Empêché à plusieurs reprises de participer à des cérémonies coutumières, le président Azali paie-t-il les frais d’une impopularité ou est-il la victime de son omniprésence qui brouille les contours de sa sphère de pouvoir ? Par JUZ’R
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La décision de la ville de Ntsoudjini d’interdire la participation du président Azali la semaine dernière à une cérémonie commémorant la naissance du prophète a fait l’effet d’une onde de choc. Un camouflet pour le pouvoir, un signe de résistance que s’attribue l’opposition. Ce n’est pourtant pas la première fois que le président de l’Union subit un tel affront. Depuis l’élection contestée du 24 mars et la répression qui en a suivi, l’opposition harcèle le régime sur deux fronts. À l’extérieur avec une série de manifestations publiques en France et dans quelques capitales africaines. À l’intérieur du pays, les partisans de l’opposition contournent l’interdiction de manifester par des actions spontanées qui consistent à se retirer de tout événement où est attendu le président Azali. Une forme pacifique, mais subtile, d’exprimer leur mécontentement sans provoquer le courroux du régime.
La stratégie du retrait
Cette tactique dit du « retrait », a débuté dans les mosquées, que désertait une partie des fidèles à chaque présence du président. Cette forme inédite de contestation politique relayée et très commentée dans les réseaux sociaux, a fait tache d’huile et s’est élargie dans d’autres situations avec parfois des coups d’éclat frisant l’outrage. À Mohéli, la famille d’un défunt s’est catégoriquement opposée à ce que le chef de l’état préside la prière mortuaire, bien qu’il ait fait le déplacement spécialement pour assister aux obsèques. En pleine cérémonie nuptiale, un dignitaire de la notabilité retira le micro des mains d’Azali, l’empêchant de prendre la parole. La scène devenue virale sur la toile marquait un tournant dans la fronde.
Dans ce contexte, l’incident de Ntsoudjini est révélateur du degré d’hostilité au régime. Jamais dans l’histoire agitée de l’archipel, un chef de l’État n’avait cristallisé contre lui une colère qui déborde l’espace socio-traditionnel considéré jusque-là comme un terrain neutre où s’épuisait l’adversité. Même dans les pires moments, les adversaires politiques arrivaient à se côtoyer autour d’une prière ou d’une fête coutumière. Cette capacité des acteurs locaux de s’offrir des moments de récréation en plein conflit politique est restée une énigme que les observateurs étrangers dépêchés au chevet des crises comoriennes ne parviennent pas à dénouer.
Les germes d’un conflit agravé
C’est cette dimension symbolique de la relation sociale qui paraît atteinte par la conception politique portée par l’actuel régime. La multiplication des actes outrageants comme réaction de la rue aux agissements du pouvoir est significative du fossé qui s’élargit entre le pays réel et son élite politique. Conséquence d’un espace démocratique confisqué, de valeurs fondatrices d’un vivre ensemble foulées au pied et d’une pratique politique trop clivant, le délitement qui s’opère sous nos yeux, affecte dangereusement la cohésion sociale et porte les germes d’une conflictualité politique aggravée.
Violence politique et apaisement
Le débat soulevé par ces outrages envers l’État et les institutions qui le représentent, n’est pourtant pas complètement illégitime. Le gouvernement semble lui-même avoir pris la mesure de cette rupture en parlant d’apaisement. Mais le défi est immense après trois années de règne de violences et de renoncements qui ont rompu la confiance avec le peuple. Renoncement du pacte social par l’instrumentalisation des assises nationales, du pacte politique en tournant le dos à l’Accord de 2001. Le rétrécissement de l’espace démocratique et de la liberté d’expression, la mise au pas de la justice, le recours à la violence politique et militaire, les emprisonnements arbitraires y compris des autorités légitimes du pays, ne participent pas à apaiser les esprits.
Dans ce climat délétère, seul un sursaut collectif pour rétablir l’État dans ses prérogatives, dans son autorité légitime et son éthique, peut sauver le pays de la dérive. En attendant, c’est sous l’arbre à palabre du village et sur les tapis des mosquées que le peuple le juge.
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