Saïd Mohamed Cheikh, président du Conseil de Gouvernement des Comores meurt le 16 mars 1970, après plus d’un mois de soin dans un hôpital de Tananarive. Il a alors 66 ans et il s’est épuisé au travail en tant que Président du Conseil de Gouvernement.
Dans la journée du 7 février 1970, après avoir été pris d’une soudaine congestion cérébrale, Saïd Mohamed Cheikh est évacué vers Madagascar le soir même. Le matin du 16 mars, les Comoriens apprennent qu’il est décédé d’une crise cardiaque. Les deux événements surprennent tout le monde. La puissance et la crainte qu’il inspirait ne laissaient pas présager d’une disparition aussi brusque.
Une extrême fatigue
Saïd Mohamed Cheikh était un homme constamment sur le pont, sous pression, car il travaillait beaucoup trop, voulait tout contrôler et ne supportait pas qu’on s’oppose à ses décisions. Il est conscient d’être exceptionnel dans sa génération et veut obtenir l’accord ou le silence de tous sur son action politique.
Le Haut-Commissaire, Jacques Mouradian évoque la mort le 13 octobre 1969 de Zakia Madi, une militante de la cause maoraise ou le voyage en France en octobre-novembre 1969, pour évoquer l’extrême fatigue de celui-ci pour expliquer la congestion cérébrale. Il poursuit : « Dans la semaine qui a précédé son attaque, des contrariétés s’étaient traduites par de violents emportements ; un jour, Baron l’avait, croyait-il insulté ; le lendemain un agitateur politique avait fui le pays avec la complicité des gendarmes ; le jour suivant le Haut-Commissaire était intervenu pour faire relâcher un individu arrêté pour avoir injurié son épouse… » Le Haut-Commissaire lui rend visite deux jours avant sa crise et le trouve très agité et élevant la voix sur ses ministres. Le jour où la crise survient, c’est un « vol domestique » qui le met hors de lui-même.
Saïd Mohamed Cheikh est admis à l’hôpital Girard et Robic de Tananarive. Il n’est pas un étranger à Madagascar. Après une année préparatoire, il a effectué quatre années d’études à l’École de médecine de Tananarive. Il a ensuite intégré l’administration coloniale en tant que médecin de l’Assistance médicale indigène (AMI) à la Grande-Comore. En 1933, il est sanctionné par un exil à Mwali puis à Madagascar où il a exercé jusqu’en 1945. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, il est élu député des Comores. Le 1er janvier 1962, il est élu par la Chambre des Députés Président du Conseil de Gouvernement. Il a donc exercé pendant huit ans une fonction qui était compliquée par les promesses non tenues par la France, par la frustration d’être un président dépendant du bon vouloir et des aides accordées par le ministre de l’Outre-mer. Cheikh doit également faire face pendant cette période à la pression des jeunes qui suivent le Mouvement de Libération nationale des Comores (MOLINACO) installé à Dar es Salam et qui a des partisans sur place. Il est harcelé par les séparatistes maorais et le refus d’obéir à ses directives par les gens du Mbude à Ngazidja. Il connait des colères impressionnantes lorsque ses opposants manifestent.
Crise cardiaque
À l’hôpital Girard et Robic, trois personnes veillent en permanence sur lui : sa femme, Renée, son neveu, Saïd Omar Saïd Ahmed et son ami, Ahmed Abdallah.
Une semaine après son admission, il semble sorti d’affaires. Dans une lettre du 18 février, le Haut-Commissaire écrit que « l’état de santé de M. Saïd Mohamed Cheikh s’améliore, ses jours ne sont pas en danger ». Pourtant, Jacques Mouradian informe ses interlocuteurs en France qu’il ne pourra pas reprendre le travail et implicitement qu’il faut commencer à lui chercher un successeur : « Finir en beauté ayant assumé sa charge jusqu’au point de rupture ne serait-il pas préférable ? » Le Haut-Commissaire ne fait qu’émettre une opinion répandue depuis plusieurs mois au ministère de l’Outre-mer et l’administration coloniale pense que c’est le moment de mettre Cheikh de côté, même s’il guérit.
