçonné de vouloir faire un coup d’État comme de nombreuses personnes depuis deux ans, a été torturé jusqu’à la mort, puis enterré rapidement la nuit, en cachette, sans même donner à son corps les sacrements qu’exige la religion musulmane.
Ainsi, on peut dire que le quinquennat d’Azali Assoumani qui vient de s’achever est marqué particulièrement par le piétinement des droits fondamentaux et par les tortures. Comment dans ces conditions le pays peut-il atteindre un développement ?