Mais, le président du Conseil de Gouvernement n’a connu que quelques jours de répit et il est frappé par une crise cardiaque avec une complication pulmonaire qui l’emporte. Le bruit se répand de Tananarive jusqu’à Moroni, en passant par Majunga. Partout, c’est la tristesse d’un peuple qui l’a aimé malgré ses excès, car il était le visage d’une nation à la recherche de son identité.
Un peuple en pleurs
Le corps est immédiatement lavé puis amené à la base militaire d’Ivato, d’où il est embarqué dans un avion de l’armée française. Il arrive à Moroni le 16 mars vers 13 heures 15. Une foule est à l’aéroport pour exprimer l’immense perte que représente la mort cet homme que les Comoriens voient à la tête des affaires comoriennes depuis 1945. Le gouvernement avait pourtant donné des instructions pour que les gens ne se déplacent pas. Les pleurs des Comoriens se mêlent alors aux honneurs militaires à l’aéroport avant que le corps ne soit transporté sur les hauteurs de Dashe.
Saïd Mohamed Cheikh n’a pas eu les obsèques d’un chef d’État, qu’il n’était pas. Mais, jusqu’au lendemain défilent les proches et amis, puis les officiels français (dont le ministre délégué chargé des TOM, Henry Rey) et malgaches (les ministres des Affaires étrangères et de la Santé).
Vers midi, le corps est amené à la Chambre des Députés où trois oraisons funèbres quasi identiques sont prononcées par le ministre Henry Rey, le ministre malgache Jacques Rabemananjara et le Prince Saïd Ibrahim. Le ministre malgache a résumé les trois discours par une formule : « Il a été de tout temps un de vos premiers ». Mais, il a eu surtout à cœur de rappeler les liens de Cheikh avec le président Tsiranana et il fait indirectement un appel à finaliser l’œuvre de Cheikh par l’indépendance : « Ensemble nous réclamions déjà l’égale dignité des peuples, ensemble nous vibrions aux souffrances et aux sursauts d’orgueil de nos deux peuples ».
Ce à quoi, le Prince Saïd Ibrahim répond par une formule gaulliste : « A travers son action et sa vie, le président Saïd Mohamed Cheikh a eu toujours le souci de la grandeur de l’ensemble français », donnant ainsi des gages au gouvernement français quant à son loyalisme.
Après les discours, son cercueil est transporté jusqu’au cimetière de Moroni, accompagné par la foule des anonymes. La famille était divisée sur la question du lieu de l’enterrement. Sa fille, Kalathoumi et les notables de Mitsamihuli réclamant le corps. Mais, c’est Saïd Athouman qui selon un témoin aurait affirmé : « C’est mon oncle et il sera enterré où je le souhaite ».
La succession est assurée par Saïd Ibrahim puis Ahmed Abdallah
La succession de Cheikh semble simple. Deux personnalités se détachent : Saïd Ibrahim et Ahmed Abdallah. Dans les jours qui suivent l’enterrement, les deux hommes se présentent comme héritiers politiques du défunt dans deux discours contradictoires. Avant son élection en tant que Président du Conseil du Gouvernement, le 27 mai 1970, Saïd Ibrahim retient le côté assimilationniste de l’action de Cheikh. Deux jours plus tard, après son élection en tant que président de la Chambre, Ahmed Abdallah met l’accent sur le caractère évolutionniste de l’action de Cheikh et laisse entrevoir une indépendance à court terme.
De par l’âge et l’expérience, c’est Saïd Ibrahim qui apparait comme le mieux placé pour succéder à son ami et adversaire politique. Il est le seul candidat et sera élu avec l’appui des cheikhistes et de l’opposition. Mais, n’ayant pas compris l’aspiration de la jeunesse, il sera victime d’une motion de censure deux ans plus tard, motion de censure qui ouvre la porte à Ahmed Abdallah et à l’indépendance des Comores.
Mahmoud Ibrahime*
Docteur en Histoire
*Auteur de Saïd Mohamed Cheikh (1904-1970). Parcours d’un conservateur. Une histoire des Comores au XXe siècle, Coelacanthe, 2008-2015.
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